Impôt des sociétés: “Un pas dans la bonne direction, mais un tout petit pas”

Emmanuel Degrève (Deg & Partners). © ISOPIX

Le gouvernement fédéral délivre un feu d’artifice fiscal, juste avant de partir en vacances. On passe les mesures en revue, avec Emmanuel Degrève, conseiller fiscal et fondateur de Deg & Partners.

Cela devenait presque le monstre du Loch Ness de Charles Michel. La réforme de l’impôt des sociétés, on ne parle à chaque échéance budgétaire et on ne la voit jamais venir. Cette fois, ça y est. Le ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) a pu fièrement annoncer une baisse du taux facial de l’Isoc. Il passera de 34 à 29% l’an prochain et à 25% en 2020. La baisse sera plus forte et plus rapide pour les PME : 20% dès l’an prochain. “C’est un pas positif, mais c’est un petit pas, analyse Emmanuel Degrève. Nous sommes loin de la révolution que l’on pouvait attendre après toutes les déclarations ambitieuses de ces derniers mois. Soyons optimiste : le gouvernement a trouvé un chemin, espérons qu’il ne s’arrêtera pas là.”

Pourquoi un tel bémol ? Parce que l’allègement en faveur des PME repose sur l’art 215 du code des impôts. Celui-ci prévoit déjà des taux réduits, mais sous certaines conditions (exclusion des sociétés financières ou des sociétés qui ne rémunèrent pas leurs dirigeants par exemple). “Il faudra être très attentif aux nouvelles conditions car cela peut modifier très fort la portée de la baisse”, précise notre interlocuteur. Actuellement, cet article 215 accorde un taux de 25% sur une première tranche de 25.000 euros de bénéfices. La réforme conduira à un taux de 20% jusqu’à 100.000 euros de bénéfice. Un réel élargissement. Mais attention cette réduction est “compensée” par des taux plus élevés pour les tranches de bénéfices supérieures. Une entreprise qui utilise à plein la première tranche sans tomber dans la tranche supérieure empochera un gain maximal de 9.800 euros, selon les calculs d’Emmanuel Degrève. Précisons par ailleurs que le slogan d’un Isoc à 20% pour les PME dès l’an prochain n’est pas tout à fait correct:il faut y ajouter la cotisation de crise (ramenée de 3 à 2%) qui subsistera jusqu’en 2020.

Budgétairement neutre ?

Johan Van Overtveldt l’a clairement précisé : sa réforme sera budgétairement neutre. Cela signifie ipso facto que l’allègement accordé aux PME sera compensé par d’autres postes au sein de l’Isoc. Le ministre reste vague, mais évoque néanmoins une limitation des déductibilités et un renforcement des sanctions. La Fédération des entreprises croit savoir que le gouvernement prépare un système d’impôt minimum (pour que l’optimisation fiscale ne permette plus d’annuler l’impôt comme de grands groupes parviennent à le faire). Les intérêts notionnels seraient maintenus, mais uniquement pour les augmentations de capital, afin de limiter les effets d’aubaine. “Nous sommes dans un cycle de croissance mondiale, ce qui pousse mécaniquement à la hausse les recettes de l’impôt des sociétés (+17% en deux ans pour atteindre les 15,8 milliards cette année , NDLR), observe Emmanuel Degrève. Dans un tel contexte, le ministre peut donner l’impression d’une opération budgétairement neutre même si, en réalité, elle n’est pas totalement neutre.”

En matière d’impôt des sociétés, le gouvernement fédéral prévoit aussi de porter la déduction pour investissement des PME et indépendants de 8 à 30%. Un sérieux bond en avant pour inciter à investir. Mais attention : ce bond sera temporaire. Après 2020, on retombera à 10%.

Les bénéfices profiteront aussi aux travailleurs

“Le contexte économique favorise les gains des entreprises, a commenté le Premier ministre. Et quand les entreprises font des gains, elles ne doivent pas récompenser uniquement leurs actionnaires, mais aussi leurs travailleurs.” C’est pourquoi le gouvernement va simplifier et encourager les mécanismes existants de participation des travailleurs aux résultats de l’entreprise. Une mesure qui réjouit Emmanuel Degrève, promoteur de l’idée d’un “dividende social” que les entreprises attribueraient à leur personnel. Dans le cas présent, la prime ne pourra pas excéder les 30% de la masse salariale. “Je ne pense pas qu’elle sera intégralement défiscalisée, sinon les ministres l’auraient précisé, ajoute le fondateur de Deg&Partners. Encore une fois, il faudra être attentif aux détails. L’impact de la mesure dépendra de l’ampleur de sa fiscalisation.”

En matière d’impôt des personnes physiques, on notera encore deux mesures. La première, c’est l’exonération des premiers 6.000 euros gagnés dans l’économie collaborative (à condition soit d’avoir au moins un 3/4 temps, soit d’être pensionné). Pourquoi un régime fiscal particulier pour ces revenus ? Pour essayer d’amorcer un cercle vertueux, de régulariser une partie de cette économie aujourd’hui essentiellement en noir.

La seconde mesure est le relèvement des frais forfaitaires déductibles pour un indépendant, afin de les mettre au même niveau de ceux d’un salarié. “Philosophiquement, il est intéressant de favoriser le forfait, commente Emmanuel Degrève. C’est simple pour le contribuable et facile à vérifier pour l’administration. Il me paraît en outre logique de traiter salarié et indépendant de la même manière.”

Mobiliser l’épargne citoyenne

Les différents niveaux de pouvoir mettent en place des dispositifs dans l’espoir de voir les Belges investir une partie de leur épargne directement dans les entreprises. C’est le cas avec le tax-shelter pour les start-ups, grâce auquel le contribuable qui investit jusqu’à 100.000 euros dans une nouvelle entreprise pourra récupérer de 30 à 45% de sa mise grâce à une réduction d’impôt. Ce tax-shelter sera élargi aux sociétés en croissance. “Une excellente chose, estime Emmanuel Degrève, car les entreprises n’ont pas seulement besoin de financer leur démarrage, mais aussi leur développement. La difficulté des entreprises à financer leur croissance est d’ailleurs l’une des faiblesses de la Belgique.”

Si vous préférez investir en actions, sachez que vos premiers 627 euros de dividendes seront désormais exonérés de précompte mobilier (30%). Contrepartie de la mesure : la tranche exonérée de précompte (15%) sur les livrets d’épargne est divisée par deux (940 au lieu de 1880 euros).

Si vous disposez d’un compte-titre bien garni, il sera désormais soumis à une taxe d’abonnement de 0,15% pour les valeurs dépassant les 500.000 euros. Le gouvernement espère récolter 250 millions grâce à cette taxe. “Le montant est limité, mais je suis curieux de voir où sera le taux dans 3 ou 4 ans, confie Emmanuel Degrève. La base est là. S’il manque quelques millions pour boucler un budget, on pourra toujours augmenter un peu ce taux.” Et on l’a vu avec le précompte mobilier, quand ça part à la hausse, ça peut aller très vite…

Enfin, une dernière mesure fiscale concernant l’épargne-pension. Les contribuables auront le choix entre un versement de 940 euros avec un avantage fiscal de 30% (système actuel) ou un versement de 1.200 euros avec un avantage fiscal de 25%.

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