Impôt sur la fortune : la chasse au capital est ouverte !

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Sur la table des négociations pour la formation du futur gouvernement figurent des propositions visant à imposer le capital plus lourdement. Une hausse du précompte mobilier semble une option privilégiée. Non seulement pour combler les trous dans les caisses de l’Etat mais aussi pour réduire la taxation sur le travail.

Le magazine Trends-Tendances consacre son dossier de couverture, cette semaine, à la taxation du capital sous le titre : Di Rupo va-t-il exiger l’impôt sur la fortune ?

Le Belge moyen est bien à l’abri, assis sur une montagne d’argent. Les statistiques de la Banque nationale ne mentent pas : fin 2009, les particuliers détenaient pour 900 milliards d’euros de biens mobiliers et environ 1.000 milliards d’euros de biens immobiliers. C’est donc là que se trouve le filon dont l’exploitation peut aider à combler les trous des finances publiques et alléger quelque peu la pression fiscale sur le travail. Les politiciens l’ont bien compris et fourbissent des projets pour confisquer aux citoyens une fraction de cette fortune.

Il circule un certain nombre de pistes pour imposer plus lourdement le capital et surtout les revenus du capital, l’une plus vraisemblable que l’autre. En voici un aperçu

Y aura-t-il une augmentation du “pur” impôt sur la fortune ? Sans doute pas.

Une telle augmentation n’est pas à l’ordre du jour. Car elle serait en premier lieu trop contreproductive. “Les incitants à bâtir des fortunes sont les mêmes que les incitants à investir, à travailler plus longtemps ou à constituer des entreprises. A l’étranger, on assiste à une tendance visant à supprimer le pur impôt sur la fortune”, remarque Axel Haelterman. Le capital à risque doit précisément être stimulé pour continuer à faire tourner le moteur des investissements vitaux dans les entreprises, confirment différents économistes.

Y aura-t-il une hausse du précompte mobilier ? Oui, sans doute.

La piste la plus souvent citée pour accroître l’impôt sur les revenus du capital est l’augmentation du précompte mobilier, en le faisant passer jusqu’à 20 à 25 % par exemple. Aujourd’hui, ce taux est nettement moindre grâce à la combinaison d’un précompte mobilier libératoire qui s’élève en général à 15 % (sur les intérêts et sur les dividendes d’actions belges émises depuis 1994) et les nombreuses exonérations qui existent. La Belgique est donc un pays où il fait bon résider lorsqu’on est rentier, et cette situation contraste violemment avec la pression fiscale élevée et progressive qui pèse sur les revenus du travail. Et l’Europe a fourni un bon moyen pour fermer ce paradis pour rentiers : la directive européenne sur l’épargne permet en effet d’augmenter l’impôt sur les revenus mobiliers jusqu’à 35 %.

Le Conseil supérieur des Finances plaide aussi pour l’application d’un taux plus élevé et uniforme sur les revenus mobiliers, avec comme motivation le fait que c’est un impôt efficace et juste. Il rapporte de l’argent dans le tiroir-caisse : annuellement environ 1 % du PIB s’il est fixéà un taux de 25 %, estime le CSF, et en ces temps de crise, c’est peut-être un argument décisif. Le précompte mobilier peut encore rapporter plus si l’exonération sur les carnets d’épargne est supprimée. Ce subside fiscal profite plus aux banques qu’à l’épargnant. “Ce n’est pas nécessairement l’épargnant qui en bénéficie”, remarque sèchement le CSF. Pourtant, aucun politicien ne se brûlera les doigts en s’attaquant à l’exonération des livrets d’épargne. Le CSF avance une alternative : appliquer l’exonération sur la totalité des investissements financiers de l’épargnant. Le petit épargnant restera alors encore toujours largement hors de portée tandis que l’épargnant plus riche devra payer une contribution supérieure. Pour les politiciens, c’est une carte jouable parce que l’argent est fortement concentré entre les mains d’une petite partie de la population. Une hausse du précompte mobilier a donc un caractère du type Robin des Bois : on prélève une taxe aux dépens d’un groupe restreint de nantis (qui vivent de leurs rentes) pour ménager une majorité moins fortunée de gens (qui travaillent). C’est ce qu’on appelle : juste et efficace.

On songe aussi àélargir la base imposable du précompte mobilier. “Et pourquoi ne pas en profiter pour remplir le vide fiscal relatif aux sicav de droit belge et luxembourgeois qui avaient été créées pour convertir des dividendes et intérêts en plus-values exonérées d’impôt ? Ces constructions sont une absurdité fiscale. Des instruments d’investissement qui servent de substituts les uns aux autres, doivent être imposés de la même manière. Cette mesure peut aussi procurer 500 millions d’euros par an au Trésor. Nous devons tendre vers quelque chose qui rapporte de 1,5 à 2 % du PIB, pour alléger la pression fiscale sur le travail”, soutient Axel Haelterman.

Y aura-t-il un impôt sur un rendement forfaitaire de la fortune ? Sans doute pas.

Dans son programme électoral, le sp.a plaidait pour un impôt à prélever sur un rendement forfaitaire de la fortune, à l’exemple des Pays-Bas. Cette proposition se heurte à pas mal de critiques et de réserves.

Primo, l’impôt est régressif à mesure que les revenus du capital augmentent. Supposons une personne disposant d’un capital de 100.000 euros qui produit un rendement effectif de 2 %. Elle paie un forfait de 30 % sur un rendement de 4 %, soit 30 % de 4.000 euros. C’est-à-dire un impôt de 1.200 euros sur un rendement effectif de 2.000 euros. C’est un taux d’imposition implicite de 60 %. Supposons qu’une personne réalise un rendement de 10 % sur un capital identique. Elle paie aussi 1.200 euros d’impôt forfaitaire sur un bénéfice de 10.000 euros. C’est-à-dire un taux d’imposition implicite de 12 %. Les bénéfices élevés sont donc en grande partie exonérés d’impôt, les petits rendements sont presque toujours entièrement rabotés par l’impôt. “L’imposition d’un rendement fictif stimule les comportements à risque excessif parce que les rendements au-delà du forfait sont exonérés d’impôt”, explique Axel Haelterman. Mais le raisonnement peut aussi être inversé. “Le grand point positif du système néerlandais est que les investissements à risque sont encouragés. Bien que ce soit peut-être un stimulant déraisonnable après ce qui est arrivé aux investisseurs en 2008”, conclut Etienne De Callataÿ.

Un impôt sur le rendement de la fortune se heurte aussi à des problèmes pratiques car il n’existe pas encore de cadastre des fortunes mobilières en Belgique et la constitution d’un tel cadastre n’est pas à l’ordre du jour. Le patrimoine mobilier de chaque Belge n’est donc pas connu du fisc et, bien que le secret bancaire fiscal ne soit plus de cette époque, le fisc ne peut toujours pas organiser des expéditions auprès des banques pour découvrir l’importance de la fortune des citoyens. “Le système est tributaire de l’enregistrement et de l’évaluation de la fortune individuelle. La mise en place d’un cadastre qui enregistre le patrimoine national et surtout international n’est pas une démarche évidente. La protection de la vie privée et un manque de collaboration internationale constituent des obstacles importants”, ajoute le fiscaliste Michel Maus (VUB).

Y aura-t-il une hausse des impôts sur l’immobilier ? Sans doute pas.

L’OCDE plaide pour une telle hausse car l’immobilier n’est généralement pas productif et une hausse des impôts sur les briques n’est pas perturbante pour l’économie. Le revenu cadastral est bien indexé mais n’a plus été adaptéà la croissance du bien-être depuis 1975. C’est pourquoi le fisc a vu la hausse des prix de l’immobilier des dernières décennies lui passer partiellement sous le nez. Pourtant, il est peu enclin à imposer plus lourdement l’immobilier et certainement pas l’habitation du contribuable parce que celle-ci est souvent considérée comme une assurance contre la pauvreté de la vieillesse et une manière naturelle d’économiser à long terme – actuellement, le fisc subsidie précisément la plupart des formes d’épargne à long terme. “Et les revenus cadastraux sont tout de même régulièrement adaptés via la rénovation du parc d’habitations. N’oubliez pas non plus que ces revenus s’ajoutent aux revenus du travail. C’est une bonne raison de ne pas exagérer”, affirme Axel Haelterman.

Y aura-t-il des manières plus sournoises d’imposer le capital ? Oui.

Le gouvernement démissionnaire a convenu avec le groupe GDF SUEZ de prélever 250 millions d’euros sur les bénéfices liés à l’exploitation prolongée des centrales nucléaires et le nouveau gouvernement exigera peut-être encore une contribution plus élevée. C’est en fait un impôt déguisé sur le capital (sur le bénéfice de GDF SUEZ) mais un impôt que GDF peut assez facilement répercuter sur le consommateur. Une taxe sur les banques (à présent sous la forme d’un coûteux système de garantie des dépôts) relève aussi de cette catégorie d’impôts dont le payeur final n’est pas celui visé par la taxe. Une éventuelle suppression progressive de la déduction des intérêts notionnels entre aussi dans la catégorie des voies détournées pour imposer plus lourdement le capital.

Daan Killemaes

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