Comment la Chine cherche la parade face à Trump

FOIRE DE CANTON L'actuel bras de fer sino-américain était de toutes les discussions lors du gros événement d'import/export qui s'est récemment tenu dans la province du Guangdong. © reuters

A Dongguan, épicentre du “made in China” au sud du pays, les fabricants sont contraints de s’adapter face aux taxes douanières imposées par Donald Trump.

C’est une gamelle pour chien au coeur d’un combat entre deux molosses. Entièrement en inox, polie en son centre et peinte en beige sur le côté, elle fait partie des derniers produits lancés par EasyFactory, une PME d’environ 400 employés située à Dongguan, à deux heures de route de Canton, dans le sud de la Chine. ” Nous avons investi spécialement 350.000 yuans (44.000 euros) dans trois presses hydrauliques de 250 tonnes de pression, explique Jean-Charles Viancin, dynamique patron de34 ans, qui a ouvert son usine il y a huit ans dans cette zone industrielle du Guangdong. Cet investissement était indispensable pour maîtriser la qualité du produit en le fabricant de A à Z sans recourir à la sous-traitance. ”

Nos clients nous pressent d’accélérer les livraisons avant la fin de l’année en anticipation des hausses de droits de douane à venir. ” Ningbo Staxx Material Handling Equipment

Avec sa petite bague antidérapante en silicone, cette gamelle s’inscrit aussi dans la stratégie de diversification d’EasyFactory, jusqu’ici spécialisée dans les articles de cuisine. ” Difficile de ne pas acheter un moule en silicone en France qui ne vient pas d’ici “, sourit Jean-Charles Viancin au milieu de ses machines. Auchan, Système U ou Intermarché viennent tous passer commande ici.

Si la gamelle pour chien préoccupe l’entrepreneur ces dernières semaines, c’est qu’elle est victime de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Depuis le 24 septembre dernier, la voilà soumise à une taxe douanière additionnelle de 10 %, comme des milliers d’autres produits chinois listés lors de la dernière salve de mesures punitives décidées par Donald Trump. Elle tombe sous la catégorie ” autres articles en métal ” du chapitre 73 du code douanier américain. Et, à ce titre, son importation aux Etats-Unis est désormais taxée à 12,9 %, contre 2,9 % auparavant.

Il s’agit, pour l’heure, du seul produit d’EasyFactory concerné par les barrières tarifaires américaines. ” Ma grande crainte est que Trump décide de passer à 25 % à partir du 1er janvier et de taxer tous les produits “, explique Jean-Charles Viancin. Réalisant la moitié de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis, le jeune patron, manches retroussées, surveille l’affaire comme l’huile sur le feu. Il revient des Etats-Unis et reste en contact permanent avec ses clients américains.

Bouffée d’oxygène

A ce stade, les conséquences sont gérables. ” La Chine nous aide en laissant sa monnaie se déprécier face au dollar “, indique-t-il. Le yuan a perdu près de 10 % face à la devise américaine ces derniers mois, offrant une véritable bouffée d’oxygène aux entreprises exportatrices. Grâce à cela, Jean-Charles Viancin a décidé de ne pas répercuter la hausse de taxes douanières sur les prix de ses produits à destination de Etats-Unis. ” Mais j’ai prévenu mes clients que si le yuan remontait ou que si les taxes américaines passaient à 25 %, je ne pourrais plus continuer à faire cet effort. ”

Comme lui, des milliers d’entrepreneurs de Dongguan redoutent cette escalade des tensions commerciales. Sur le delta de la rivière des Perles, cette ville de 8 millions d’habitants est l’épicentre du made in China. Jouets, meubles, produits électroniques et informatiques, etc., des milliers de produits sont fabriqués ici avant de partir aux quatre coins de la planète depuis les ports de Canton ou de Hong Kong.

La province du Guangdong, où se situe Dongguan, est la plus commerçante du pays. A l’origine de plus du quart des exportations chinoises, elle est en première ligne face à l’offensive tarifaire américaine. Au cours des derniers mois, Donald Trump a mis en place des taxes douanières sur les panneaux solaires et les machines à laver (en janvier), puis sur l’acier et l’aluminium (début mars), avant d’accélérer nettement la cadence en ciblant l’équivalent de 50 milliards d’exportations chinoises (en juillet et août par des taxes à 25 %), puis sur 200 milliards de dollars supplémentaires (taxés à 10 % depuis le 24 septembre et devant passer à 25 % au 1er janvier). Près de la moitié des exportations chinoises vers les Etats-Unis sont désormais sous le coup de mesures punitives. Et Donald Trump a d’ores et déjà menacé d’en taxer la quasi-totalité !

FOIRE DE CANTON. Près de 25.000 entreprises chinoises ont présenté, durant trois semaines, des milliers de produits à quelque 200.000 acheteurs du monde entier.
FOIRE DE CANTON. Près de 25.000 entreprises chinoises ont présenté, durant trois semaines, des milliers de produits à quelque 200.000 acheteurs du monde entier.© reuters

Délocaliser

Si l’impact de droits de douane à l’échelle de la Chine est encore limité, certaines entreprises commencent déjà à en mesurer les conséquences. Evoquant un ” problème très difficile pour Ford “, le constructeur américain a renoncé à vendre aux Etats-Unis sa nouvelle voiture compacte Focus sortie de ses usines chinoises. Le fabricant de jouets Hasbro a, lui, annoncé vouloir délocaliser une partie de sa production hors de Chine. Dans l’électronique, les taïwanais Pegatron (fournisseur d’Apple et de Microsoft) et Compal, le sud-coréen Hynix, les japonais Mitsubishi ou Toshiba, songent tous à muscler leurs capacités sur d’autres sites en Asie.

Les grands industriels opérant en Chine ne sont pas les seuls à réfléchir à des stratégies d’évitement. Sourcify est une start-up américaine mettant en relation des acheteurs avec des fabricants. ” Pour une boîte américaine concevant des tee-shirts à partir d’un tissu acheté à Taïwan, nous lui avons proposé de ne plus faire fabriquer en Chine mais aux Philippines, explique Karan Daryani, l’un des responsables de plateforme. Cela fait plus de transports mais lui a permis de faire de grosses économies, car il n’y a pas de droits de douane sur ce produit entre les Philippines et les Etats-Unis. ”

La guerre commerciale va-t-elle accélérer les délocalisations déjà en cours depuis plusieurs années dans le Guangdong sous l’effet de la hausse des coûts et de l’appréciation du yuan ? ” Le Vietnam, l’Inde, les Philippines devraient continuer à récupérer des activités à forte intensité en main-d’oeuvre, comme le textile et le meuble “, pense Karan Daryani.

Faire le dos rond

C’est peu dire que l’actuel bras de fer sino-américain hantait les discussions à la foire de Canton, qui vient de fermer ses portes. ” Ces taxes sont un vrai choc que nous n’avons pas vu venir “, concède Zhaa Haifeng, responsable marketing chez Baodiao Locomotive, un fabricant de motos dont certains modèles sont désormais taxés à 25 % à l’entrée du marché américain.

Sur 1,2 million de mètres carrés, l’équivalent de 168 terrains de football, 25.000 entreprises venues de toute la Chine ont présenté, trois semaines durant, des milliers de produits à quelque 200.000 acheteurs du monde entier. Tracteurs, décorations de Noël, machines-outils, petit électroménager, etc., tout se vend et s’achète sur cette foire qui se tient deux fois par an et se veut le plus grand rendez-vous commercial de la planète.

L’inquiétude des fabricants diffère selon l’ampleur de leur exposition au marché américain. Dans les allées de la foire, beaucoup d’entre elles disent n’avoir pas d’autres choix que de faire le dos rond. ” Nous avons reçu des mails de nos clients américains nous demandant de faire un effort, mais nos marges sont déjà très faibles “, explique Song Xiyan, une vendeuse de LinkRich, fabricant du Guangdong spécialisé dans les équipements pour la restauration.

Sur le stand A10 du hall 1 de la zone A, le groupe YSD a, lui, décidé d’absorber une partie de la surtaxe de 25 % imposée sur ces machines à découpe laser. ” La décision américaine est encore récente et nous allons voir comment nous adapter mais, dans l’immédiat, nous avons baissé nos prix de 10 % “, explique Chen Qiyu, l’un des responsables des ventes. Ce dernier n’est pas trop inquiet : l’entreprise, qui effectue 20 % de ses exportations vers les Etats-Unis, profite de la croissance d’autres marchés. ” Comme le projet des nouvelles routes de la soie favorise les entreprises chinoises, nous compensons avec de nouveaux clients d’Asie centrale, du Moyen-Orient et d’Afrique “, poursuit-il. La guerre commerciale pourrait inciter certains fabricants à chercher de nouveaux débouchés.

“Produits convertis”

Peu d’entreprises disent constater à ce stade un fléchissement de leur vente aux Etats-Unis, un sujet ” sensible ” comme le glisse un exposant préférant botter en touche. Ningbo Staxx Material Handling Equipment, un fabricant d’équipements de manutention, constate même une hausse des exportations. ” Nos usines tournent à plein régime : nos clients nous pressent d’accélérer les livraisons avant la fin de l’année en anticipation des hausses de droits de douane à venir “, explique Jeremy Chow, le directeur des ventes. L’entreprise exporte principalement des transpalettes vers les Etats-Unis. Le petit modèle entièrement électrique est taxé à 25 % quand celui semi-électrique l’est à 10 %.

Il n’y a qu’en Chine que l’on peut concevoir un produit de A à Z avec une qualité bien supérieure et des délais de fabrication bien plus rapides que dans d’autres pays en Asie.” Sourcify

Staxx a trouvé une solution de contournement : au lieu d’envoyer les modèles 100 % électriques d’un seul tenant, il les convertit en modèles semi-électriques en retirant le moteur. Ensuite, lorsque le client américain reçoit le produit, il le reconvertit. Ce n’est pas forcément très simple, mais cela reste la solution la moins coûteuse. La combine, toutefois, risque de ne pas durer : la taxe sur les transpalettes semi-électriques doit passer à 25 % au 1er janvier. ” Je ne suis pas inquiet car nos clients américains auront toujours besoin de nos machines, indique Jeremy Chow. Nous dominons largement le marché mondial et le made in China coûte trois fois moins cher que le made in Germany. ”

Progresser dans la chaîne de valeur

Malgré la concurrence de pays à la main-d’oeuvre désormais moins chère, ” l’usine du monde ” n’a pas dit son dernier mot, cherchant à monter dans la chaîne de valeur avec le soutien des autorités publiques. La robotisation à marche forcée des chaînes de production est l’une des solutions, comme l’a démontré le rachat de l’allemand Kuka par le fabricant d’électroménager Midea, basé dans le Guangdong. Aucune autre région au monde n’est capable de réunir autant de compétences. ” Je suis dans une industrie semi-lourde avec 17 corps de métiers différents dans mon usine. Il n’y a qu’ici que j’ai tout sous la main dans un rayon de deux heures de route ! “, explique Jean-Charles Viancin.

Sur le pavillon international de la foire de Canton, Nguyen Phuong Dong, directeur des ventes du fabricant d’équipements électriques vietnamien Robot, multiplie les rendez-vous clients. ” Des Français sont venus visiter notre usine à Hô Chi Minh la semaine dernière, car ils réfléchissent à abandonner leurs fournisseurs chinois “, se réjouit-il. Tout sourire, il veut croire que la guerre commerciale sino-américaine lui apportera de nouvelles affaires.

Mais il se montre aussi lucide sur le chemin restant à parcourir : ” Nos salaires sont certes deux fois moins élevés qu’en Chine, mais nous n’avons pas les mêmes économies d’échelle “, indique-t-il. ” Il n’y a qu’en Chine que l’on peut concevoir un produit de A à Z avec une qualité bien supérieure et des délais de fabrication bien plus rapides que dans d’autres pays en Asie “, abonde le responsable de Sourcify. A Dongguan ou à Canton, toutes les PME rencontrées s’accordent en tout cas sur un point : les taxes douanières ne ramèneront pas d’usines aux Etats-Unis. N’en déplaise à Donald Trump.

Par Frédéric Schaeffer.

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