Côte d’Ivoire : l’argent, nerf de la guerre Gbagbo-Ouattara

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Cela fait plus de deux mois que la Côte d’Ivoire a deux présidents. Depuis l’annonce du résultat contesté du deuxième tour de la présidentielle, le contrôle des finances publiques du pays est au coeur de l’affrontement entre Laurent Gbagbo et son rival Alassane Ouattara. L’analyse de l’économiste Olivier Vallée.

Qui contrôle aujourd’hui le Trésor ivoirien ?

Il est sous le contrôle du clan Gbagbo. Certes, Charles Diby Koffi, ancien ministre des Finances du président sortant, est passé dans le camp Ouattara mais le directeur du Trésor lui reste fidèle. Il reçoit les recettes fiscales du pays et paie les dépenses de l’Etat.

La Côte d’Ivoire a fait défaut, mardi dernier, en décidant de ne pas honorer un remboursement prévu de longue date. Le camp Gbagbo est-il à court de liquidités ?

Ce n’est pas la première fois que la Côte d’Ivoire fait défaut. Le 31 décembre 2010 déjà, elle n’avait pas remboursé une traite. C’est la reconduction du principe qui prévalait avant la restructuration de la dette en 2010 : elle préfère payer les fonctionnaires plutôt que ses créanciers extérieurs. Ces derniers ont d’ailleurs fait une erreur en acceptant la restructuration avant les élections, comme gage de bonne tenue de la part du pouvoir, plutôt qu’après le scrutin. En le faisant à la suite des résultats, ils auraient eu un levier d’action dont ils ne disposent pas aujourd’hui, d’autant que d’autres défauts sont inévitables dans les semaines à venir.

Les exportations de cacao, un des piliers de l’économie ivoirienne, sont-elles affectées par la crise politique ?

Elles sont plus faibles que prévues car plusieurs embarquements n’ont pas eu lieu. Les navires battant pavillon européen, notamment, n’accostent plus à Abidjan ou San Pedro, l’autre grand port de la Côte d’Ivoire. Néanmoins, elles ne se sont pas arrêtées, malgré les injonctions d’Alassane Ouattara. Le Trésor continue donc de percevoir les droits uniques de sorties, c’est-à-dire les taxes à l’exportation, mais il éprouve tout de même des difficultés pour les faire rentrer.

Comme il s’agit d’une taxe à l’embarquement, elle peut être contournée. C’est le cas des exportations qui passent par les pays voisins plutôt que par la voie maritime. De plus, si une partie de la production cacaoyère est dirigée par des proches de Laurent Gbagbo, le secteur est largement contrôlé par des gens du Nord, c’est-à-dire des régions pro-Ouattara. Cela engendre des difficultés dans la perception des droits. Le cacao n’occupe plus cette place centrale qui était la sienne dans le budget de l’Etat.

Si la perception de cette taxe est rendue plus délicate, peut-on imaginer que Laurent Gbagbo ait du mal à payer ses fonctionnaires, en particulier l’armée, qui est une des clés de ce conflit ?

L’armée, même si elle a été renforcée ces dernières années, n’est pas très importante. Le paiement des salaires ne devrait pas être difficile. Ce qui pose des problèmes, c’est le règlement des primes aux forces parallèles : milices, bandes paramilitaires, etc. Toutefois, dans le passé, il est déjà arrivé que ces forces ne soient pas rémunérées à l’heure. Elles sont pourtant restées fidèles à Laurent Gbagbo. Le pillage peut être l’alternative pour se payer.

Ceux qui sont le plus susceptibles d’être affectés, ce sont les cadres moyens de l’administration, parmi les mieux lotis d’Afrique de l’Ouest et donc plus vulnérables en cas d’arrêt des versements de salaires. Ils n’ont toutefois pas beaucoup de moyens d’agir contre le régime du président sortant. Le système actuel peut donc durer. Probablement au-delà du mois de mars, que l’on présentait un peu comme la limite de longévité de la situation, d’autant que les recettes fiscales parviennent toujours au Trésor.

Alassane Ouattara dispose-t-il encore de moyens de pression ?

Il a déjà activé plusieurs leviers, sans que cela fasse plier Laurent Gbagbo. Il peut encore exiger le gel total des réserves ivoiriennes placées à la BCEAO, la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Il y en a peut être aussi à la Banque de France. Pour le moment, Ouattara n’a pas voulu bloquer ces fonds. De même, les sanctions contre le camp Gbagbo peuvent être rendues effectives, ce qu’elles ne sont pas tout à fait.

Il existe d’autres moyens de pression possible. Ainsi, la Côte d’Ivoire importe la majeure partie de son pétrole raffiné depuis le Nigéria, selon les statistiques de décembre. Est-ce encore le cas ? Si oui, le Nigéria dispose là d’un levier important, alors même qu’il a reconnu Alassane Ouattara.

Et comment le président élu se finance-t-il ?

Pour faire fonctionner l’hôtel du Golfe, siège de son gouvernement, il ne dispose pas de beaucoup de moyens, n’ayant aucun rouage de l’Etat avec lui. Il peut compter néanmoins sur le soutien, financier et politique, des anciens dignitaires du régime de l’ex-président ivoirien Houphouët-Boigny, mort en 1993.

L’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest est-elle en danger ?

Les pays de l’Hinterland, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas de frontière maritime, comme le Burkina Faso, le Niger, le Mali, sont affectés par la crise ivoirienne. Ils sont obligés d’importer à travers des pays qui ne sont pas dans la zone du franc CFA, comme la Guinée-Conakry et le Ghana. Cela participe au lent délitement de l’UEMAO, qui a commencé bien avant la crise.

Elie Patrigeon, L’Expansion.com

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