L’Afrique pourrait bien déjouer la malédiction des matières premières

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Dans certains pays, la baisse prolongée du prix des matières premières incite déjà à repenser l’économie.

A l’ombre des arbres qui bordent la route de Rutongo, une mine d’étain non loin de Kigali, capitale du Rwanda, des femmes assises concassent de grosses pierres à coups de marteau. Une telle besogne serait inacceptable ailleurs. Les éclats de pierre sont vendus aux entreprises de construction qui fabriquent le ciment utilisé à construire les tours, rutilantes, du ciel de Kigali. Une journée de concassage rapporte une poignée de dollars. La mine, qui emploie quelque 3.000 personnes, aurait dû créer 1.500 postes, mieux rémunérés, moins dangereux et moins néfastes pour l’environnement que l’extraction artisanale ou la fabrication de gravier. Mais la réduction de moitié du prix de l’étain depuis 2011 a forcé les propriétaires de Rutongo à différer leur levée de fonds.

L'Afrique pourrait bien déjouer la malédiction des matières premières
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Les épreuves que traverse Rutongo donnent un aperçu de ce qui se passe dans de nombreuses économies d’Afrique depuis l’arrêt brutal, en 2014, de l’envolée des cours des matières premières, qui avait soutenu la croissance régionale pendant plus de 10 ans. Les pays les plus touchés ont été les exportateurs de pétrole, comme le Nigeria et l’Angola, où l’or noir assurait jusqu’à 90 % des recettes de l’Etat. D’autres, comme la Zambie, pays producteur de cuivre, ou le Ghana, qui produit du cacao et de l’or, en ont aussi subi les conséquences. La chute des prix à travers l’Afrique subsaharienne s’est traduite par une contraction de 16 % des termes de l’échange dans la région (le rapport entre le prix des exportations et celui des importations). De quoi diviser par deux le taux de croissance. En 2016, le Nigeria est tombé en récession et l’Afrique du Sud a failli faire de même. Dans ces deux pays, la croissance démographique a dépassé la croissance économique, avec pour conséquence un appauvrissement de la population.

Un continent prisonnier des ressources naturelles

Pour autant, il y a des raisons d’espérer que nombre d’économies africaines prendront en 2017 des mesures pour contrer cette ” malédiction de l’abondance “. D’autant que la baisse des cours des matières premières n’affecte pas tous les pays de la même façon. En fait, 17 pays représentant près d’un quart de la population africaine seront bénéficiaires nets de la chute des prix des matières premières, grâce à la baisse du coût de l’énergie.

Leurs économies en pleine effervescence, dont beaucoup affichent entre 5 et 10 % de croissance annuelle, multiplient les innovations, comme le paiement mobile, les établissements scolaires privés qui dispensent des cours pour moins de 6 dollars par mois et les panneaux solaires qui fournissent suffisamment d’électricité dans les villages. Dans nombre de régions d’Afrique, la croissance des énergies renouvelables est supérieure à celle des combustibles fossiles, offrant ainsi au continent une chance de passer directement aux énergies propres en s’affranchissant des caprices du cours du gaz et du charbon. Ainsi, le Kenya inaugurera le plus grand parc éolien d’Afrique en 2017, qui fournira 18 % de l’électricité du pays.

Certains des principaux exportateurs de pétrole d’Afrique ont initié des mutations économiques tout aussi importantes. Le Nigeria, qui a longtemps presque tout importé, a laissé sa monnaie se déprécier et encourage les investissements dans les exploitations agricoles, les usines de transformation et les infrastructures d’acheminement. Il a déjà divisé ses importations de produits alimentaires par deux et des millions de paysans sont passés à une production commerciale.

Mais on ne sort pas de la ” malédiction de l’abondance ” aussi facilement. Pour de nombreux gouvernements, la tentation sera grande de se reposer sur les revenus des combustibles fossiles et remettre à plus tard les réformes indispensables pour ouvrir leurs économies et les rendre plus compétitives. Là où certains pays mettront 2017 à profit pour réduire leur dépendance aux matières premières, d’autres pourraient y devenir accros.

Par Jonathan Rosenthal, envoyé spécial à Rutongo, Rwanda.

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