Brexit : “Nous devrons être durs”

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Le Royaume-Uni veut sortir de l’Union, soit. Mais le marché intérieur repose sur la libre circulation des biens, des services des capitaux et des personnes. Pas question de vouloir garder l’une et d’abandonner l’autre, dit Marianne Thyssen, qui prévoit donc de dures négociations avec Londres.

Commissaire européenne dans l’équipe Juncker depuis 2014, Marianne Thyssen est en charge de compétences lourdes comme l’Emploi, les Affaires sociales ou encore Eurostat… Elle est donc en première ligne pour négocier l’aspect du Brexit touchant à la liberté de circulation des personnes, pour fixer des limites aux tentatives de certains pouvoirs publics pour débudgétiser des dépenses ou pour essayer de réduire l’impact des licenciements collectifs comme Caterpillar à Gosselies.

En ce qui concerne Caterpillar, justement, la commissaire a constitué une task force avec les autorités belges. Celle-ci s’est déjà réunie plusieurs fois. Résultat : l’Europe peut activer rapidement plusieurs outils, et notamment le fonds européen d’ajustement à la mondialisation. Mais il faut pour cela, dit-elle, attendre la demande du gouvernement qui suivra après le résultat de la procédure Renault (la loi sur les licenciements collectifs) afin d’avoir une idée précise de la situation.

TRENDS-TENDANCES. Le parlement européen demande à l’Europe de légiférer pour punir les entreprises bénéficiaires qui décideraient de procéder à un licenciement collectif.

MARIANNE THYSSEN. Je peux comprendre ce type de proposition parce qu’à première vue on se dit qu’une telle situation n’est pas juste. Mais nous sommes dans une économie de marché, qui est, sinon le meilleur modèle, au moins le moins mauvais. Ce type de décision revient donc aux entreprises. Toutefois, comme le précise le traité européen, nous vivons dans une économie sociale de marché… Il existe des lois sur les licenciements collectifs. Ces lois doivent être respectées et nous veillons à ce qu’elles le soient.

La proposition du parlement européen vous paraît donc exagérée ?

Que les autorités décident s’il doit y avoir ou non des licenciements collectifs, c’est aller trop loin. Il faut veiller à ce que les entreprises osent encore investir et embaucher.

Combien l’Union européenne pourrait-elle débloquer pour soutenir la Région wallonne dans le dossier Caterpillar ?

C’est difficile à dire. La procédure Renault ne fait que commencer. Ce montant dépendra des projets qui seront introduits, mais il n’est pas illimité. Cependant, le fonds de globalisation s’adresse aux travailleurs licenciés, mais aussi aux sous-traitants, fournisseurs ou encore à ce qu’on appelle les NEETs (pour not in employment, education or training, Ndlr), soit ces jeunes de la région qui n’ont pas de travail, ne vont pas à l’école et ne suivent de formation. Ce fonds entend les aider dans leur réorientation professionnelle. Les compétences sont un élément essentiel. Lorsque l’on regarde les statistiques concernant les chômeurs de longue durée, on observe en effet que c’est moins l’âge que le niveau de formation et l’adéquation de l’enseignement au marché du travail qui sont déterminants. Des gens peuvent avoir de hauts diplômes universitaires, cela ne veut pas dire que ceux-ci sont adaptés au marché du travail.

Ceci expliquerait pourquoi la Belgique a un taux d’emplois laissés vacants relativement élevé ?

En Flandre, les entreprises ne trouvent pas de techniciens, le secteur du transport manque de chauffeurs… C’est un problème qu’on observe dans toute l’Europe. On sait que l’enseignement “dual” (à la fois à l’école et en entreprises) offre la meilleure chance de trouver du travail dans les pays qui pratiquent ce modèle, dont l’Allemagne est la championne. Il faut réfléchir aux moyens à mettre en place pour que l’enseignement et les instituts de formation travaillent avec les entreprises.

Lorsque l’on rencontre ces jeunes qui ont effectué un apprentissage dans une entreprise, on est étonné de l’incroyable fierté qu’ils ont d’avoir appris ces connaissances et de pouvoir les communiquer… Mais ce modèle n’est pas exportable partout facilement. Il fait partie d’une culture beaucoup plus large. J’ai un jour demandé à un patron allemand pourquoi les entreprises consentaient à ces lourdes dépenses. Il m’a répondu : demandez-vous plutôt ce qui se passerait si nous n’investissions pas. Je suis heureuse que ce modèle continue à se développer également dans nos régions en Belgique.

Pour faire repartir l’investissement, on voudrait mobiliser davantage l’argent public. Mais les règles budgétaires européennes empêchent souvent cette pratique.

Depuis le début de cette commission, nous envisageons cette problématique comme un triangle. D’un côté, il faut une responsabilité budgétaire des Etats membres parce qu’on a besoin de stabilité financière. De l’autre, il faut des réformes structurelles. Et oui, ce qui manque clairement c’est le dernier sommet, les investissements. Le capital privé existe, il est important (il suffit de voir ce qui est déposé chez nous sur le livret d’épargne) mais il n’ose pas prendre le risque d’investir. Nous travaillons donc à construire (en créant un marché unique des capitaux, un marché unique du digital, etc.) un climat plus attractif pour inciter les entrepreneurs à lancer des projets, les développer, embaucher. C’est aussi l’objectif du plan Juncker.

Le plan Juncker, il fonctionne ?

Oui, il fonctionne ! L’objectif était de débloquer 315 milliards en trois ans. En un peu plus d’un an, nous sommes déjà à 138 milliards. La Commission a décidé de porter l’objectif à 500 milliards pour la fin de sa législature (fin 2019, Ndlr) et de le porter à 630 milliards d’ici à 2022.

Revenons aux investissements publics. Il y a de la marge pour en avoir plus ?

Oui. Il y a un espace. Il n’est pas énorme. Il faut continuer à respecter le pacte de stabilité et de croissance, qui fixe les limites d’endettement à 60 % du PIB et de déficit à 3 %.

Donc pas question de revoir ces critères ?

Ces limites de 60 % et 3 % sont dans le traité. Le revoir présupposerait l’unanimité et déclencher une lourde procédure de révision… Et d’ailleurs, la crise nous a rapprochés de ces règles, qui doivent être au contraire plus strictement respectées. Les racines de la crise se situent en effet dans l’excès de dettes des banques et des pouvoirs publics avec un effet de contamination de l’un sur l’autre. Il ne faudrait donc pas ouvrir trop vite les vannes des dépenses publiques. Les agences de notation recommenceraient à s’inquiéter, les taux remonteraient et une série de pays fortement endettés se retrouveraient plongés dans de graves difficultés. Même si l’endettement de la zone euro a pu être stabilisé, il reste encore de sérieux efforts structurels à réaliser.

Certains trouvent l’Europe trop rigide.

Ce n’est pas un dogme. Déjà en 2015 nous avons introduit de la flexibilité notamment pour les pays en récession ou dont l’économie fonctionne clairement en dessous de son potentiel. Cette Commission tient également compte de dépenses inattendues, comme celles pour faire face à la crise des réfugiés ou aux menaces terroristes. Elles n’entrent pas en ligne de compte quand on analyse le budget d’un Etat membre. Et lorsqu’un Etat membre s’écarte de sa trajectoire budgétaire, la sanction n’est pas automatique. Nous regardons les réformes structurelles que le pays a réalisées. Le Portugal ou l’Espagne se sont ainsi écartés de leur trajectoire sans être sanctionnés pour autant. Cela étant dit, je pense, mais c’est un avis personnel, que nous devrions évaluer ces règles budgétaires.

Vous vous prononcez pour un assouplissement ?

Je dis : “évaluer”… se demander quelles sont les conséquences de ces règles et si elles ont des effets inattendus sur la croissance et sur l’emploi. Mais je le répète, il ne s’agit pas d’ouvrir les vannes, surtout pour un pays comme le nôtre dont l’endettement dépasse les 100 % du PIB. Cette Commission applique les règles avec sagesse et de façon intelligente.

Une autre critique faite à l’Europe concerne la trop grande sévérité d’Eurostat, qui ne permet plus de faire sortir du budget certaines dépenses via des partenariats public-privé (PPP). La Région flamande a par exemple été obligée de reprendre dans ses livres le financement du ring d’Anvers.

Les critiques proviennent presque exclusivement de Belgique. Il y en a deux principales. La première reproche à Eurostat d’obliger d’amortir un investissement public en une fois lorsqu’il a été décidé. Ce n’est pas vrai, l’amortissement se fait lorsque le projet devient opérationnel, et quand il s’agit d’un grand projet, il peut s’étaler sur plusieurs années. Et puis il y a les PPP. La règle est claire : si le risque économique reste à l’Etat, le projet entre en ligne de compte pour le calcul de la dette publique. Si le risque économique revient au privé, il pourra être sorti du budget. Mais comme ces contrats de PPP sont souvent complexes, nous avons demandé à Eurostat d’établir des guidelines. Autre nouveauté : ces informations seront désormais publiques. Avant, elles ne l’étaient pas. Parce que les Etats membres refusaient qu’elles le soient (pour protéger peut-être certains secrets de fabrication). C’est donc devenu beaucoup plus transparent.

Un autre dossier lourd pour la Commission, c’est la préparation du Brexit. Alors, il sera “hard” ou “soft” ?

D’abord je regrette cette décision. Ensuite, il faut attendre la notification officielle. Pas de négociation sans notification. Les discussions qui auront lieu ensuite devront en premier lieu protéger l’intégrité de l’Union. Le plus important est que les 27 membres qui y restent disent : “l’Europe n’est pas finie, nous continuons à aller de l’avant”. Le marché intérieur est indivisible et basé sur quatre libertés : la libre circulation du capital, des services, des biens et des personnes. C’est tout ou rien. Londres ne pourra pas effectuer un pick and choose de type “nous prenons la libre circulation des biens et des services mais pas celle des personnes”. Si on accepte des exceptions ou des aménagements avec un pays, les Etats membres demanderont d’en bénéficier aussi. Ce serait la fin de notre marché intérieur. Nous serons durs. Oui, nous devrons négocier durement.

Deux anciens commissaires, Manuel Barroso et Neelie Kroes ont défrayé récemment la chronique, le premier en étant embauché par Goldman Sachs, la seconde pour avoir caché un mandat d’administrateur dans une société offshore quand elle était commissaire. Ce n’est pas bon pour l’image, non ?

Il y a une différence à faire entre le cas de Manuel Barroso, qui a respecté la période de 18 mois et notifié à la commission qu’il allait travailler pour Goldman Sachs. Et le cas de Neelie Kroes, qui, pendant qu’elle était commissaire, n’a pas, selon les informations dont je dispose, informé la commission qu’elle avait un mandat par ailleurs. Mais oui, cela a eu un très mauvais impact, qui touche d’ailleurs la Commission dans son ensemble et éclabousse au final l’entièreté du monde politique. Pourtant, à la Commission, nous avons les règles les plus sévères. Nous demandons aux anciens commissaires de respecter une période de cooling off de 18 mois avant d’embrasser de nouvelles fonctions. Et un comité d’éthique évalue s’il y a ou non conflit d’intérêts.

Il faudrait renforcer ces interdictions ?

A un certain moment, ces choix relèvent de l’éthique personnelle. Je ne pense donc pas qu’une réglementation plus sévère soit la solution. Quand je suis devenue commissaire, j’ai quitté entre autres mes fonctions à l’administration de la KU Leuven. C’était la règle. Je l’ai respectée. Quand j’étais membre du parlement européen, j’ai reçu un jour une proposition pour être administrateur d’un grand groupe de construction. La statut du parlementaire européen le permet. Il faut juste le déclarer en ligne. J’ai cependant considéré que cela n’allait pas. Mais c’était un choix personnel.

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