Électricité: pourquoi la tarification progressive est une “fausse bonne idée”

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Faire payer plus cher le kilowattheure lorsqu’on consomme plus, voilà un principe a priori alléchant sur papier. Mais, dans la pratique, les avis sont partagés sur les réels bénéfices et la faisabilité d’un tel système.

Début 2014, le gouvernement wallon adoptait un décret sur “la tarification progressive et solidaire de l’énergie”. L’objectif était de mettre en place une tarification progressive de l’électricité à partir de l’année 2015. Après les élections, le projet a été mis au placard par la nouvelle coalition et n’en sortira pas avant, au mieux, 2017. A Bruxelles, la progressivité suscite également le débat. Une étude sur les conséquences de la mise en place d’une telle mesure en 2018 a été demandée au cabinet de consultance Sia Partners. L’analyse révèle notamment que le système, au-delà des bénéfices qu’il peut engendrer, s’il devait voir le jour sous les différentes contraintes imposées, serait confronté à quelques difficultés. Pourquoi donc une idée a priori simple et bénéfique suscite-t-elle des avis si peu enthousiastes ? Pour Per Agrell, spécialiste du marché de l’électricité et professeur à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, “la tarification progressive est en réalité une fausse bonne idée”.

Des avantages mitigés

Pourtant le principe de progressivité dispose de plus d’un attrait, notamment en termes de justice sociale et de protection de l’environnement. Néanmoins, à y regarder de plus près, ces avantages s’avéreraient, en pratique, moins clairs. Le premier intérêt du système serait que la progressivité propose une tarification répartie de manière plus équitable. Il est prouvé qu’il existe une corrélation positive entre la consommation d’électricité et le niveau de revenu. Autrement dit, plus le revenu moyen est important et plus la consommation d’électricité augmente. Faire payer davantage les gros consommateurs semble donc a priori répondre à un objectif socialement juste.

Alexandre Viviers, consultant chez Sia Partners précise : “Dans les différentes régions que nous avons étudiées, la tarification progressive bénéficierait à la majorité des ménages”. Selon l’étude de Sia Partners pour Bruxelles, 78 % des ménages verraient leur facture baisser entre 7 et 23 euros. Pour les 22 % des ménages restants, leur facture subirait une hausse comprise entre 18 et 111 euros. “Il faut toutefois prêter attention à certains ménages précaires qui consomment davantage d’énergie à cause de la mauvaise qualité de leur logement ou de leurs équipements”, précise Alexandre Viviers. En effet, la tarification progressive pénaliserait également une partie de la population pour laquelle l’objectif social ne serait pas atteint. Ainsi, les ménages se chauffant à l’électricité et cuisinant avec des taques électriques, par exemple, ou les personnes plus régulièrement présentes à leur domicile (comme les retraités ou encore les personnes en télétravail) seraient directement désavantagées par la mise en place d’un tel principe. Un comble pour un système visant plus d’équité.

L’autre argument avancé par les défenseurs de la mesure est écologique. Faire payer plus une consommation importante devrait pousser la demande d’électricité à la baisse. Une nouvelle fois, l’argumentaire a ses limites. Pour Per Agrell, une consommation élevée d’électricité n’est pas toujours synonyme de pollution plus importante. Ce qui importe avant tout c’est la manière dont est utilisée l’électricité. “Prenons une famille disposant d’une voiture électrique et se chauffant également à l’électricité. Prenons ensuite un autre ménage, roulant dans une vieille voiture diesel, qui se chauffe au gasoil et dispose d’un système d’autoproduction d’électricité peu efficace mais avantageux grâce aux subsides. La première famille aura une facture d’électricité bien plus importante que la seconde. Or, si on s’intéresse à l’impact écologique des deux ménages, c’est bien la première famille qui a l’empreinte énergétique la moins importante. Et ça, la mesure de progressivité ne peut pas le voir car elle se fie uniquement au niveau de consommation.”

Une mesure trop compliquée ?

Au-delà des avantages parfois mitigés de certains aspects, d’autres contraintes plus techniques existent également. Selon les études réalisées par le cabinet de consultance Sia Partners, la mise en place de cette nouvelle tarification aurait un coût de plusieurs millions d’euros en fonction des régions concernées car il faudrait adapter la gestion actuelle de la facture client. Des frais qui, même s’ils peuvent être répartis entre les fournisseurs et les consommateurs, doivent être pris en considération.

Mais hormis le prix, c’est le principe même de tenir compte principalement de la consommation dans la facture qui pose question. La complexité du marché de l’électricité et surtout la présence importante de coûts fixes rendraient intenable le principe de facturation variable (progressif ou dégressif) en fonction de la consommation. “La progressivité existe dans la tarification de l’eau en Wallonie. La mesure fonctionne bien car le marché est bien adapté. En revanche, mettre en place un tel système sur le réseau électrique n’a pas de sens”, explique le professeur de l’UCL. Pour lui, la facture à payer devrait nécessairement prendre davantage en considération les coûts réels de production. “Avec une tarification variable et progressive, si la mesure marche efficacement et que la consommation diminue donc fortement, vous pourriez arriver à un point où les coûts de production réels sont supérieurs au prix payé par les clients. Or, les distributeurs devront nécessairement impacter à un moment ou un autre cette différence sur la facture.” Dans cette logique, il semblerait imaginable d’avoir une facture totalement indépendante du niveau de consommation via, par exemple, un système d’abonnement. Si ce genre de facturation permettrait une meilleure efficacité au niveau économique, une telle mesure serait en opposition avec la volonté de réduire la consommation.

Alexandre Viviers n’est pas aussi critique sur cette question et considère que la progressivité garde de son intérêt. “La tarification progressive n’est pas la panacée mais reste pertinente pour atteindre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux liés à la consommation d’énergie. Le tout est de trouver le modèle qui minimise les difficultés opérationnelles et d’adopter des mesures complémentaires pour compenser les effets indésirables.”

Le débat autour de l’intérêt de la mesure est donc bien plus complexe que l’on croit. Si, en théorie, la mesure semble alléchante, elle est confrontée dans la pratique à plus d’un problème, rendant sa mise en oeuvre difficile. Le principe devrait donc être accompagné d’autres mesures, afin de répondre au mieux à la complexité du marché. Il paraît néanmoins certain qu’une facture ne tenant compte que de la consommation ne serait pas tenable d’un point vue économique.

ARNAUD MARTIN

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