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‘L’Europe manque de géants raisonnant autrement qu’à la lecture de sondages hebdomadaires’

“Ma génération n’est pas une génération de géants mais de faibles héritiers”, constate Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne. “La possibilité d’une dislocation de l’Europe est réelle”, concède de son côté son vice-président Frans Timmermans.

L’état d’esprit qui règne au sommet de l’Europe est plutôt morose. Le découragement est tel que l’on fait tourner les tables en invoquant les mânes des fondateurs. Dans trois semaines, pour la première fois depuis… 1973, les ministres des Affaires étrangères des six pays signataires du Traité de Rome se réuniront pour tenter de trouver des portes de sortie à la crise.

Ou plutôt aux crises. Crise économique : impossible de faire redémarrer la machine et d’abaisser le chômage. Crise de la zone euro : Athènes n’est pas sauvée, malgré un troisième plan d’aide, et de plus en plus de pays, y compris la France et l’Italie, voient leur dette publique menacée d’un effet boule de neige. Crise bancaire : un mécanisme de supervision et de résolution a certes été mis sur pied, mais il n’existe toujours pas de système européen de garantie des dépôts. Crise politique : le Brexit est une menace grandissante ; les partis populistes montent en puissance ; certains pays comme la Hongrie ou la Pologne sont tentés par un dirigisme de mauvais aloi. Crise migratoire, enfin : impossible de débloquer un budget de 3 milliards d’euros qui devrait permettre d’établir une vraie frontière européenne aux portes de la Turquie, alors qu’après les événements de Cologne, la population allemande est soudain devenue beaucoup moins accueillante.

L’Allemagne est peut-être dans une belle cabine sur le pont supérieur, mais elle est dans le même bateau que le reste de l’Europe

Paradoxalement, alors que le costume européen craque de tous côtés, l’Allemagne parade en vêtements d’apparats. En 2015, le pays a réussi deux exploits. Un, Berlin solde son budget 2015 sur un excédent record : 12,1 milliards d’euros. Les revenus fiscaux ont été dopés par la robustesse de l’économie et le plein emploi. Deux, l’Allemagne, contrairement à la Chine, a réussi à changer de moteur : sa croissance s’explique désormais par la demande intérieure.

L’Europe serait-elle donc écartelée à ce point entre l’Allemagne (et quelques pays qui tentent de la suivre, dont le nôtre) d’un côté et les pays périphériques de l’autre ? N’y aurait-il plus de liens entre Etats-membres ? Faut-il se joindre au cortège des pleureuses du Berlaymont ? Non. Ce n’est pas parce que la croissance allemande repose sur la demande intérieure que l’activité du pays n’est pas fortement dépendante de l’exportation. Les surplus commerciaux allemands représentent 8 % du PIB. Or, la Chine et les pays émergents décélèrent depuis plusieurs mois. Le salut allemand réside donc à nouveau dans le marché intérieur européen. Berlin a tout intérêt à soutenir un redémarrage européen et le sait. Par ailleurs, l’Allemagne ne peut à elle seule régler le problème des réfugiés. Avec 1,1 million de nouveaux migrants sur son sol en 2015 et sans doute deux fois plus cette année, le pays est au bord de la rupture. Cette main-d’oeuvre arrive dans un pays de quasi plein emploi. Tout ce qu’elle risque d’apporter, c’est une baisse des salaires et une pression déflationniste dont l’économie allemande n’a pas besoin. Enfin, l’Allemagne, comme beaucoup d’autres pays industrialisés, regorge d’épargne mais souffre d’une très faible croissance de sa productivité. Elle aussi a besoin d’investir massivement, dans ses infrastructures notamment.

Bref, l’Allemagne est peut-être dans une belle cabine sur le pont supérieur, mais elle est dans le même bateau que le reste de l’Europe. Cela inquiète ? C’est plutôt réjouissant. L’Allemagne, qui est sans doute le pays qui a la mémoire la plus longue, sait que son futur est nécessairement européen. Mme Merkel a l’étoffe d’une grande dame, elle l’a déjà montré par des décisions très courageuses. Il manque à ses côtés en Europe deux ou trois autres figures politiques raisonnant autrement qu’à la lecture de sondages hebdomadaires. Spaak, Schuman, De Gasperi, Monnet… rentrez dans ce corps !

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