Johan Van Overtveldt : “Nous sommes dans un contexte économique bizarre”

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Malgré une forte incertitude qui continue de peser sur le climat des affaires, Johan Van Overtveldt, ministre des Finances, se montre relativement confiant quant à la météo économique pour 2016.

Mercredi 16 décembre. La Fed décide de relever ses taux pour la première fois depuis 2006, mettant ainsi fin à près de 10 ans de politique d'”argent gratuit”. C’est au lendemain de cette décision historique de la banque centrale américaine que le ministre N-VA des Finances Johan Van Overtveldt nous a reçus pour un grand entretien de fin d’année. Une décision dont il faudra apprécier les effets dans les mois qui viennent, dit-il. Au même titre que les retombées du tax shift. “Mais des économies supplémentaires seront nécessaires pour atteindre l’équilibre budgétaire”, prévient déjà le grand argentier.

TRENDS-TENDANCES. La décision de la Fed était attendue. Janet Yellen a néanmoins osé franchir le pas.

JOHAN VAN OVERTVELDT. Elle ne pouvait pas faire autrement. Sa crédibilité risquait d’en prendre un coup. J’entends dire depuis le début de l’année que la Fed va relever ses taux. Au départ, c’était prévu pour avant l’été. C’est finalement en fin d’année que cela s’est réalisé.

Ce relèvement des taux américains ne devrait pas être sans effet pour la zone euro. Les taux vont-ils rester négatifs en Europe ?

Il faudra voir comment les choses vont évoluer. Je lis les commentaires rapportés par Bloomberg, etc. Il est difficile de faire des pronostics à l’heure actuelle. Quelles seront les réactions ? Dans un mois, six mois, un an ? Comment tout cela va-t-il influencer la politique monétaire de la BCE ? Personne ne sait. Si l’économie américaine repart vers les 3 % de croissance, Janet Yellen devrait poursuivre dans cette voie d’une remontée graduelle des taux, comme elle l’a promis. We’ll see. Mais une chose est sûre : la crédibilité est le principal actif des banques centrales. Sans cela, elles n’ont plus aucune force de frappe.

La BCE n’est-elle plus crédible ?

La BCE est tout à fait crédible à mes yeux. Bien sûr, sa politique qui tire les taux vers le bas a des effets néfastes pour les épargnants. Cela entretient aussi le risque de formation de bulles. Mais Mario Draghi fait tout ce qu’il peut pour relancer la croissance et l’inflation.

Malgré cela, l’environnement économique reste difficile. Pourquoi ?

Nous sommes dans une situation qui, d’un point de vue économique, est bizarre. Les taux sont très bas, le prix du pétrole s’est effondré et l’euro s’est sérieusement dévalué par rapport au dollar. En temps normal, ces trois éléments combinés devraient conduire à une croissance d’au minimum 2,5 %. Les dernières prévisions de la Banque nationale (BNB) font pourtant état d’une croissance d’à peine 1,5 %. Comment expliquer cet écart ? Selon moi, il y a d’abord une forte incertitude. Tout cet argent qui ne coûte rien, qui ne rapporte rien : les gens se disent que ce n’est pas possible. Il y a aussi les craintes géopolitiques, la crise des migrants, etc. Et puis, il ne faut pas oublier la Chine. Je pense que chez VW, on s’inquiète tout autant du ralentissement de la croissance chinoise que du dieselgate.

Dans ce contexte de croissance molle, il sera difficile pour le gouvernement d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2018. Le FMI estime d’ailleurs que pour atteindre cet objectif, il faudrait réaliser un effort de 2 % du PIB, soit 8 milliards d’euros.

Cela reste en tout cas notre ambition. Ces chiffres doivent être nuancés : il faut tenir compte des effets retour du tax shift. La Banque nationale ne les intègre pas dans ses prévisions. Elle les évalue pourtant à cinq milliards d’euros. Le Bureau du Plan cite, lui, le chiffre d’un milliard et demi. Quant au gouvernement, il table sur 1,3 milliard. Il faut en outre garder à l’esprit que s’ajoutent à ces effets retour les recettes de la taxe Caïman et celles de la lutte contre la fraude fiscale. Et puis, comme je viens de vous le dire, tout dépendra de la croissance d’ici 2018. Bref, on peut discuter sans fin de ces chiffres. On verra ce qu’on verra. Même s’il est clair que des efforts supplémentaires seront nécessaires.

Ces efforts supplémentaires, d’où viendront-ils ?

A l’heure actuelle, il n’y a pas de décision au sein du gouvernement à ce sujet. La position de mon parti, comme la mienne, est que ces nouveaux efforts budgétaires devront provenir d’économies plutôt que de nouveaux impôts. Au regard des comparaisons internationales, il y a encore de la marge dans un pays dont les dépenses publiques représentent toujours plus de 50 % de la richesse produite chaque année.

Le FMI préconise pourtant de taxer davantage le capital…

La Belgique est le quatrième pays le plus taxé au sein de l’Union en matière d’impôt sur le capital. D’après les données européennes, l’impôt sur le capital représente chez nous 10 % du PIB. J’observe que l’Italie et la France sont légèrement au-dessus. Mais l’Allemagne et les Pays-Bas se situent tous les deux aux alentours des 6 %. De manière générale, la pression fiscale globale reste trop élevée en Belgique. Je le répète, il faudra encore réduire les dépenses de l’Etat. Quoi, où et comment ? Nous verrons cela en temps voulu.

Le régime des voitures de société est aussi dans le collimateur du FMI. Pourquoi ce dossier est-il si sensible pour la N-VA ?

Il faut se replacer dans le contexte historique. Le système des voitures de société comme complément de rémunération est la conséquence d’une trop grande différence entre le salaire net et le coût pour l’entreprise. Faisons les choses dans l’ordre. Réduisons d’abord encore l’impôt des personnes et ensuite on verra. Mais first things first.

Est-ce à dire qu’on doit s’attendre à un deuxième “tax shift” ?

Alstublieft (sourire) ! Par contre, notre fiscalité doit absolument être réformée. Elle est devenue beaucoup trop complexe. Je voudrais la rendre plus simple et plus transparente. Je voudrais pouvoir y consacrer du temps au cours des deux prochaines années. Cette simplification se fera pas après pas, à l’instar des décisions déjà prises en matière de TVA.

D’accord, mais on a justement un peu l’impression que les cafouillages se multiplient sur ce terrain de la fiscalité. A commencer par le report de la DLU et votre projet de police fiscale.

Le plan anti-fraude se concentre sur la fraude de grande envergure. Ce n’est pas une chasse aux sorcières. En ce qui concerne les visites au domicile du contribuable, je propose simplement un cadre pour tenter de clarifier la situation, et ce dans l’intérêt du fisc et du contribuable. Je sais que c’est un sujet sensible. Mais je propose, je n’impose rien.

Venons-en aux banques. Pour vous, l’avenir de Belfius, c’est une revente, une entrée en Bourse ?

Plusieurs scénarios sont possibles. L’entrée en Bourse est une option. On peut certainement s’inspirer de l’exemple d’ABN Amro. Je suis d’ailleurs en train d’étudier la manière dont son retour en Bourse s’est opéré. Le dossier est sur mon bureau. J’ai aussi lu le rapport de Nomura qui souligne que les résultats de Belfius évoluent de manière très favorable. On peut concevoir qu’elle continue à faire ce qu’elle effectue maintenant. Il faudra bien sûr tenir compte des rentrées mais aussi analyser les conséquences de chaque scénario sur le plan social, pour le reste du secteur bancaire belge, etc. Il y aussi l’aspect de la concurrence, veiller à ce que certains segments de services ne disparaissent pas… Faut-il trois grandes banques au lieu de quatre comme le préconise Luc Coene, pour qui j’ai par ailleurs beaucoup de respect ? Ce sont des considérations très complexes.

Belfius est difficilement vendable sans solution pour la coopérative en liquidiation Arco. Or Deminor, qui défend 2.000 coopérateurs, a décidé d’assigner l’Etat belge dans ce dossier. Il semble que du côté de la N-VA, on estime que le fédéral ne doit pas donner un cent à Arco, malgré les promesses d’indemnisation du gouvernement.

Il faudra trouver une solution. De procédures juridiques sont également en cours au niveau européen. Comme ministre des Finances, je m’en tiendrai à ce qui figure dans l’accord du gouvernement, tout en tenant compte de la liquidation d’Arco. J’attends de voir ce qu’elle peut rapporter. Je voudrais plus de clarté à ce propos.

Quid de BNP Paribas ? Faut-il suivre les recommandations des banques d’affaires mandatées par la SFPI (Nomura et Leonardo) qui préconisent de vendre une partie des 10,3 % que l’Etat belge détient dans le groupe français ?

C’est certainement une possibilité. Les questions qui se posent sont de savoir quel pourcentage vendre et dans quel timing ? A un moment donné, il y aura un élément déclencheur. Mais ce n’est pas pour le moment un sujet de discussion au sein du gouvernement.

Les deux milliards versés par l’ex-Fortis à sa maison mère ne vous frustrent-ils pas ? N’aurait-il pas mieux valu de garder les 25 % que l’Etat possédait dans la banque ?

C’est une décision interne prise par la direction du groupe. Nous avons demandé des explications aux deux administrateurs belges qui siègent au conseil de BNP Paribas. J’imagine qu’elles vont nous parvenir rapidement. Pour le reste, la décision de céder ces 25 % a été prise par le gouvernement précédent. Elle produit aujourd’hui un certain nombre de conséquences.

J’ajoute que BNP Paribas est un groupe international qui optimise sa structure interne de capitaux et BNP Paribas Fortis en est une filiale importante. Mais une filiale à qui la BNB et la BCE, très attentives à ce genre de mouvement, ont imposé de sérieuses exigences en matière de fonds propres. Exigences qui sont respectées dans le cadre de cette opération.

Il se dit que vous travaillez à une réforme de la taxe bancaire sur les dépôts…

Nous sommes dans la dernière ligne droite. Plusieurs propositions sont sur la table. L’enveloppe globale restera la même. Mais l’idée est d’aller vers une simplification de la taxe et une meilleure proportionnalité entre petites et grandes banques.

Terminons par le groupe d’experts que vous avez mandatés pour réfléchir à l’avenir du secteur financier en Belgique. Où en sont ses travaux ?

Les experts mettent la dernière main au rapport. Ils ont été minutieusement choisis pour leurs compétences. Par principe, je n’ai pas voulu m’immiscer dans les discussions. Tout ce que je sais c’est qu’un chapitre sera consacré aux participations de l’Etat dans le secteur financier. Mais je ne suis pas au courant de leurs conclusions.

Et les “fintechs” ? Une de leurs idées serait, paraît-il, de créer une sorte de hub…

On verra.

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