Entre pauvreté et faible croissance, un futur incertain pour l’économie russe

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A 70 ans, Irina Semionova vend ses conserves de tomates et aubergines à la sortie du métro de Saint-Pétersbourg: comme de nombreux Russes, cette retraitée doit recourir à la débrouille vue la faiblesse de sa retraite.

Sur une pension mensuelle de 12.000 roubles (environ 170 euros), il ne reste plus que 4.000 roubles, à peine plus de 50 euros, pour vivre un fois payés factures et médicaments. “Peut-on vivre avec 4.000 roubles surtout dans une ville comme Saint-Pétersbourg, où tout est cher?”, se demande-t-elle.

Elle trouve son salut dans sa maison de campagne en périphérie de l’ancienne capitale impériale, dans le nord-ouest du pays: “j’y vais en été, j’ai un potager et je vends ce que je cultive, cela m’aide à survivre”.

Lors de ses deux premiers mandats (2000-2008), le président Vladimir Poutine a redressé une économie exsangue après le marasme qui avait suivi la chute de l’URSS, permettant une progression du niveau de vie.

Mais depuis son retour au Kremlin en 2012, après quatre ans au poste de Premier ministre, la machine s’est grippée. La Russie vient de traverser quatre années de baisse du pouvoir d’achat due à la flambée des prix causée entre 2014 et 2016 par la chute des cours du pétrole et les sanctions occidentales liées à la crise ukrainienne.

Si le taux de pauvreté a fondu de 29% de la population en 2000 à 10,7% en 2012 selon l’agence de statistiques russe Rosstat, il est remonté à 13,4% en 2016.

Le nombre de Russes jugés par la Banque mondiale en position de sécurité économique, c’est à dire à l’abri d’une chute dans la pauvreté, représente désormais moins de la moitié de la population (46,3%), dix points de moins qu’en 2014.

La situation est particulièrement critique en province où, loin de la vitrine rutilante que constitue Moscou, salaires et retraites permettent à peine de subsister.

“Les prix sont dingues”, s’insurge Viatcheslav, mécanicien à la retraite de la région de Kalouga (200 km au sud-ouest de Moscou). “Je ne peux rien acheter”.

Dans un village voisin, Tatiana Kouznetsova, 47 ans, sait déjà qu’elle touchera moins de 100 euros de retraite alors qu’elle “trime depuis l’enfance”. Pas de quoi remplacer sa voiture bringuebalante, regrette cette employée d’une usine de transformation du poisson.

Selon une étude de la banque Credit Suisse, les 10% de plus riches détiennent 77% des richesses, plaçant la Russie au même niveau que les Etats-Unis – champions des inégalités parmi les pays développés.

“Entre 2000 et 2013 le gouvernement n’a pas eu à trop se préoccuper de l’économie, parce que la hausse de la richesse pétrolière ainsi que la forte croissance des revenus et du crédit ont stimulé l’économie sans beaucoup d’intervention gouvernementale”, estime Chris Weafer, fondateur de la société de conseil Macro Advisory.

‘Inacceptable pauvreté’

Un modèle économique adossé au pétrole qui s’est essoufflé, selon l’économiste. Si la croissance est revenue l’an dernier après deux ans de récession, les prévisions de croissance à moyen terme ne dépassent pas 1-2%, très loin des résultats des années 2000.

“Ce n’est pas assez pour améliorer le niveau de vie des gens ou financer d’avantage l’éducation, la santé, etc”, affirme Chris Weafer.

Si les difficultés récentes n’ont pas affecté la popularité de Vladimir Poutine jusqu’à présent, le président y a consacré une partie de son adresse annuelle au Parlement début mars.

Il a fixé comme objectif de diviser par deux en six ans le taux de pauvreté “inacceptable et d’atteindre une croissance autour de 4%. S’il a promis des investissements dans les infrastructures, la santé et le logement, il est resté flou sur le financement et n’a évoqué aucune réforme répondant aux freins structurels, notamment démographiques, à la croissance.

“Tout au long de la dernière décennie, nous avons entendu ces belles paroles sur des réformes et cela n’a jamais vraiment donné quoi que ce soit”, regrette Neil Shearing, du cabinet Capital Economics, soulignant le besoin de “politiques de redistribution, mais surtout de réformes économiques pour renforcer la croissance de la productivité, ce qui augmentera les salaires”.

Pour Natalia Orlova, économiste de la banque Alfa, la croissance de l’année dernière s’explique surtout par des dépenses temporaires liées à de grands projets comme le pont en construction vers la Crimée.

“Se concentrer sur la stabilité du budget est la meilleure stratégie, car les sanctions entravent tout le reste”, estime-t-elle.

Le gouvernement a axé sa politique ces dernières années sur la rigueur budgétaire et monétaire qui a maintenu un semblant de stabilité et permis d’éviter tout dérapage des déficits ou de la dette comme dans les humiliantes années 1990.

Oleg Kouzmine, économiste chez Renaissance Capital, y voit une source d’optimisme: “le niveau de vie est toujours inférieur à ce qu’il était, mais l’économie est devenue considérablement moins risquée: l’inflation est faible, la fuite des capitaux à diminué, le secteur bancaire a été assaini (…), cela devrait contribuer à poursuivre un développement durable”.

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