L’inflation n’est pas un problème, mais une solution!

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La forte hausse des prix observée en ce début d’année dans la zone euro n’inquiète nullement la BCE, bien au contraire. Elle relance toutefois le débat : y a-t-il vraiment une “bonne” inflation, un niveau que l’on doive souhaiter ?

Même si les chiffres demeurent peu élevés dans une perspective historique, la hausse des prix de détail s’emballe bel et bien en Europe : elle a atteint 1,8 % en janvier dans la zone euro, venant de 1,1 % le mois précédent et de 0,3 % à peine en janvier 2016. Elle a encore grimpé en février pour atteindre les 2 %. A l’image de la Belgique, où l’inflation a frisé les 3 %, après 2,65 % en janvier. Même si ce n’est pas le cas, une telle flambée n’est-elle pas inquiétante ? Sûrement pas, répondent les économistes. D’abord, cette inflation n’est pas durable, a aussitôt réagi notre compatriote Peter Praet, économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE). ” Dépouillée de ses éléments instables que sont l’énergie et les produits alimentaires, elle est restée stable à 0,9 % “, a-t-il expliqué.

Ensuite, ce regain d’inflation est franchement rassurant après la menace déflationniste qui planait ces dernières années. Apparue en 2009, suite à la crise, et ravivée en 2015 dans les pays du Sud, à cause notamment de fortes baisses de salaires, l’inflation négative était encore de mise dans la zone euro aussi récemment qu’en mai 2016 : elle pointait alors à -0,1 %. Un passage fort résolu en territoire positif a donc valeur d’apaisement. Il aurait par ailleurs des conséquences franchement bienvenues pour les Etats. Pas étonnant que le souhait d’une inflation plus élevée ait été exprimé par nombre d’économistes ces dernières années, de part et d’autre de l’Atlantique.

Pourquoi pas 4 ou 6 % ?

Pour favoriser un modeste désendettement, il faudrait essayer de pousser l’inflation à 4 ou 6 % pendant quelques années : c’est ce qu’écrivait en été 2011 Ken Rogoff, le célèbre professeur de Harvard. Un an et demi après qu’Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI, ait avancé 4 %. Ken Rogoff en précisait clairement le but : soulager les agents économiques très endettés en raison de la crise financière, puis économique, de 2008-2009. En particulier les détenteurs de crédits hypothécaires et les Etats, qui rembourseraient ainsi en monnaie quelque peu dévaluée. Celui qui avait été économiste en chef du FMI de 2001 à 2003 concédait toutefois qu’un objectif de hausse des prix situé au-delà de 2 % pouvait sembler sacrilège aux yeux de ceux qui ont vécu le combat contre l’inflation mené par les banques centrales dans les années 1970 et 1980.

” Preuve qu’un objectif de 2 % est idéal : c’est aussi celui de la banque centrale du Japon. “© PG

Pas étonnant donc que, partagée par certains économistes, cette prise de position en laissait d’autres plus que sceptiques. A commencer par Paul Volcker, président de la banque centrale américaine de 1979 à 1987. Rien de surprenant : il restera dans l’histoire celui qui terrassa l’inflation engendrée par les chocs pétroliers, la ramenant de 13,5 % en 1981 à 3,2 % en 1983. ” Je ne crois pas que ce soit une bonne idée “, avait-il réagi. Ajoutant : ” Aujourd’hui, on ne pourrait même pas créer de l’inflation si on le voulait .” Vision correcte : un lustre plus tard, soit en été 2016, la hausse des prix de détail sur un an demeurait insignifiante : de l’ordre d’un pour cent à peine aux Etats-Unis et… d’un pour mille en Europe.

Une marge adéquate

Il aura fallu un raffermissement durable du prix du pétrole à partir du printemps 2016 pour que l’inflation frémisse enfin. Les questions peuvent dès lors se poser à nouveau : dans quelle mesure doit-on s’en réjouir ? Et peut-on souhaiter qu’elle bondisse à 4 %, par exemple, plutôt qu’à 2 % ? Premier point : pourquoi s’en réjouir ? Si tel est le sentiment de la BCE, c’est parce que l’inflation se rapproche ainsi de son objectif, à savoir ” inférieur à, mais proche de 2% “. Et surtout, s’éloigne des niveaux planchers de ces dernières années, qui flirtaient dangereusement avec la déflation. Car c’est bien là que réside la raison essentielle de cet objectif : ” offrir une marge adéquate pour éviter les risques de déflation “, suivant les termes de l’institution de Francfort. Ajoutons-y, pour être complet, les deux autres motifs invoqués : tenir compte d’une possible petite exagération des chiffres officiels et offrir une marge qui tienne compte des différences entre pays.

“Une inflation plus élevée a tendance à être plus volatile. Au taux exigé en compensation de cette inflation, les investisseurs vont donc ajouter une prime de risque également plus élevée.”© ID

Deuxième point : pourquoi pas carrément 4 %, à supposer qu’on puisse booster l’inflation à ce niveau ? Remarque préliminaire : le soulagement que l’inflation apporte à l’endettement ne vaut évidemment que si les taux d’intérêt à long terme, ceux des prêts hypothécaires et des obligations émises par les Etats, ne suivent pas, ou très peu ! Ce qui compte en effet dans cette optique, ce sont les taux réels, souligne Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique. ” Or, une inflation plus élevée a tendance à être plus volatile. Au taux exigé en compensation de cette inflation, les investisseurs vont donc ajouter une prime de risque également plus élevée. ” Un objectif porté à 4 % risque dès lors de se révéler contre-productif par rapport à une inflation sagement limitée à 2 %. Ceci vaut en tout cas pour les pays dont la population est assez âgée, au premier rang desquels le Japon. En raison notamment de l’importance de la population retraitée, ils affichent une très faible tolérance à l’inflation, souligne l’économiste. Contrairement aux pays jeunes.

La crédibilité, c’est sacré !

Ne pourrait-on imaginer un objectif fixé à 4 %, mais expressément à titre temporaire ? Notamment pour compenser le très faible niveau des dernières années. Certains ont lancé cette idée, mais ce courant reste très minoritaire au sein de la BCE, observe Peter Vanden Houte. De toute manière, un tel objectif poserait un double problème de crédibilité pour la banque centrale européenne. D’abord, parce que ces 4 % semblent totalement irréalistes dans le contexte actuel. Ensuite, parce que la modification des objectifs d’une banque centrale risque d’être mal perçue par les marchés.

Un relèvement de l’objectif d’inflation en zone euro est d’autant plus improbable qu’il existe un autre courant au sein de la BCE, observe Daniel Morris, chief economist de BNP Paribas : ceux qui estiment que 1 % suffirait. Il est cependant très minoritaire, lui aussi. ” Preuve qu’un objectif de 2 % est idéal : c’est aussi celui de la banque centrale du Japon. Même s’il est reporté d’année en année “, sourit-il. L’économiste britannique partage l’opinion de son confrère belge : les banques centrales ne peuvent pas relever leur objectif d’inflation car elles tiennent à leur crédibilité.

L'inflation n'est pas un problème, mais une solution!
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Au fait, comment se fait-il que l’inflation ne se soit pas réveillée en Europe, ni même vraiment aux Etats-Unis, en dépit des milliers de milliards – de dollars comme d’euros – dont les banques centrales ont inondé les marchés via le rachat d’obligations ? Ces fameuses mesures ” non conventionnelles “, également appelées quantitative easing, QE pour les intimes. C’est effectivement ce qu’on craignait, répond Daniel Morris, mais compte tenu des facteurs déflationnistes à l’oeuvre, il aurait sans doute fallu que les banques centrales achètent encore davantage, bien au-delà de ce qui était en même temps émis par les Etats. C’est ce qui se passe au Venezuela, semble-t-il, où l’inflation est attendue à 1.500 ou 2.000 % cette année. Y compris pour d’autres raisons, il est vrai.

La compétitivité sans douleur

Ce serait donc à tort que l’on soupçonne parfois la BCE de vouloir faire grimper l’inflation pour soulager les Etats endettés ? Oui, sans doute, car les Allemands s’y opposeraient avec véhémence. D’autant qu’avec des taux d’intérêt réels négatifs comme aujourd’hui, ce pays peu endetté et dégageant une forte épargne subsidie déjà largement les pays débiteurs du Sud, en compagnie d’ailleurs du Benelux. Pousser le bouchon plus loin risquerait non plus d’indisposer Berlin, mais carrément de faire éclater la zone euro, prévient Peter Vanden Houte.

Taux d’intérêt réels négatifs ? C’est en effet sur ce terrain que la BCE peut agir, en maintenant les taux d’intérêt très bas. C’est évident en Europe, où les obligations d’Etat à 10 ans affichent un rendement symbolique sans commune mesure avec l’inflation actuelle. Contrairement aux apparences, la situation n’est toutefois pas totalement différente aux Etats-Unis, insiste Daniel Morris. Là, le taux à 10 ans flirte avec la barre des 2,5 %, c’est vrai. Mais compte tenu d’une inflation et d’une croissance qui pointent depuis un bon moment aux environs de 2 %, ce taux devrait se situer à 3,5 ou 4 %.

L’allègement progressif de la dette, pour les Etats comme pour les autres agents économiques, n’est toutefois pas le seul effet positif d’un petit rebond inflationniste. ” Il permet aussi d’améliorer la compétitivité d’un pays ou d’une zone économique dès l’instant où les salaires ne suivent pas complètement, explique l’économiste de BNP Paribas, et ceci de manière presque indolore. En fait, poursuit-il, on observe qu’un peu d’inflation – elle ne fait sentir d’effets négatifs qu’au-delà de 3 ou même 4 % – donne plus de souplesse à l’économie. ”

Loin des 355% de 1920 !

Le récent pic d’inflation reste sans commune mesure avec ceux vécus dans le passé. L’envol des prix de détail consécutif au premier choc pétrolier est encore dans de nombreuses mémoires. En Belgique, il a atteint 12,68 % en 1974 et 12,77 % en 1975. Les chiffres avaient été sensiblement supérieurs dans les années 1920, avec un sommet à 27,08 % en 1927. C’est toutefois au lendemain des deux guerres que l’on observe des sommets historiques, à savoir plus de 176 % en 1946 et pas moins de 355 % en 1920. L’inflation très élevée des années 1920 est entrée dans l’histoire à propos de l’Allemagne, avec plus de… un milliard de pour cent en 1923-1924. L’hyper-inflation d’après la Seconde Guerre mondiale, qui prolongeait celle observée durant le conflit, a grandement allégé la dette des Etats. En France par exemple, les prix ont quadruplé entre 1940 et 1948. Dans le même temps, la dette publique du pays a fondu de 120 à 40 % du PIB !

Ces périodes d’inflation sont cependant exceptionnelles. Les progrès techniques des derniers siècles et la révolution industrielle eurent au contraire des effets déflationnistes aussi puissants que durables. Aux Etats-Unis, le niveau des prix de 1820 ne fut définitivement retrouvé et franchi que 125 ans plus tard, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. En Grande-Bretagne, des études ont reconstitué l’indice des prix jusqu’en 1660. Il révèle que le niveau de cette époque ne fut réellement dépassé qu’à la veille de la Première Guerre, soit deux siècles et demi plus tard. Hormis les périodes de guerre (y compris le conflit franco-britannique à l’époque de Napoléon), l’inflation pérenne est un phénomène apparu seulement au milieu du 20e siècle.

Dans le contexte actuel, et compte tenu du fait que la hausse des prix ne risque pas de déraper avant longtemps, il faut visiblement oublier les réflexes hérités des années 1970 ou 1980 et considérer que ” l’inflation n’est pas le problème, mais la solution “, comme le déclarait en 2012 Paul Krugman, prix Nobel d’économie 2008 et chaud partisan d’un petit coup de pouce en la matière.

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