L’économie belge est-elle handicapée par les réglementations ?

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Une étude de l’Observatoire des prix montre que parmi plusieurs professions libérales, une réglementation trop importante empêcherait l’arrivée de nouveaux entrants, limitant la concurrence et pesant sur les prix… Sur le terrain, le constat est plus nuancé.

La Belgique serait-elle un pays où l’on paie une série de services trop cher ? Cette observation est répétée depuis assez longtemps pour expliquer que, ces dernières années, notre taux d’inflation a augmenté plus vite chez nous que chez nos voisins.

Les prix à la consommation ont en effet affiché une hausse de 1,8 % en 2016 (contre 0,2 % en moyenne dans la zone euro), 2,2 % en 2017 (1,5 % dans la zone euro). Cette année, avec une hausse des prix de 1,5 % en mars, la Belgique dépasse encore l’Euroland (1,3%). Les explications sont nombreuses. En 2016, la hausse de la TVA sur l’électricité et la Turtletaks en Flandre (destinée à régler la dette des certificats verts) ont pesé sur les prix. Les prix des services comme l’horeca ou les télécoms ont également augmenté davantage que chez nos voisins.

Rage réglementaire ?

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Mais l’Observatoire des Prix du SPF Economie vient de remettre une étude qui tente à démontrer qu’il pourrait aussi y avoir des problèmes ailleurs. Il s’est penché sur quatre activités libérales : les architectes, les ingénieurs, les services juridiques (notaires, huissiers, avocats) et les gens du chiffre (comptables et experts-comptables, réviseurs, etc.). Et il constate que d’une manière générale, souvent en raison d’une réglementation plus ” riche ” qu’ailleurs, ces secteurs sont moins concurrentiels et génèrent du coup de plus grosses marges en Belgique que dans les pays voisins ( voir le graphique “En Belgique, on aime bie réglementer”).

” Il y a deux constats, résume Peter Van Herreweghe, conseiller général auprès du SPF Economie. Le premier est que, dans une série de domaines, la Belgique est plus réglementée que la moyenne. Le second est une analyse économique. D’après les trois indicateurs que nous avons retenus, la dynamique du marché belge est moins prononcée et l’on constate une ‘efficacité allocative’ ( le fait que ce sont normalement les personnes les plus efficaces qui prennent le plus de parts de marché, Ndlr) moins développée en Belgique que dans d’autres pays. ”

” Les indicateurs disponibles montrent en effet une réglementation plus forte en Belgique que dans la majorité des partenaires européens pour trois des quatre professions citées : les services juridiques, les services comptables et les architectes, confirme le commissaire au Plan, Philippe Donnay. Comme l’Observatoire des prix l’a montré, il semble qu’un lien existe entre cette réglementation excessive et une profitabilité forte et des prix plus élevés, poursuit-il. Le manque de concurrence présente un problème pour le fonctionnement de l’économie car il s’accompagne de prix plus élevés ou de services de qualité inférieure. ”

” Il peut aussi impacter la dynamique économique en limitant l’investissement de ces branches et leurs efforts d’innovation, ajoute Philippe Donnay. De plus, le coût excessif de ces services augmente les coûts de production des autres branches et finalement impacte négativement la compétitivité de nos exportateurs. ”

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Un pays de zombies

Cette réglementation peut-être excessive imposerait des barrières à l’entrée parfois difficiles à franchir. La Belgique connaît dans ces secteurs moins de nouveaux entrants, mais aussi moins de sortants que chez nos voisins ( voir le graphique ” Un marché d’entrants et de sortants “).

Des barrières qui expliqueraient le nombre particulièrement important de ” zombies ” qui hantent notre économie. Les zombies, selon la définition de la Banque nationale, sont des entreprises établies depuis au moins 10 ans et dont les bénéfices d’exploitation sont inférieurs à leurs charges financières au moins trois années de suite. En gros, ” ce sont des firmes qui, dans un marché efficace, auraient dû sortir mais qui, en raison de défaillances de notre marché, peuvent continuer à exister “, résume Peter Van Herreweghe.

Selon les dernières données disponibles, ces zombies représentent 10 % des entreprises belges, 14 % de l’emploi et 14 % du stock de capital. Bien plus qu’ailleurs : les entreprises françaises ou scandinaves ne comptent, par exemple, que 2 ou 3 % seulement de morts-vivants.

Cela, c’est l’observation statistique. Mais – l’Observatoire des prix le reconnaît lui-même – ces chiffres peuvent donner une vue parcellaire, voire biaisée, de la réalité.

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Autre son de cloche

En effet, sur le terrain, le son de cloches est différent ou en tout cas beaucoup plus nuancé.

Prenons la catégorie des services juridiques. Elle englobe les avocats, les huissiers et les notaires, qui vivent des situations très différentes. Jean-Pierre Buyle, qui préside l’Ordre des barreaux francophones et germanophone, estime ainsi que l’accès à la profession d’avocat est très ouvert. ” Le nombre d’avocats ne cesse d’augmenter chaque année, dit-il. Depuis la création de notre institution il y a 16 ans, le nombre de membres a augmenté de 25 % “.

Il y a environ 8.000 avocats membres des barreaux francophones et germanophone. ” Nous n’avons ni quotas, ni numerus clausus, contrairement aux notaires et aux huissiers. Affirmer que les avocats feraient des marges relativement élevées est tout aussi inexact. Nous n’avons ni barème, ni tarification. Nos prix sont fixés librement et sont contractualisés. Nous sommes en outre la seule profession en Belgique où les autorités judiciaires et ordinales peuvent contrôler le caractère nécessairement ‘modéré’ de nos honoraires, ce qui est une contrainte à la baisse. ” Et le bâtonnier ajoute : ” Si j’en crois la radiographie 2017 que le barreau de Bruxelles vient de publier, le chiffre d’affaires moyen par avocat est en baisse ces dernières années “.

La situation des notaires est différente. Le nombre d’études est en léger déclin, mais leur nombre et leur chiffre d’affaires sont en augmentation. En 20 ans, leur nombre a augmenté de 25 %, observe Christian Luyten, directeur de la communication de Fednot (la fédération des notaires). On ne peut pas parler de barrière à l’accès à la profession car depuis la réforme de 1999, il n’y a plus que des exigences de compétences.

La hausse du chiffre d’affaires est évidemment liée à la bonne santé du marché immobilier et à certaines tendances sociétales (nombre de divorces, etc.). Il y a aussi des effets de mode. ” Depuis le décès de Johnny, les études sont assaillies de demandes de parents désireux de déshériter leurs enfants et d’enfants désireux d’éviter d’être déshérités ! “, observe Christian Luyten.

” Les tarifs notariés sont loin d’être prohibitifs, poursuit-il. Pour l’acquisition d’un logement de 200.000 euros, les frais de notaire sont de 29.000 euros, mais cela englobe 25.000 euros de droits d’enregistrement et 2.000 euros de frais à d’autres administrations. La rémunération du notaire est donc de 2.000 euros, soit 1 % du prix de vente “, constate Christian Luyten qui indique aussi que les services rendus par les notaires peuvent être très différents d’un pays à l’autre, ce qui ne facilite pas une comparaison tarifaire. Dans certains pays, le notaire ne fait que mettre son tampon sur certains actes. En Belgique, il a une fonction de conseil et endosse sur sa cassette personnelle les risques pris.

Ceci dit, si la réforme sur laquelle planche le ministre de la Justice Koen Geens aboutit à enlever aux études certains actes administratifs répétitifs, les notaires la verraient d’un bon oeil. Car ” le volume des tâches attribuées au notaire ne fait qu’augmenter, dit encore Christian Luyten. Il y a 50 ans, un acte de vente était composé de deux pages. Aujourd’hui, il en compte au moins 30. Le notaire doit tout rechercher, tout vérifier, tout noter et tout expliquer “.

Victime de la réorganisation publique

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Puis, il y a les gens du chiffre. Cette qualification regroupe, ici aussi, des professions différentes : l’Institut des réviseurs et ses 1.000 membres, l’Institut des experts-comptables et conseillers fiscaux (6.000 membres et 2.000 stagiaires) et l’Institut des professionnels comptables (5.000 membres et 1.000 stagiaires). ” Cela représente donc 16.000 professionnels, fait observer le président de l’Institut des experts-comptables (IEC), Benoît Vanderstichelen. Il n’y a donc pas trop peu de personnes qui se partagent le marché “, dit-il.

S’il y a moins de nouveaux entrants dans la profession que dans d’autres pays, c’est moins en raison de barrières réglementaires que du manque d’attractivité de ces métiers dans l’esprit des jeunes, ajoute le président de l’IEC. Les divers instituts professionnels travaillent d’ailleurs à résoudre ce problème.

Quant à la tarification pratiquée par la profession, est-elle plus élevée que chez nos voisins ? Plusieurs bémols doivent aussi être apportés. ” Une bonne partie des activités de la profession, notamment en matière de conseils et d’assistance fiscale, n’est pas réglementée et ces activités sont donc ouvertes à tous, explique Benoît Vanderstichelen. En revanche, seules les professions reconnues (avocats, notaires, experts comptables, etc.) sont soumises aux obligations de la loi anti-blanchiment qui impose de vérifier l’identité et l’origine des fonds des clients. ” Ce qui prend un temps énorme “, constate le président de l’IEC.

De même, alors qu’en France, il est très difficile à une entreprise de se passer d’un comptable agréé par la Commission nationale des commissaires aux comptes, un tel monopole n’existe pas en Belgique. Et puis, la réorganisation des pouvoirs publics apporte aussi son lot de désorganisation : les gens du chiffre ont essuyé, par exemple, les plâtres des applications digitales (sur la TVA, l’Isoc ou Tax on Web) mises en place par le SPF Finances. ” Cela a occasionné un supplément de travail qui a été en partie répercuté sur les clients “, avoue Benoît Vanderstichelen.

Un autre élément joue aussi en défaveur de la Belgique : notre retard en matière de facturation électronique et de digitalisation. Un retard qui se répercute ici aussi dans les coûts, mais que l’Institut des experts-comptables tente de résorber en venant de mettre en service une plateforme ( Unified by invoicing) qui devrait aider à généraliser la facture électronique.

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Architectes précarisés

Enfin, il y a les architectes. Là aussi, l’étude de l’Observatoire des prix englobe les architectes de construction, les architectes d’intérieur et les architectes de jardin, qui sont des professions très différentes.

Mais l’Ordre des architectes francophones et germanophones s’étonne : ” Affirmer que les services d’architecture offrent une rentabilité relativement élevée avec des marges bénéficiaires importantes est contraire à la réalité “, dit-on. En outre, la profession d’architecte de construction (qui représente plus de 90 % du secteur) se caractérise à la fois par un haut degré de réglementation mais aussi par un grand nombre d’entrants et de sortants, ce qui paraît contradictoire.

En fait, dit l’Ordre, la réalité vécue par les architectes est celle d’une grande concurrence : la concurrence interne entre les 14.800 architectes du pays (un des taux d’architectes par habitant les plus élevés d’Europe), et la concurrence externe des entreprises qui font du clé sur porte et aussi des intercommunales.

Tout cela mène à une précarisation du métier. ” Les architectes ont une trésorerie qui, en général, ne dépasse pas trois mois de rémunération (la rémunération moyenne mensuelle brute d’un architecte est d’environ 1.800 euros) “, ajoute-t-on à l’Ordre, qui observe que la qualité du service rendu est aussi importante que le niveau des tarifs.

Et les architectes interrogent : ” Doit-on nécessairement affirmer que l’intérêt du consommateur (en l’espèce du maître d’ouvrage) passe par un service le plus économique possible ? “. Que ce soit pour les architectes, les juristes ou les gens du chiffres, le prix, en effet, n’est pas l’alpha et l’omega.

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