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Dénoncer une fraude sociale, acte citoyen ou lâche délation ?

Parfois, on ne sait pas trop s’il faut applaudir ou s’offusquer. Par exemple quand on apprend que le très pudiquement dénommé “Point de contact pour une concurrence loyale” a enregistré 5.990 signalements en une dizaine de mois d’existence…

Près de 6.000 Belges ont dénoncé un voisin, un ex-collègue, un rival amoureux pour une suspicion de fraude sociale. Ont-ils posé là un acte citoyen – les règles existent pour être respectées de tous – ou commis une lâche délation ?

D’après les informations divulguées par le secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude sociale, Philippe De Backer (Open Vld), les deux tiers des faits dénoncés se sont avérés effectivement frauduleux. Ils concernaient pour l’écrasante majorité du travail au noir et de la fraude au domicile (les personnes isolées reçoivent des allocations supérieures à celles des cohabitants). Rien de gravissime mais, on l’a dit, les règles existent pour être respectées. 70 % des “fraudeurs” étaient des bénéficiaires du revenu d’intégration, à la recherche d’un peu de beurre à ajouter à leurs épinards.

La fraude sociale n’a pas le monopole des dénonciations. Elles existent aussi, et depuis de longues années, en matière fiscale. Le SPF enregistre de 2.000 à 3.000 dénonciations chaque année (1.542 pour le premier semestre 2016). Selon la précision des faits dénoncés et la présence d’éléments objectifs les corroborant, elles feront ou non l’objet d’enquêtes plus approfondies. L’un dans l’autre, cela fait quand même des milliers de personnes prêtes à dénoncer les agissements d’autrui. Interpellant. Nous avançons doucement vers une société de la méfiance généralisée, alors que, évolution contradictoire, nous étalons de plus en plus volontiers notre vie privée au vu et au su de tous via les réseaux sociaux.

Tant mieux si l’Onem, l’Inami ou le fisc ne peuvent pas tout savoir et contrôler. C’est le prix à payer pour conserver un peu de vie réellement privée

Dans nos pays démocratiques, l’Etat a le monopole de la sécurité et de la justice. Il en cède une partie à des sociétés privées agréées (gardiennage, contrôle du stationnement, etc.) et, sans doute, ne se donne- t-il pas ou plus les moyens de contrôler efficacement le respect des règles sociales et fiscales. On peut le regretter mais ce n’est a priori pas aux citoyens de suppléer l’Etat dans ce rôle. Du moins quand on parle de fraude et non de faits de maltraitance, de menaces, de violences physiques ou psychologiques. Là, le devoir impose évidemment d’alerter les autorités, d’assister les personnes en danger.

On arguera que si le citoyen prend les devants, c’est parce que l’Etat ne peut pas tout connaître, parce que l’Onem, les CPAS, l’Inami ou l’administration fiscale ne peuvent pas contrôler tous les cas individuels. Et qu’il est donc légitime de lui donner un coup de main. Regardons les choses autrement : tant mieux si l’on ne peut pas tout contrôler, c’est le prix à payer pour conserver un peu de vie réellement privée. Et donc tant pis si certains en profitent pour se glisser entre les mailles du filet.

Cela n’exonère évidemment pas l’Etat de tout mettre en oeuvre pour un traitement équitable des personnes. En intensifiant les contrôles. Mais aussi par la peur du gendarme. La hauteur des sanctions encourues – on songe à ces fameuses amendes fiscales de 309 % – doit endiguer la simple tentation de contourner les règles. Alors, oui, il y aura toujours des cas malheureux, des petits poissons piégés avant les gros, un manque de souplesse de certains titulaires de l’autorité publique. Mais in fine, cela vaut certainement mieux qu’une société où chacun doit apprendre à se méfier de ses voisins.

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