Brexit: des négociations sous pression

Theresa May. © ISOPIX

Les prochains mois s’annoncent rudes pour Theresa May, qui veut éviter un Brexit en catastrophe.

Pour le Brexit, 2018 sera l’année de tous les dangers. La procédure pour quitter l’Union européenne prévoit un délai de deux ans à partir du jour où Theresa May a déclenché l’article 50, en mars 2017. Ainsi, le Brexit doit avoir lieu le 30 mars 2019. Pour les négociateurs de l’Union européenne (UE), cela veut dire qu’un accord sur les conditions du divorce doit être trouvé à l’automne 2018, afin de laisser aux gouvernements de l’UE et au Parlement européen le temps de donner leur feu vert. Du fait du manque de temps, les premiers mois de 2018 vont être particulièrement tendus. Entre-temps, le gouvernement de Theresa May a conclu un accord-cadre sur les droits des ressortissants de l’UE au Royaume-Uni et des citoyens britanniques en Europe, et s’est aussi entendu dans les grandes lignes avec l’UE sur le montant que le Royaume-Uni devra payer pour son départ.

La première conclusion qui s’impose est qu’il faut négocier dès maintenant les modalités d’une transition après mars 2019 afin d’éviter un Brexit en catastrophe. La seule transition envisageable à l’heure actuelle est fondée sur un statu quo, à savoir que le Royaume-Uni doit accepter les obligations qu’entraîne l’appartenance à l’UE, mais sans commissaire, sans droit de vote et sans députés au Parlement européen.

Accord sur mesure

Même là-dessus il va être difficile de s’entendre. L’UE ne va pas vouloir jeter des passerelles avec le Royaume-Uni tant qu’elle ne saura pas où elle va, tandis que les partisans du Brexit vont se méfier de tout ce qui pourrait ressembler à une volonté de maintenir plus longtemps le Royaume-Uni dans le club. Pour ce qui est de l’avenir, Theresa May estime que le Royaume-Uni doit quitter le marché unique et l’union douanière, mais bénéficier d’un accord sur mesure et d’un partenariat étendu. Elle espère qu’un tel accord ne portera pas uniquement sur le libre-échange, mais aussi sur la coordination réglementaire, ainsi que sur la coopération en matière de sécurité extérieure et intérieure. Il est vrai que l’UE et le Royaume-Uni ont beaucoup à gagner d’un tel accord. Pourtant, l’UE reste convaincue que le Royaume-Uni ne saurait bénéficier de meilleures conditions que lorsqu’il était un membre à part entière. Et l’expérience prouve qu’il faudra des années pour parvenir à un accord – et qu’il faudra encore plus de temps pour le ratifier, dans la mesure où il faudra l’aval de tous les parlements nationaux et de plusieurs parlements régionaux.

Grosse difficulté pour Theresa May : le Parlement exige que n’importe quel accord final en vue du Brexit soit soumis au vote des députés.

Le caractère tortueux des négociations va entraîner deux autres grosses difficultés pour Theresa May. Premièrement, le Parlement exige que n’importe quel accord final en vue du Brexit soit soumis au vote des députés. Or les torys de Theresa May ont perdu leur majorité à la Chambre des communes lors des législatives de juin 2017, et ils sont également minoritaires à la Chambre des Lords. Ni les torys rebelles ni les unionistes démocrates d’Irlande du Nord, qui soutiennent officiellement Theresa May, n’ont intérêt à imposer une nouvelle élection qui risque de porter au pouvoir le travailliste Jeremy Corbyn, mais ils peuvent pourrir la vie à un gouvernement déjà fragile.

Bravaches

Deuxièmement, des députés rebelles, des négociateurs de l’UE récalcitrants et la complexité même du Brexit pourraient former un cocktail détonant et convaincre certains jusqu’au-boutistes du Parti conservateur, voire certains ministres, que l’absence d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord. Boris Johnson, le ministre des Affaires étrangères, et Liam Fox, le secrétaire d’Etat au Commerce international, estiment depuis longtemps que le Royaume-Uni n’a rien à craindre à quitter l’UE et à commercer avec elle dans les conditions normales de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). A l’instar de son ministre des Finances, Philip Hammond, et de la plupart des économistes, Theresa May estime que ce serait un résultat désastreux. Mais le risque de voir le Royaume-Uni en arriver là par défaut est important, soit parce que le délai sera écoulé, soit parce que les négociations seront au point mort.

Du Brexit et de son dénouement dépendra également l’avenir de Theresa May elle-même. Le Parti travailliste et même de nombreux conservateurs pensaient qu’elle démissionnerait peu de temps après avoir transformé la majorité conservatrice en minorité, au mois de juin. Si elle a obtenu un sursis, c’est avant tout parce qu’on ne faisait confiance à personne d’autre pour conclure le Brexit. On s’attend à ce qu’elle quitte son poste peu après, soit au plus tard dans le courant de 2019. Cela donnerait à un nouveau dirigeant un ou deux ans pour faire retrouver aux torys une crédibilité avant la prochaine élection de 2022.

Les plus grands obstacles à ce scénario et à un Brexit en douceur sont les craintes grandissantes concernant l’économie, dont la croissance s’est nettement ralentie fin 2017, alors même que d’autres économies européennes ont connu une embellie. Le vieil argument en faveur du Brexit selon lequel un Royaume-Uni dynamique était plombé par le cadavre européen auquel il était enchaîné aura perdu toute pertinence en 2018. Cela pourrait non seulement rendre les négociations du Brexit plus difficiles, mais aussi saper définitivement la prétention des torys à la plus grande compétence économique, qui a tant contribué à les maintenir au pouvoir depuis sept ans. Même si Theresa May tire sa révérence assez rapidement, son parti pourrait avoir du mal à retrouver la confiance des électeurs, quelle qu’ait été son habileté à négocier le Brexit.

Par John Peet.

– En bref –

Le Royaume-Uni du Brexit fonde ses espoirs sur le Commonwealth : ses dirigeants se rencontrent à Londres en avril, à l’occasion de la réunion des chefs de gouvernement de cette institution (CHOGM).

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