“Je suis un économiste éclectique, pas un idéologue”

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Le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA), a défendu sa note d’orientation politique ces mardi et mercredi devant la commission des Finances de la Chambre. Avec un certain brio. Cet ancien journaliste est manifestement plus au fait de ses dossiers que plusieurs autres nouveaux ministres, pourtant bien aguerris à la vie parlementaire et politique. Tour d’horizon.

  • De Friedman à Piketty. Dressons d’abord la philosophie d’action du ministre des Finances. Johan Van Overtvledt est réputé pour sa proximité idéologique avec Milton Friedman (le chantre de la théorie de l’offre), à propos duquel il a même écrit un livre. “Une bonne partie de ses analyses, souvent caricaturées, sont encore significatives aujourd’hui”, dit-il. Le ministre des Finances assure ne pas rejeter pour autant “les richesses” des analyses développées par des économistes keynésiens, citant les prix Nobel Paul Krugman, Jean Tirole et même la dernière référence des économistes de gauche, Thomas Piketty. “Vous avez devant vous un économiste plutôt éclectique que rigoureusement idéologique, a-t-il déclaré aux membres de la commission des Finances. Je me base avant tout sur la réalité des chiffres et les caractéristiques spécifiques de l’économie belge.” Il pointe l’ouverture d’une économie, dont les exportations et les importations représentent, dit-il, 80% du PIB. Dans ces conditions, une perte de compétitivité peut s’avérer dramatique. “Le soutien à la compétitivité, c’est la locomotive de toutes les mesures de ce gouvernement”, a-t-il déclaré.
  • Le fossé entre les salaires et les allocations sociales. La principale mesure de soutien à la compétitivité est, jusqu’à présent, le saut d’index décidé pour l’an prochain. “Cela va contracter le pouvoir d’achat et la demande, regrette Ahmed Laaouej (PS). Cet aveuglement fait prendre d’énormes risques à notre économie.” “Le saut d’index n’est pas une perte de pouvoir d’achat dans sa totalité”, rétorque Van Overtveldt. Si l’économie globale pour les entreprises est de 2,5 milliards, après taxation, la perte réelle de pouvoir d’achat est divisée par deux. Le ministre ajoute que les barèmes fiscaux sont, eux, bien indexés. A revenus identiques, nous paierons donc un peu moins d’impôts. Le ministre rappelle par ailleurs l’augmentation des frais forfaitaires venant en réduction du revenu imposable (budget de 450 millions en 2015 et de 900 millions ensuite), qui sera intégrée dans le calcul du précompte professionnel dès le 1er janvier. Cette hausse sera modulée afin de profiter proportionnellement plus aux bas et moyens revenus.
  • Tour de vis fiscal pour les chômeurs et pensionnés. “Les dépenses fiscales non liées au travail ne seront pas indexées”, lit-on à la dernière ligne de la note d’orientation du ministre des Finances. A priori, le gel vaut pour toute la législature et concerne les réductions d’impôt pour revenus de remplacement (pensions, chômage, invalidité, soit 1,6 million de personnes), mais aussi l’exonération des dépôts d’épargne ou les versements pour l’épargne-pension. Cette mesure ferait perdre à terme 120 euros/an à un pensionné ou un chômeur et jusqu’à 153 euros pour un invalide, selon les calculs d’Ecolo. “C’est injuste socialement et un non-sens économique, dénonce Georges Gilkinet. Les revenus supplémentaires de ces personnes ne sont en effet pas épargnés mais directement consommés.”
  • Tax shift or not tax shift ? Johan Van Overtveldt n’a ouvert ni fermé aucune porte dans ce débat sur la taxation du capital, au coeur de l’actualité de ces dernières semaines. Il se limite à reprendre les deux passages “pertinents” de l’accord de gouvernement, qui évoquent la baisse de la fiscalité sur le travail et sa compensation par le prélèvement sur d’autres revenus, éventuellement ceux du capital. “Si j’ai retenu une leçon de ces derniers jours, c’est qu’un tel débat doit d’abord se mener au sein du gouvernement”, dit le ministre des Finances. Il ajoute que le relèvement des accises et la taxe de “transparence” (déclaration obligatoire des constructions juridiques à l’étranger, trust ou autres) relèvent déjà d’un tax shift.
  • Bruxelles, place financière. La capitale belge occuperait la 57e place sur 83 dans le classement mondial des places financières. Le ministre des Finances veut que Bruxelles gagne quelques échelons et en particulier qu’elle dépasse quelques-unes des dix villes européennes qui la devancent. “Des mesures concrètes pour améliorer l’attractivité de la place financière de Bruxelles viendront”, dit-il. Il compte notamment “saisir des opportunités” dans les nouvelles technologies. Van Overtveldt tient à la présence d’un secteur bancaire “bien diversifié”, avec d’une part des grandes enseignes multi-services et, d’autre part, des entreprises implantées plus localement dans des activités de niche “qui devront être conservées à Bruxelles”.
  • Pas de précipitation dans la vente de Belfius. Johan Van Overtveldt n’est pas un ardent défenseur de la présence de l’État dans le capital des banques et des entreprises en général. Il n’entend toutefois pas profiter de son nouveau poste pour vendre au plus tôt, tout ou partie des participations publiques dans Belfius et BNPP. “Ne nous laissons pas enfermer dans un échéancier trop strict, a-t-il déclaré à la Chambre. Se fixer une date-butoir serait néfaste pour le traitement optimal de tels dossiers.” Il invite donc à “la plus grande prudence” et à la bonne appréciation des différents enjeux du dossier Belfius : valoriser la prise de risques de l’État certes, mais aussi veiller au sort du personnel, au devenir du paysage bancaire belge et au financement des communes.
  • Un contrôleur des contrôleurs du fisc ? L’accord de gouvernement prévoit l’installation d’une instance indépendante -composée de professionnels du chiffre, d’avocats et de représentants du secteur financier- afin de veiller à “l’application uniforme des règles fiscales par les différents services de contrôle, y compris l’ISI”. Cette disposition laisse craindre une sorte de mise sous tutelle des contrôleurs des impôts par le secteur privé. “L’administration participera aussi directement dans cet organe et celui-ci n’aura aucun rôle hiérarchique à l’égard des instances de contrôle”, tente de rassurer Van Overtveldt. Cet organe formulera des recommandations, qui seront débattues au parlement. Les contribuables pourront la saisir directement.
LuxLeaks : 19 contribuables belges étaient déjà dans le collimateur de l’ISI

L’administration fiscale et l’Inspection spéciale des impôts analysent actuellement les dossiers mis à jour dans l’affaire dite “LuxLeaks”, en vue d’éventuels contrôles plus approfondis, a précisé le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, ce mercredi au Parlement. Quelque 42 personnalités juridiques impliquées ont été identifiées et 19 d’entre elles faisaient déjà l’objet d’une autre enquête de l’ISI. “Le LuxLeaks n’est qu’une infime partie du ruling luxembourgeois”, a ajouté le ministre. Le SPF Finances a demandé à l’administration grand-ducale de lui fournir tous les rulings dans lesquels une entreprise ou un particulier belge sont concernés. L’intention est de comparer les faits et les chiffres repris dans ces rulings avec ceux des déclarations fiscales belges. Johan Van Overtveldt invite à ne pas confondre la fraude et l’évasion fiscale. La première est un non-respect des règles fiscales, et “cela ne peut être toléré”. La seconde, c’est “l’utilisation par des citoyens fortunés des imperfections de la fiscalité internationale en vue d’éviter de payer la totalité de leurs impôts”. “De telles constructions attaquent la confiance des citoyens dans le système fiscal, dit-il. Nous essaierons d’agir au niveau international pour les combattre.”

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