De Donald Trump au PTB, “la foule sentimentale des mécontents”

© Reporters / Redux NYT

Le terreau existe pour faire émerger en Europe et en Belgique des ovnis politiques de l’acabit de Donald Trump. Mais il existe aussi des freins comme la puissance des partis et la solidité de l’encadrement social.

Jamais avare d’un coup de griffe, le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders (MR) a osé le rapprochement entre l’élection de Donald Trump et la résistance wallonne au traité de libre-échange avec le Canada. Inconvenant ? Non, pertinent. On ne vous parle pas ici des idéologies et personnalités respectives du nouveau président américain et de Paul Magnette – clairement, tout les oppose – mais bien de la mobilisation citoyenne derrière eux. Elle atteste d’une envie de tenter d’entraver la marche d’un monde perçu comme un rouleau compresseur, qui laisse de trop nombreux êtres humains sur le carreau. Cette envie porte aussi les succès de Marine Le Pen en France, de Beppe Grillo en Italie, du parti Pirate en Islande ou de Raoul Hedebouw chez nous, pour citer des positionnements politiques très divers.

Ce n’est pas une question de droite et de gauche mais d’aspiration à une autre voie ; à ne plus entendre le fameux acronyme Tina (there is no alternative), qui ne peut que résonner très douloureusement quand vous êtes victime de restructurations d’entreprise, apeuré par les crises migratoires ou déboussolé par la globalisation. “Cela conduit à une sorte d’agrégation d’individus mécontents, qui créent une offre politique nouvelle comme Podemos en Espagne ou le Tea Party aux Etats-Unis, explique Nicolas Baygert, professeur de communication politique à l’ULB et à l’Ihecs. Ils ont la capacité de proposer une ou deux solutions compréhensibles et laissent les citoyens remplir les blancs avec leurs envies, leurs fantasmes. Soudain, tout redevient possible.” Comme le disait dans L’Echo, Bernard Delvaux, le patron de la Sonaca, “on ne va pas mobiliser les gens en leur parlant tout le temps de budgets et de coupes sombres dans les services publics, même si je suis persuadé que la réduction des dépenses publiques est essentielle”.

Quand la machine s’emballe

La tentation du coup de pied dans la fourmilière prime ici sur l’adhésion idéologique. A priori, 15 % des Wallons ne sont pas subitement devenus marxistes- léninistes en quelques semaines… “Il y a de place pour ces personnes qui ne jouent pas le jeu habituel du système politique, poursuit Nicolas Baygert. Il y a, dans nos démocraties, une attente pour des hommes neufs, qui n’ont pas été ‘contaminés’ par la particratie.” Cinq mois avant l’élection américaine, le cinéaste Michael Moore avait ainsi misé sur la victoire des Républicains, convaincu qu’il était que “des millions de gens seront tentés de choisir Trump dans le seul but de brouiller les cartes et voir ce qui arrivera”. Une manière, écrivait-il, “de se moquer d’un système malade”.

Quand une telle machine s’emballe, elle devient difficilement maîtrisable : le rejet de l’establishment est tel que l’analyse critique des programmes alternatifs revient en fait à valider l’argumentaire des mécontents. “On a beau dire que Donald Trump est irrecevable sur le plan éthique, cela ne change rien car ce n’est pas sur cela que ses électeurs le jugent, dit Nicolas Baygert. Ils ne cherchent pas une sorte d’extra-terrestre qui aurait raison sur tout mais plutôt un porte-parole de cette foule sentimentale de mécontents, une personne qui incarne leurs peurs et leurs colères.” Encore une fois, le parallèle avec le Ceta et la Wallonie n’est pas incongru. Le premier élément avancé par Paul Magnette pour expliquer le refus d’approuver la version initiale du traité était justement le souci de ne pas “balayer du revers de la main” la mobilisation citoyenne en ce sens. “Etre isolés de sa propre population, être isolés de ses propres citoyens, ce serait au moins aussi grave que d’être diplomatiquement isolés, a-t-il déclaré au Parlement wallon. Nous devons faire en sorte que ces liens très forts que nous avons soient préservés.”

Pas de culture de l’affrontement

Le nouveau président américain a-t-il irrésistiblement ouvert la voie à la victoire d’autres candidats iconoclastes ? “Le vote protestataire et anti-système a toujours existé, relativise Benoît Rihoux, responsable du Centre de science politique et de politique comparée (UCL). Chez nous, ce fut le vote communiste, partiellement le vote écologiste dans les années 1980, les partis régionalistes etc.” Aujourd’hui, les nouveaux partis challengers bénéficient toutefois d’une tout autre caisse de résonance grâce aux réseaux sociaux. Ils permettent d’agréger des individus mécontents et, progressivement, de transformer le malaise en organisation. Chaotique peut-être, mais une organisation tout de même. Avec une sorte d’actualisation programmatique permanente, en fonction des propositions des internautes. Le parti Pirate a même mis au point un logiciel spécifique dans ce but.

A ce stade, cela n’impacte pas la politique belge. Les vagues protestataires ne révèlent pas de nouvelles offres politiques mais ont remis en selle des partis aux racines très anciennes dans l’extrême gauche et le nationalisme flamand (la N-VA ne disposait plus que d’un seul et unique parlementaire avant l’éclosion de Bart De Wever…). Leur point commun est bien entendu le remarquable talent médiatique de leurs leaders, élément indispensable pour doper les scores des partis anti-système. Du côté francophone, nous n’avons pas l’habitude de ces soudaines flambées autour d’une personnalité. En Flandre, Jean-Pierre Van Rossem et, plus récemment, Jean-Marie Dedecker ont tenté de jouer les empêcheurs de politiser en rond. Leurs succès furent toutefois très éphémères.

“Deux éléments très modérateurs existent chez nous : le poids des partis et le mode de scrutin, explique Benoît Rihoux. Les partis jouent un vrai rôle dans la gestion publique à travers les cabinets ministériels et nous avons organisé des modes de négociation pour résoudre la plupart des conflits.” Le financement public des partis renforce en outre ceux qui sont déjà installés et brise l’un des ressorts essentiels de ces entrepreneurs-politiques du type Trump, Berlusconi ou certains leaders à l’Est de l’Europe. “Nous n’avons pas une culture de l’affrontement, renchérit Nicolas Baygert. Celui qui frappe fort est vite taxé d’arrogant.” Il faut alors un talent médiatico-politique hors norme – du calibre Hedebouw ou De Wever – pour reprendre l’avantage. Enfin, dernier élément : l’encadrement social, des CPAS aux syndicats en passant par les mutuelles, demeure suffisamment dense pour contenir le sentiment d’abandon parmi les personnes les plus défavorisées.

Tirer au sort une partie des députés

Nominations politiques, vote obligatoire, piliers politico-philosophiques, partis puissants et de plus en plus “touche-à-tout” (le PS organise même des achats groupés d’énergie et de fournitures scolaires), la Belgique doit être un des pays les plus politisés au monde. Et pourtant, le décalage entre le peuple et ses élus n’y paraît pas moindre qu’ailleurs. Comment le réduire ? Georges-Louis Bouchez, délégué général du MR, prône la liberté de vote : “Avec le vote obligatoire, nous vivons dans une fiction, nous n’avons pas le vrai diagnostic de l’état de l’opinion, dit-il. Les citoyens adhèrent-ils vraiment ou votent-ils par habitude ? Le politique doit cesser de transposer ses risques sur les autres. C’est à lui de convaincre le citoyen d’aller voter.”

Une piste fréquemment évoquée est de recourir au tirage au sort pour amener du sang neuf dans les assemblées, en dehors des cadres partisans classiques. Une partie des parlementaires seraient désignés au hasard, à l’image de ce qui existe pour les jurys d’assises. “Ils ont un avantage énorme : leur liberté, expliquait au Soir David Van Reybrouck, auteur du livre Contre les élections. Ils ne doivent pas agir en fonction des prochaines élections. Ils ne doivent pas agir en fonction de la médiatisation sur Twitter, Facebook ou d’autres chaînes commerciales.” Le nombre de députés tirés au sort peut être déterminé à l’avance ou correspondre aux élus théoriques des votes blancs et nuls (5,6 % des votes à la Chambre en 2014 mais si on ajoute les abstentionnistes, on arrive à 16%). “Cette idée de tirage au sort prouve à quel point le système est malade, objecte Georges-Louis Bouchez. Dire que n’importe qui pourrait faire leur job, cela prouve combien l’image des députés est peu favorable. On peut recourir au tirage au sort pour des organes consultatifs ou des chantiers locaux mais pas au niveau d’un Parlement.”

Benoît Rihoux invite à nouveau à la nuance et à la prudence. “Nous vivons certes une période de tension du système, dit-il. Mais pas plus qu’à certains moments des années 1970 ou en 1996 lors de l’affaire Dutroux.” Pour lui, il est donc certes “toujours utile de réfléchir à des améliorations” mais il ne faudrait pas non plus “sous-estimer la capacité des élites politiques à se moderniser.”

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