Du lait dans le gaz entre la Russie et le Bélarus

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C’est un volet inattendu des relations à couteaux tirés entre Moscou et Minsk: les deux voisins, alliés traditionnels, sont engagés dans un conflit laitier qui pousse le Bélarus à se tourner vers la Chine pour exporter fromages, beurre et yaourts.

Les éleveurs bélarusses accusent les services sanitaires russes de leur mettre sciemment des bâtons dans les roues en multipliant les interdictions contre telle ou telle fabrique de produits laitiers, mais aussi certains abattoirs.

Si Moscou met en avant des violations des normes sanitaires, les mesures annoncées rappellent les restrictions commerciales appliquées systématiquement ces dernières années par la Russie lorsque ses relations se dégradent avec un pays.

Or Alexandre Loukachenko, l’homme fort du Bélarus depuis plus de 20 ans, a pris ses distances avec Moscou depuis l’annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Russie en 2014, et multiplie les reproches, du prix du gaz au contrôle des frontières.

L’enjeu est de taille pour l’ex-république soviétique, à l’économie très fermée et très dépendante de la Russie: 95% de ses exportations de produits alimentaires sont destinées à son voisin, représentant 3,7 milliards de dollars l’an dernier. Le secteur laitier représente une part importante car le pays dispose de nombreux éleveurs et leurs produits sont réputés en Russie, qui souffre à l’inverse d’un déficit de lait.

Les services vétérinaires russes accusent Minsk de profiter de l’embargo russe sur les produits alimentaires européens, dû à la crise ukrainienne, pour lui livrer des marchandises de piètre qualité.

Mais pour Minsk, aucun doute: “Certaines structures ont visiblement intérêt à user de leur influence pour écarter les producteurs bélarusses” du marché russe, a accusé le ministre de l’Agriculture bélarusse Leonid Zaïats, interrogé sur la télévision ONT.

‘Soutien considérable’

Les restrictions sur les entreprises bélarusses ont été très fluctuantes au fil des mois, introduites, assouplies, durcies… Sous des formes très diverses, de l’interdiction pure et simple aux contrôles renforcés, elles concernaient fin mai près d’une centaine de fabriques de produits laitiers ou abattoirs.

A la recherche de nouveaux débouchés, les professionnels se sont rendus en nombre à une conférence organisée mi-mai pour les aider à exporter vers la Chine, marché aux considérables besoins.

“La Russie nous a fermé son marché, je suis venu pour commencer à exporter vers la Chine”, a résumé à l’AFP Alexandre Mikhaïlovksi, directeur du combinat laitier Lepelski.

Présent, un responsable du ministère de l’Agriculture, Alexandre Soubbotine, a indiqué qu’une trentaine de fabricants de produits laitiers avaient déjà été autorisés à vendre à des clients chinois. Et les certifications sont en cours en vue de futures exportations de viande de boeuf.

Selon lui, les livraisons de produits laitiers à la Chine ont représenté au premier trimestre 1,3 million de dollars, soit plus que sur toute l’année 2015.

“Nous allons vendre nos produits aux consommateurs qui en ont besoin”, a résumé récemment le ministre, M. Zaïats, à l’agence Belta.

Ces bisbilles commerciales interviennent dans une période compliquée diplomatiquement. Minsk a critiqué le rôle de Moscou dans la crise ukrainienne et obtenu parallèlement de l’Union européenne la levée de sanctions après la libération d’opposants emprisonnés.

Lors d’une conférence de presse en février, le président Loukachenko, coutumier de déclarations à l’emporte-pièces, a longuement fustigé la Russie, l’accusant de ne pas respecter les accords internationaux.

Le Kremlin a répliqué en rappelant que Moscou apportait “un soutien économique et politique considérable” à Minsk, citant crédits et subventions représentant des dizaines de milliards de dollars.

Une rencontre début avril entre les deux présidents a permis d’arrondir les angles, en réglant un désaccord rampant sur le prix du gaz. Des deux côtés, on reste cependant à fleur de peau.

Vladimir Jarikhine, de l’Institut des pays de la CEI, relativise l’ampleur de la crise entre les deux voisins: pour lui, le Bélarus a besoin du marché russe pour écouler la production de ses entreprises et la Russie a intérêt à garder cet allié à la frontière de l’UE.

Il lie surtout les difficultés actuelles à la personnalité du président bélarusse, qui “a l’habitude de porter des questions purement matérielles au niveau politique”: “Ce sont des relations entre deux Etat proches, elles ne peuvent pas rester absolument sans nuage”.

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