Et si la Grèce faisait faillite…

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Il n’y a pas de plan de sauvetage. Voilà ce que répètent en boucle les dirigeants européens. Mais l’état critique des finances publiques de la péninsule hellénique pourrait bien obliger ses partenaires à intervenir. Etat des lieux.

“La Grèce est en faillite”. L’économiste Nouriel Roubini n’a pas mâché ses mots jeudi à Davos. La péninsule, qui supporte la note de crédit la plus basse de toute la zone euro hellénique, traverse en tout cas la pire crise de ses finances publiques depuis trente ans. Le déficit frôle les 13% du PIB et la dette publique 113%. Athènes est ainsi très au dessus des limites européennes – respectivement 3% et 60%. Signe du manque de confiance des investisseurs envers le pays, le rendement de l’obligation grecque a bondi à des niveaux extrêmes – plus de 7%. Selon une note du Crédit Agricole, la Grèce est le pays de l’Union européenne qui représente le risque le plus fort d’ “insoutenabilité” des finances.

Comment la Grèce en est-elle arrivée là ?
Le tourisme et le transport maritime, les deux piliers de l’économie grecque, ont certes subi de graves revers en 2008. Mais la crise n’explique pas tout. D’ailleurs, le PIB grec n’a baissé que de 1,1 % en 2009. L’Etat souffre surtout d’un déficit structurel chronique.

D’abord, la Grèce, qui a toujours été fortement endettée,”n’a pas profité des années de forte croissance, entre 2000 et 2005, pour assainir ses finances publiques”, explique Bénédicte Kukla, économiste au Crédit Agricole. Ainsi, depuis dix ans, son ratio de dette publique a toujours été supérieur à 100% du PIB. Ensuite, “la Grèce n’a pas encore introduit les mesures nécessaires pour amortir le choc du vieillissement de la population, ce qui va entraîner de fortes hausses des dépenses publiques.”Or les recettes fiscales sont insuffisantes pour compenser ces dépenses. L’économie souterraine dans les services à domicile et dans le tourisme est estimée à 20% du PIB. Autant d”argent qui échappe à l’impôt. Par ailleurs, la collecte de ce dernier est inefficace, les niches fiscales nombreuses et l’assiette de l’impôt sur le revenu étroite. A cela s’ajoute, de l’aveu même du premier ministre Papandréou en décembre, une corruption rampante, et des statistiques économiques frauduleuses.

Quelle conséquence aurait une faillite de la Grèce ?
Pour un Etat, faire faillite ne signifie pas, comme pour une entreprise, se retrouver en liquidation judiciaire. Il s’agit simplement de la cessation de paiement de ses dettes. Et si la Grèce en arrivait là ? Elle ne représente que 2 à 3% du PIB de l’UE, et c’est pourquoi Nouriel Roubini a affirmé à Davos que sa faillite serait bien moins grave que celle de l’Espagne, quatrième puissance européenne. Le problème, c’est que la faillite de la Grèce risque de produire un effet domino sur les autres pays européens dont l’état dégradé des finances inquiète aussi les marchés. Ainsi, le Portugal, l’Italie, l’Irlande et l’Espagne seront davantage surveillés par les spéculateurs. La faillite d’un pays de la zone euro ” entraînerait des réactions en chaîne pour d’autres pays, comme cela avait été le cas lors de la faillite de Lehman Brothers”, expliquait à l’expansion.com Eric Delannoy, vice-président du cabinet de conseil Weave “

De fait, l’effet de contagion est déjà visible sur les obligations italiennes, irlandaises, portugaises et espagnoles. Si la situation continuait de s’aggraver, cela pourrait remettre en question la viabilité même de l’euro. Victime d’attaques spéculatives, la monnaie européenne a touché son plus bas niveau en six mois. Nouriel Roubini, alias Dr Catastrophe, a évoqué à Davos la possibilité d’une “bifurcation, entre un centre solide et une périphérie plus faible”, qui se solderait par le départ de certains pays la zone euro. Une thèse que la plupart des économistes qualifient toutefois de peu réaliste, comme l’expliquait par exemple Agnès Benassy-Quéré, du CEPII, à LExpansion.com.

L’UE va-t-elle aider la Grèce ?
Officiellement, Athènes essaie de s’en tenir à son plan de redressement des finances, sensé faire passer le déficit de 13% à 3% en 3 ans grâce à une série de mesures d’austérité. La Grèce et l’UE nient en bloc l’existence d’un “plan B” à ces mesures budgétaires, tel qu’un renflouement par l’Union européenne. Car une aide à la Grèce ne serait pas facile à justifier auprès des pays européens plus vertueux comme l’Allemagne, qui ont mené des réformes, et de ceux en difficulté qui taillent dans les dépenses: la Lettonie, l’Irlande ou bientôt l’Espagne, qui a annoncé vendredi un plan d’économies de 50 milliards d’euros d’ici 2013, et le Portugal. Mais en privé, des diplomates européens reconnaissent que si la Grèce est incapable de rembourser les intérêts de sa dette, ses partenaires trouveraient le moyen de lui venir en aide. En effet, la péninsule hellénique ne peut pas s’adresser au FMI. D’un part pour des raisons d’image: “Il serait politiquement humiliant pour l’UE d’admettre qu’elle ne peut pas prendre soin de ses propres membres”,explique Charlemagne, un des blogueurs de The Economist. D’autre part, “le Fonds aurait des exigences de politique monétaire que les autres pays comme l’Allemagne se refuseraient à appliquer”.

En théorie, le traité de Maastricht empêche les pays de l’UE d’être solidaires de la dette d’un autre Etat membre. Mais le Traité de Lisbonne mentionne des exceptions à cette clause : en cas de “circonstance exceptionnelle”, il est possible aussi bien pour un Etat membre que pour l’UE elle-même de porter secours au pays en difficulté. Selon le Monde, Bruxelles peut de toute façon soutenir la Grèce par des moyens détournés, que ce soit par des prêts bilatéraux, ou le versement anticipé de subventions européennes.

Reste que si l’UE vole au secours de la Grèce, ce sera à des conditions similaires à celles qu’imposerait le FMI, c’est à dire une baisse drastique des dépenses publiques. Or de telles exigences risquent d’être lourdes de conséquences politiques. “Dans un pays où les secteurs public et parapublic pèsent pour 40 % dans le PIB, l’annonce déclencherait à coup sûr des émeutes encore plus graves que celles de décembre 2008”, prédit Constantin Courcoulas de Breakingviews.com. “Si j’était un bureau de la délégation européenne à Athènes, je serais en train d’acheter des extincteurs”, conclut Charlemagne.

Laura Raim, L’Expansion.com


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