Crise des pays émergents: “La Fed n’est qu’un bouc émissaire”

© Image Globe / JIM LO SCALZO

Les “BRICS” (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) estiment que la Banque fédérale américaine est à l’origine de leurs difficultés économiques. Jean-Joseph Boillot, conseiller du Club du CEPII et spécialiste des économies émergentes, nuance cette affirmation.

Les chefs d’Etat du Brésil, de Russie, d’Inde, de Chine et d’Afrique du Sud se sont retrouvés juste avant l’ouverture du sommet réunissant les puissances riches et émergentes du G20. Ces cinq pays, les “BRICS”, qui représentent plus du quart des richesses de la planète, sont devenus pendant l’été une source d’inquiétude économique majeure. Conséquence du projet de la banque centrale des Etats-Unis de réduire ses injections de liquidités dans l’économie, leurs monnaies piquent du nez. La roupie indienne a perdu environ le quart de sa valeur, le réal brésilien 15%, la lire turque plus de 11%, le rouble 10%, et la croissance de ces pays dynamiques ralentit. Les émergents reprochent aux Etats-Unis de ne pas être conscients des répercussions de leur politique et de prendre des décisions basées sur leurs seuls intérêts nationaux.

Les pays émergents accusent la Federal Reserve Bank d’être à l’origine de leur crise monétaire. Est-ce bien le cas?

Les BRICS aimeraient bien trouver un bouc émissaire. Mais la crise à laquelle ils sont confrontés résulte de la combinaison de deux facteurs. Tout d’abord, indéniablement, les annonces de la Fed depuis mai dernier ont déclenché un rebasculement des flux de capitaux vers les pays développés, car les investissements y sont considérés plus sûrs. Mais le phénomène met surtout en difficulté les pays les plus fragiles, ceux dont la balance des paiements est déficitaire et dont l’endettement à court terme est important: l’Inde, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, la Turquie et le Brésil. Pourtant on ne peut pas non plus incriminer ces cinq pays. Ils ont profité des liquidités de la Fed pour s’endetter et soutenir leur croissance à un moment où l’économie mondiale était en berne, ce qui est compréhensible. Les responsabilités sont liées.

N’est-ce pas normal de la part de la Fed de se préoccuper avant tout de la situation économique américaine?

Non, ce n’est pas normal à l’heure de la mondialisation. Mais ce serait justement au G20 de coordonner les politiques monétaires. Le G20 travaille assez bien à une coordination des politiques bancaires et fiscales, mais il a toujours échoué à mettre en place une coordination monétaire. En attendant, les Etats-Unis persistent dans leur politique dite de “benign neglect” du dollar, qu’ils ont inauguré dans les années 60 après l’abandon du Gold Exchange Standard. En clair, ils émettent du dollar tant qu’ils en ont besoin, ce qui fait baisser sa valeur et lui procure un taux de change compétitif. Comme le dollar reste la monnaie internationale de réserve, ils trouvent toujours des acheteurs pour leur monnaie. Le dollar est un crédit que le monde fait aux Etats-Unis. Il y a deux ans, la Fed a ainsi injecté des milliards de dollars supplémentaires dans l’économie, déclenchant une véritable “guerre des monnaies”. Le dollar devenait sous-évalué, alors que les monnaies des pays émergents se sont surévaluées. Elles ne font que retrouver depuis cette année un niveau normal.

Donc la Russie a parfaitement raison de réclamer que la Fed se soucie des “dégâts collatéraux” de sa politique?

La Russie reprend l’argument selon lequel la politique monétaire américaine est porteuse de déséquilibres, ce qui est vrai. Mais les Etats-Unis ne sont pas non plus le coupable idéal. Car la Chine et la Russie n’ont jamais accepté non plus de jouer le jeu d’une coordination monétaire. Le yuan est systématiquement sous-évalué depuis des années. On peut dire que la guerre monétaire américaine est une réplique à la guerre chinoise. Il est d’ailleurs frappant de noter que les fronts de la guerre économique recoupent ceux de l’affrontement au sujet de l’intervention militaire en Syrie. Chine et Russie d’un côté, Etats-Unis de l’autre. Au G20, les tensions économiques sont directement liées aux tensions diplomatiques.

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