Grèce : “Nous n’avons jamais dit que la crise était finie !”

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Pour démystifier le rôle des agences de notation, Carol Sirou et Jean-Michel Six, deux éminents responsables de Standard & Poor’s, ont rendu visite au Cercle de Wallonie. Nous les avons longuement rencontrés. Au coeur de l’entrevue : la Grèce, bien entendu…

Lisez l’intégralité de cette interview dans le magazine Trends-Tendances daté du 17 mai 2012.


Sur fond d’instabilité politique en Grèce, beaucoup s’inquiètent et guettent le retour des turbulences dans la zone euro. Nous avons interrogé deux hauts responsables de Standard & Poor’s : Carol Sirou, présidente de S&P France et Jean-Michel Six, chef économiste Europe. Une interview réalisée dans le cadre d’une opération conjointe organisée par le Cercle de Wallonie, la RTBF et Trends-Tendances. Les deux intervenants ont participé à une émission réalisée en direct dans les locaux du Cercle de Wallonie à Namur, Le Forum de Midi, animée par Fabienne Vande Meersche.


L’instabilité politique en Grèce suscite beaucoup d’inquiétude. Faut-il craindre le retour des turbulences dans la zone euro ?


C. S. Malheureusement, nous n’avons jamais dit que la crise était finie. En décembre, lorsque nous avons mis l’ensemble de la zone euro sous surveillance, ce n’était pas pour se faire un coup de pub. Nous avions des interrogations fondamentales sur ses mécanismes de gouvernance. Le fonctionnement de la zone euro est toujours en cours d’écriture.


En même temps, nous vivons une crise d’une ampleur inégalée. C’est cette conjonction qui rend la sortie de crise difficile. On peut se réjouir des LTRO (Ndlr, facilités de crédit de la BCE) qui permettent aux banques européennes de souffler. Mais ce n’est pas suffisant. Tout comme la réduction des déficits budgétaires est un objectif louable mais lui aussi insuffisant. La notation vue par S&P d’un Etat de la zone euro relève plus que jamais d’une combinaison entre ses facteurs propres et ceux induits par la situation des autres pays de la zone.


J.-M. S. Il faut bien comprendre qu’à la différence des Etats-Unis, chaque Etat membre de la zone euro est individuellement responsable de son secteur bancaire. Pour apprécier le risque d’un Etat, vous regardez donc une myriade de variables économiques pouvant affecter sa trajectoire mais également la situation de son secteur bancaire, lequel porte un certain nombre de dettes acquises au cours du temps. Non seulement de son propre Etat mais aussi d’autres Etats. Par exemple, l’Italie est le deuxième pays auquel les banques françaises sont exposées.


Pour apprécier le risque d’un Etat, il faut donc prendre en compte ses forces et ses faiblesses mais également l’exposition de son secteur bancaire à tous ses voisins. C’est ce qui fait aujourd’hui la particularité de la zone euro : l’interconnexion est désormais telle qu’il devient plus difficile de dissocier l’un de l’autre. Sauf à déconnecter la responsabilité des Etats par rapport à leur système bancaire individuel. Ce qui est une réforme proposée par de nombreux think tanks, notamment Bruegel, qui réfléchissent sur l’évolution des structures de la zone euro. Certains estiment qu’il faudrait mutualiser les garanties bancaires dans la zone euro pour “déscotcher” chaque Etat de son secteur bancaire. Comme c’est le cas aux Etats-Unis.


Passons aux critiques qui reviennent sans cesse à votre égard. A commencer par celles qui estiment que le timing de vos annonces ne résulte pas nécessairement du hasard et qui voient dans les grandes agences de notation un thermomètre qui donne la fièvre…


J. -M. S. C’est une qualification que je réfute totalement. Les analogies sont pratiques. Et je suis le premier à en utiliser. Mais celle-ci est réductrice : nous ne sommes pas un thermomètre. Une note est un diagnostic qui porte sur un ensemble de critères. Encore une fois, nous ne forçons personne à rien. Rappelons que l’encours de la dette souveraine en Europe a augmenté de 50 % depuis 2005 et atteindra 9.000 milliards d’euros fin 2012. C’est une augmentation considérable. Entreprises et gouvernements sont en concurrence par rapport à la même épargne qu’ils essayent de capter sur les marchés. Dans ce contexte, on leur demande de passer par certains critères comme la notation.


C. S. La notation souveraine est devenue tellement médiatique que certains voudraient qu’on devienne des commentateurs de la vie politique ! Mais ce n’est pas notre métier. Il y a des gens très compétents pour cela. En revanche, quand nous disposerons d’éléments clairs sur la stratégie et les politiques publiques mises en oeuvre par la nouvelle majorité issue des prochaines élections législatives, nous verrons s’il faut actualiser la note de la France ou pas.


J.-M. S. Plus un Etat est endetté, plus il a du mal à assurer le bien-être de ses citoyens. Qu’il faille s’endetter par moments, bien entendu. Mais faire de l’endettement le fondement de sa politique, c’est se mettre sous la dépendance des marchés internationaux.


Une autre grande critique qui revient régulièrement sur le tapis à votre égard relève du grand complot anglo-saxon contre la zone euro.


J.-M. S. L’une des différences essentielles entre les Etats-Unis et la zone euro est la solidarité financière entre Etats. A l’inverse des Etats-Unis, celle-ci n’existe pas en Europe. Les Grecs n’ont jamais eu la garantie que les Européens viendraient à leur secours. Force est de constater que les discussions sont extrêmement difficiles pour savoir qui est responsable de quoi. Ce n’est nullement de l’acharnement de notre part.


C. S. Je rappellerais à ce propos que S&P est la seule grande agence de notation à avoir baissé la note des Etats-Unis qui ont ainsi perdu le triple A. Et ce, bien avant la mise sous surveillance de l’ensemble de la zone euro.


Propos recueillis par Sébastien Buron

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