L’Allemagne est-elle vraiment un exemple pour le monde ?

© Image Globe/Eric Lalmand

Angela Merkel était à Paris lundi pour le 14e conseil des ministres franco-allemand… et pour afficher son soutien au président français. Nicolas Sarkozy ne cesse de citer le “modèle allemand” en exemple. A tort ou à raison ?

Angela Merkel est à Paris ce lundi pour présider, avec Nicolas Sarkozy, le 14e conseil des ministres franco-allemand. Elle devrait à cette occasion afficher son soutien au chef de l’Etat français qui, de son côté, ne cesse de faire l’apologie de l’Allemagne pour légitimer ses réformes économiques – bouclier fiscal hier, réforme de l’ISF, renforcement de l’apprentissage, TVA sociale, accords compétitivité-emploi aujourd’hui et règle d’or budgétaire demain.

“L’Allemagne revient si souvent dans le discours politique que l’on peut se demander si la présidentielle ne sera pas un référendum sur le modèle économique allemand”, écrit sur son blog le rédacteur en chef adjoint du Figaro Pierre Rousselin. Avant de voter, les Français doivent savoir ce qui se cache derrière l’éclatant succès de leurs voisins d’outre-Rhin.

L’Allemagne a pour la deuxième année de suite été la locomotive de l’économie européenne en 2011, avec une croissance de 3% après +3,7% en 2010. En comparaison, la France a enregistré une croissance de 1,5% en 2010 et devrait péniblement atteindre 1,7% en 2011. Cette solide croissance a permis à Berlin de réduire son déficit public à 26,7 milliards d’euros, soit 1% du PIB. Le déficit tricolore est cinq fois plus élevé. L’autre grand succès de l’Allemagne, c’est la baisse spectaculaire du chômage. Le nombre de chômeurs en Allemagne l’an dernier a atteint 2,976 millions en moyenne, soit le plus bas niveau depuis la réunification du pays, et 263.000 chômeurs de moins qu’en 2010. Le taux de chômage brut dans le pays a lui reculé en 2011 de 0,6 point de pourcentage pour s’établir à 7,1% en moyenne. En France, c’est l’inverse: le nombre de demandeurs d’emplois a progressé de 152 000 l’an dernier et le taux du chômage frôle les 10%. A notre décharge, la population française ne cesse de croître tandis que celle de l’Allemagne décroît.

Les clés de ce succès sont connues: une spécialisation sur des produits où la demande mondiale reste soutenue (automobile, chimie, bien d’équipements, industries mécaniques), un nombre important d’entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 5000 employés) appelées “mittelstand” outre-Rhin, une tradition et un savoir-faire dans la conquête de nouveaux marchés, un système de formation favorable à l’insertion en entreprises, le recours massif au chômage partiel et un dialogue social de qualité sur les salaires et l’emploi. “Le secret du modèle allemand, c’est l’industrie, la taille des entreprises, la co-décision et la compétitivité”, relève Jean-Claude Betbèze, chef économiste du Crédit Lyonnais, qui ne cache pas son admiration pour la politique économique du pays. Quitte à en accepter les douloureuses contreparties.

Une compression exagérée des salaires allemands

Car cette médaille a plusieurs revers. Pour restaurer sa compétitivité, qui s’était fortement dégradée dans les années 1990 suite à la réunification, l’Allemagne a pratiqué, sous l’impulsion de l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, une politique de modération salariale au début des années 2000. Politique qui s’est fortement accentuée en 2003 et 2005, années où a été lancé un train de réformes sans précédent visant à flexibiliser le marché du travail. Connues sous le nom de “lois Hartz”, ces réformes ont notamment créé les mini-jobs, emplois dont la rémunération ne peut dépasser 400 euros par mois, qui peuvent être exercés en parallèle de l’aide sociale ou en plus d’un emploi “traditionnel”.

Leur but théorique est d’inciter au maximum les personnes sans emploi à revenir dans le monde du travail. Avantage pour les employeurs: les “mini-jobs” sont quasiment totalement dispensés de charges sociales. Les employeurs ont donc eu tendance à substituer les mini-jobs aux contrats classiques à temps complet fiscalisés, ce qui a entraîné une forte hausse du temps partiel et une pression à la baisse supplémentaire sur les salaires. Résultat : l’Allemagne a certes augmenté développé ses exportations entre 2000 et 2010, mais les salaires ont baissé en terme nominal (ils ont augmenté moins vite que l’inflation). Le salaire mensuel net médian a perdu 7,4% en 10 ans outre-Rhin, alors que le salaire annuel moyen a crû de 10,8% en France.

“Cette compression consentie des salaires, si elle était nécessaire en raison du faible niveau de productivité de l’ancienne Allemagne de l’Est, est allée beaucoup trop loin, déplore Ferdinand Fichtner, économiste à l’institut de recherche DIW (Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung) de Berlin. Cela a pesé sur le pouvoir d’achat des ménages et la part de la consommation dans le PIB s’est contractée. Les exportations ont ainsi bondi bien plus vite que les importations et l’Allemagne est aujourd’hui trop dépendante du commerce extérieur”, estime-t-il. On l’a vu en 2009, au plus fort de la crise économique mondiale: le PIB allemand a chuté de 5,1%, contre un repli de 2,7% en France. Et cette année, alors que la zone euro – qui représente 40% des exportations allemandes – est au bord de la récession, le PIB du pays devrait croître d’à peine 0,3% selon le FMI.

Une paupérisation croissante de la population

L’autre revers de la médaille, c’est une très forte paupérisation des salariés. Au cours de la dernière décennie, l’Allemagne a créé 2 millions d’emplois à temps partiels (et peu à temps plein), tandis que la France en a créé 2 millions à temps plein (et très peu à temps partiel). La proportion de temps partiels a augmenté d’un tiers outre-Rhin sur cette période, alors qu’elle restait stable en France. L’Allemagne compte ainsi un quart de salariés à temps partiel, dont 19% (7 millions) de mini-jobbers. Or près de 90% de ces petits boulots entraient dans la catégorie des bas, voire très bas salaires (moins de 9,76 euros bruts de l’heure à l’ouest et moins de 7,03 euros de l’heure à l’est). 20% des salariés allemands sont payés à un niveau inférieur au Smic horaire français et 40% ont un salaire mensuel net inférieur à 1000 euros.

Les chômeurs – 2,9 millions de personnes – ne sont pas mieux lotis. La dernière loi adoptée par Schröder, “Hartz IV”, a en effet fusionné l’allocation chômage de longue durée et l’aide sociale. Ainsi, depuis 2005, après une année de chômage, les personnes sans emploi ne perçoivent plus qu’une allocation de 850 euros, aide au logement comprise. 70% des chômeurs allemands vivent ainsi sous le seuil de pauvreté. Plus globalement, l’Allemagne compte 12 millions de pauvres (avec moins de 940 euros par mois, soit 15% de la population contre 13,5% en France. A l’autre bout de l’échelle, 825 000 Allemands détiennent 2,6 millions d’euros de patrimoine, soit 1% de la population qui se partage le quart de la richesse du pays. “La politique de déflation salariale menée en Allemagne a conduit à un accroissement des inégalités de revenus, à une vitesse jamais vue, même durant le choc de l’après réunification”, a dénoncé l’Organisation internationale du travail dans un rapport publié le 24 janvier.

L’OIT va même jusqu’à affirmer que l’Allemagne est responsable de la crise en zone euro. “L’amélioration de la compétitivité des exportateurs allemands est de plus en plus identifiée comme la cause structurelle des difficultés récentes dans la zone euro”, estime l’institution onusienne basée à Genève. “Au niveau européen, cela a créé les conditions d’un marasme économique prolongé, car les autres pays membres voient de plus en plus une politique de déflation des salaires encore plus dure comme solution à leur manque de compétitivité”, explique-t-elle. Un avis que partage en partie Ferdinand Fichtner. “L’Allemagne n’est bien sûr pas seule responsable de la crise d’endettement des pays de la zone euro, explique l’économiste allemand. Mais il est vrai que l’absence d’inflation en Allemagne, liée à la contraction des salaires, a conduit la banque centrale européenne a mener une politique monétaire trop expansionniste [des taux directeurs bas, ndlr] pour la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou encore L’Irlande. Dans ces pays, l’accès à un crédit facile et pas cher a nourri une hausse artificielle des salaires ainsi que des bulles immobilières.”

Le modèle allemand a donc, au final, des vertus dont la France aurait raison de s’inspirer, notamment en ce qui concerne les spécialisations industrielles, la capacité des entreprises à s’exporter et à conquérir de nouveaux marchés ou encore la qualité du dialogue social. Mais tout copier reviendrait à mettre à bas notre modèle social, modèle autrefois vanté par Nicolas Sarkozy pour sa capacité à avoir amorti le choc de la crise économique mondiale.

Emilie Lévêque, L’Expansion.com

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