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Enseignement supérieur : réformer, mais pourquoi ?

En cette semaine de rentrée universitaire, le décret Paysage de Jean-Claude Marcourt a déjà fait couler beaucoup d’encre. Etonnamment pourtant, personne ne s’accorde sur les raisons profondes de cette réforme, comme si celles-ci n’avaient jamais été clairement explicitées.

Assouplir la notion d’année universitaire, rendre l’université accessible au plus grand nombre, empêcher la concurrence entre établissements sont autant d’objectifs cités sans jamais être développés au regard d’une réalité économique et/ou sociale qui viendrait les justifier.

Déjà, il faut distinguer dans cette réforme deux grands volets qui n’ont strictement rien à voir l’un avec l’autre : ceux qui concernent la formation d’une part (réussite fixée à 10/20 au lieu de 12/20, organisation des cours sous forme de crédits qui peuvent être étalés sur une durée indéterminée, suppression des passerelles entre hautes écoles et masters universitaires) et ceux qui concernent l’organisation et la réglementation du “marché” universitaire francophone de l’autre (limitation géographique du champ d’action des universités, création d’une structure — l’Ares — chapeautant l’ensemble des universités francophones et chargée notamment de valider leurs programmes).

Le premier volet vise clairement à faciliter la vie de l’étudiant et donc à augmenter le nombre de diplômés de l’université. Les six professeurs qui ont introduit un recours contre le décret auprès de la Cour constitutionnelle dénoncent un “nivellement par le bas” qui aurait pour conséquence de privilégier la quantité des diplômés au détriment de leur qualité. En réalité, la question n’est pas de savoir si cela est en soi bon ou mauvais, mais bien de s’assurer qu’une telle offre de formation correspond à un besoin du marché de l’emploi. Or, à l’échelon national, la plupart des métiers en pénurie (carreleur, couvreur, soudeur, conducteur d’engins de chantier, etc.) ne sont pas ceux auxquels mène l’université, à quelques exceptions scientifiques près – les filières les plus difficiles qui ne sont par définition pas accessibles à tous. A l’échelon international par contre, nos universités ont, malgré le faible financement dont elles disposent, une bonne réputation. A première vue, le décret Paysage ne semble pas vouloir la renforcer – à Harvard, Columbia, LSE et autres, ce n’est sûrement pas la quantité de diplômés qui prime.

Faut-il un enseignement différent pour les Wallons et les Flamands ou un enseignement différencié pour tous ?

Le second volet pose la question de savoir si une bureaucratisation croissante de l’université, couplée à un frein à la concurrence entre institutions, engendre plus d’efficacité. Ici aussi, le doute est permis : non seulement le financement de l’organe de tutelle serait sans doute plus productif s’il était investi directement dans les institutions mais en outre, vu leurs moyens réduits, les universités et hautes écoles ont apparemment jusqu’ici eu le bon sens d’investir dans des programmes assez spécifiques pour attirer un nombre suffisant (si pas trop élevé !) d’étudiants. Enfin, on ne peut pas nier le fait que le rayonnement international d’une université dépend aussi de sa localisation – une université bruxelloise ne joue pas à armes égales contre une autre située au beau milieu du Brabant wallon.

Plus étonnant encore, la divergence de vues existant entre la Wallonie et la Flandre en ce qui concerne l’enseignement. Le gouvernement flamand propose d’augmenter le prix des écoles ; des voix proches de la N-VA s’élèvent pour “en finir avec l’idée que les études supérieures sont accessibles à tous”. Se pose alors l’ultime question : faut-il un enseignement différent pour les Wallons et les Flamands ou un enseignement différencié pour tous ? La réponse semble évidente. Sauf pour les parties prenantes au décret Paysage.

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