Crise de la dette : pourquoi l’UE a renoncé à faire payer les banques

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Les créanciers des Etats européens les plus fragiles peuvent souffler. Ils sont à l’abri de toute restructuration des dettes publiques d’ici 2013. Et semblent avoir réussi à assouplir le dispositif de défaut automatique envisagé par l’Allemagne.

Les banques et autres fonds d’investissements ont gagné. Ils restent, pour le moment, à l’abri de pertes importantes sur les obligations souveraines de la zone euro. Les ministres des Finances de la zone euro ont en effet fait marche arrière dimanche sur une proposition chère à Angela Merkel, qui voulait faire payer le secteur privé en échange de la pérennisation du Fonds européen de stabilisation financière (FESF) au-delà de 2013. Il s’agissait en clair d’envisager que les créanciers privés détenteurs de dette publique puissent abandonner une partie de leurs créances en cas de faillite d’un Etat. Mais l’évocation lors du Conseil européen d’octobre d’un tel mécanisme de défaut n’avait pas manqué d’agacer les marchés, qui se sont empressés de “punir” les pays les plus fragiles de la zone euro, Irlande et Portugal en tête, par une envolée des taux obligataires.

C’est donc pour calmer les investisseurs que l’UE a pris soin dimanche de clarifier deux choses : seules les obligations d’État contractées après juin 2013 seront assorties de clauses d’action collective permettant, en cas de risque de défaut de paiement d’un Etat, de modifier les conditions de remboursement. Il pourra alors être question de rééchelonnement des paiements, de baisse de taux ou de décote (“haircut”) sur ces obligations, qui seraient ainsi valorisées à un prix inférieur à leur valeur de marché théorique. Deuxièmement, les créanciers privés seront sollicités “au cas par cas”, sur une base contractuelle et de manière graduelle selon s’il s’agit d’une crise de liquidité ou d’une crise de solvabilité. C’est certes un progrès qui sera apprécié par les citoyens européens qui ne voient pas pourquoi ils seraient les seuls à supporter tout le coût du sauvetage des Etats en difficulté. Mais on est loin de ce qu’espérait Berlin, à savoir, dès 2011, un mécanisme de restructuration automatique des dettes publiques en cas d’aide européenne.

Le risque de contagion reste intact

Rassurés, les créanciers ne devraient donc pas trop sanctionner les pays fragiles en ajoutant des “primes de risque” à leurs taux. Mais à part ça, l’annonce de ce week end ne résout aucun des problèmes auxquels l’Europe est confrontée dans l’immédiat. La preuve, les bourses, brièvement dopées par les précisions sur le MES, ont rapidement rechuté lundi matin.

Et pour cause, plusieurs économistes restent persuadés qu’une restructuration de la dette de certains pays est inévitable, et qu’elle n’aura pas la politesse d’attendre 2013. “Nous avons une crise maintenant, et je n’ai encore trouvé personne qui m’explique ce qui va se passer avec les dettes existantes”, a expliqué Thomas Mayer, économiste en chef de Deutsche Bank, dans les colonnes du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. “Que va-t-il se passer avec ces titres si les programmes de consolidation ne fonctionnent pas ?”, s’interroge-t-il, en référence aux mesures d’assainissement budgétaire annoncées par la Grèce, l’Irlande ou encore le Portugal.

Quant à la solution retenue jusqu’en 2013, elle est pour le moins hasardeuse, puisqu’elle consiste à garantir la solidarité budgétaire entre Etats-membres. “Si les marchés refusent de prêter à un pays, ses voisins européens s’engagent à emprunter à sa place, explique Jean-François Jamet, économiste à Sciences Po. Résultat, les marchés ont tout intérêt à arrêter de prêter aux Etats fragiles, de spéculer sur leur défaut via les Credit Default Swaps (CDS), et de faire monter les taux sur la dette jusqu’à ce que les Etats soient obligés de prendre le relais”. Un petit jeu qui rapporte beaucoup aux spéculateurs et qui risque surtout de coûter très cher à la zone euro. Reste à savoir ce que l’UE peut faire pour sortir de cette spirale de la spéculation. Une piste intéressante a été présentée dimanche par l’eurodéputé Vert Pascal Canfin, qui souhaite imposer aux détenteurs de CDS sur dette souveraine de détenir la dette d’Etat sous-jacente.

En attendant, les partisans d’une plus grande intégration européenne pourraient paradoxalement se réjouir de cette “fédéralisation de facto de la dette”, sauf que “si l ‘Europe fédérale naît ainsi de la contrainte des marchés, ce n’est pas une bonne naissance, avertit l’économiste de Sciences Po. Cela suscite des réactions souverainistes”. Il n’y a qu’à voir le ressentiment aussi bien des Irlandais, dont la dette est désormais prise en charge par les partenaires européens, que des Allemands, qui en ont assez de payer pour les autres.

Laura Raim, L’Expansion.com

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