Comment la Belgique se fait sa petite niche fiscale

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En 2010, notre pays a attiré 50 % d’investissements étrangers de plus qu’en 2009. A l’heure où les multinationales mettent leurs sites en concurrence, les dispositions fiscales belges semblent porter leurs fruits.

“Optimaliser.” Voilà bien un terme que les états-majors des multinationales savent décliner lorsqu’il s’agit de choisir un site quelque part dans le monde pour localiser un nouvel investissement, voire, tout simplement, pour l’y maintenir. Naturellement, parmi les critères retenus, le poids de la fiscalité pesant sur les sociétés et le coût du travail figurent en général en très bonne place dans les critères d’appréciation.

Malheureusement, avec un taux facial à l’impôt des sociétés de 33,99 %, notre pays arrive pratiquement en queue de classement à l’échelle de l’Europe des 27. A ce niveau, seule l’Ile de Malte fait “mieux” que nous. Quant au coût horaire moyen de notre main-d’oeuvre, faut-il rappeler qu’il figure parmi les plus élevés du monde ?

Malgré ce contexte défavorable, la Belgique a attiré, en 2010, 50 % d’investissements de plus qu’en 2009, soit 38 milliards d’euros, selon les chiffres récemment publiés par la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement. Notre pays ne tire donc pas si mal son épingle du jeu sur l’échiquier mondial. C’est même, à l’échelon européen, un des meilleurs scores – les investissements ont diminué de 20 % globalement.

Depuis 2006, la technique des intérêts notionnels permet aux sociétés d'”essorer” leur base taxable à hauteur d’un pourcentage de leurs fonds propres corrigés. Cette mesure a non seulement permis de garder au pays nombre de QG de multinationales mais aussi d’attirer quelques mastodontes, tels Microsoft ou Google. La Belgique peut à présent tenir la dragée haute en matière de pression fiscale à l’Isoc car il suffit d’injecter des fonds propres en suffisance dans la société pour profiter à plein de la mesure. Mais cette dernière n’est pas suffisante pour faire la différence. Dans l’industrie ou les services, surgit en effet la problématique du coût salarial.

Les mesures qui attirent

L’annonce par Louis Schweitzer de la fermeture de Renault à Vilvorde avait à l’époque constitué une surprise totale. Mais au-delà des conséquences tangibles que cette restructuration avait engendrées, ce dossier a créé un électrochoc salutaire dans les milieux politiques et chez les partenaires sociaux. Bref, il a mené à une prise de conscience de la nécessité d’adapter nos législations fiscales et sociales aux réalités de la mondialisation, et de se donner les moyens d’être aussi à ces niveaux le “maître-achat” aux yeux des investisseurs étrangers.

Le “groupe des 10” – représentants des syndicats et des employeurs – s’est donc penché sur la problématique du coût des heures supplémentaires, du travail de nuit, du travail par équipes et a proposé des mesures correctrices, sur lesquelles le gouvernement fédéral a embrayé – à commencer le système de dispense partielle de paiement du précompte professionnel. Dans le cadre de négociations interprofessionnelles, le “groupe des 10” a donc proposé – et le gouvernement fédéral a suivi – que 32,19 % (pour les sursalaires à 20 %) et 41,25 % (pour les sursalaires à 50 ou à 100 %) du précompte professionnel restent acquis aux employeurs. Idem à hauteur de 15,6 % du précompte professionnel pour ce qui relève du travail de nuit.

“Ce genre de mesure est très apprécié par les entreprises : cela s’applique automatiquement et surtout, l’effet cash est immédiat”, explique Jean Baeten, responsable du département fiscal de la FEB. Dans la foulée, il pointe la mesure qui laisse aux employeurs l’équivalent de 75 % du précompte professionnel sur la rémunération de leurs chercheurs. “Combinée avec la fiscalité favorable sur les revenus/ royalties de brevets (Ndlr : une exonération à hauteur de 80 %) et la déduction pour investissements à 13,5 % du montant des investissements, cela fait vraiment de la Belgique un pays très intéressant aux yeux des firmes transnationales pour qu’elles développent chez nous leurs activités de R&D”, insiste-t-il.

Jean Baeten souligne toutefois que le grand-duché de Luxembourg, les Pays-Bas et, à présent, surtout la France, font du benchmarking en permanence en matière de fiscalité autour de la recherche. “Le régime de crédit d’impôt reportable – dans certains cas, remboursable – mis en place par la France peut faire de ce pays une Rolls-Royce à l’échelle mondiale. Cela dit, il faut maintenant donc se demander si nous voulons être le leader de la classe ou l’éternel Poulidor !”

Ne pas suivre l’exemple de la marine marchande !

L’insuffisance, voire l’absence, de benchmarking international de nos autorités peut entraîner la fuite de pans entiers de notre économie à l’étranger. Il en fut ainsi en matière de marine marchande, cette dernière s’étant mise à battre pavillon… luxembourgeois, un comble pour un pays qui n’a pas d’accès à une mer. La leçon a été comprise et les conclusions tirées, de sorte qu’aujourd’hui, en matière de marine marchande, de dragage ou de remorquage, la Belgique est un pays où il fait bon vivre.

Conserver nos activités industrielles, c’est bien ; attirer les investissements étrangers, c’est mieux. Dans cette optique, les corrections apportées à la législation fiscale et/ou sociale pour nous rendre plus compétitifs ne sont cependant pas l’apanage des tout grands secteurs ; on en trouve parfois à des niveaux complètement inattendus, voire a priori anecdotiques. C’est le cas de… la culture des champignons. “Même si l’agriculture ne pèse plus très lourd dans notre PIB, le poids du Boerenbond dans les coulisses du pouvoir est lui toujours bien de mise, nous confie un acteur de la concertation sociale. Le Boerenbond avait ainsi mis à l’agenda du groupe des 10 – dont il fait partie – cette question bien précise et il fut accédé à sa demande de voir le coût du travail dans la culture des champignons diminuer. L’Europe s’est toutefois opposée à la pérennisation de la mesure…”

Côté lobbys, on doit évidemment évoquer celui des diamantaires anversois. “Ils font souvent passer le message selon lequel ils envisagent de partir vers Israël pour les uns et Dubaï pour les autres, explique un proche du secteur. En 1999, nombre d’entre eux avaient été inquiétés par le fisc concernant la valorisation de leurs stocks mais un accord raisonnable fut ensuite trouvé entre les parties, en ce compris pour l’avenir en matière de marges brutes, de critères de bénéfice net, de rémunération des dirigeants de sociétés, etc.

Comme convenu, les mesures prises ont fait l’objet d’une évaluation concluante.” Plus récemment, Jan Jambon, chef de groupe N-VA au parlement fédéral, a mis sur pied, avec d’autres mandataires flamands, le Diamantclub, un groupe qui entend veiller aux intérêts des diamantaires. Certains sont en effet dans le collimateur du fisc suite au vol de données dans la filiale suisse du groupe bancaire HSBC.

Jean-Marc Damry

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