Bonis de liquidation : 10 % maintenant pour éviter 25 % plus tard…

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Le gouvernement fédéral a décidé de soumettre les bonis de liquidation à 25 % à partir du 1er octobre 2014. Une phase transitoire permet cependant d’y échapper, du moins en partie.

Dans la tête de tout dirigeant d’entreprise, la question du passage de témoin finit tôt ou tard par se poser. Au-delà des scénarios classiques, comme la montée en puissance de la génération suivante ou de la revente des actions de la société à un tiers (lire l’encadré en p. 34), dans certains cas c’est “l’euthanasie” — la liquidation volontaire — de la société qui est retenue. Dans un tel cas de figure, les actifs sont alors réalisés et les passifs à l’égard des tiers réglés. Quant à l’excédent qui en résulte, il est tout simplement partagé entre les actionnaires. Tout simplement ? Que nenni ! Si une opération de liquidation est a priori simple à imaginer sur le plan du principe, le mode opératoire l’est beaucoup moins, tant les formalités sont lourdes et nombreuses (acte notarié de mise en liquidation, désignation d’un liquidateur, homologation de ce dernier par le tribunal de commerce, réalisation des actifs et règlement des passifs, acte notarié de clôture de liquidation…). Sans compter les considérations d’ordre fiscal qui entourent le processus, sachant que le législateur a, au fil du temps, réduit les avantages entourant les liquidations de sociétés. Oubliée cette époque bénie où les bénéfices réalisés durant la phase de liquidation n’étaient taxés qu’à hauteur de la moitié du taux normal de l’impôt des sociétés (Isoc). Révolue aussi l’époque où les sommes attribuées aux actionnaires (pour ce qui excède le capital) n’étaient frappées d’aucune retenue fiscale ! L’eau a coulé sous les ponts.

Ainsi, au-delà d’une taxation au taux normal de l’Isoc des bénéfices réalisés pendant la période de liquidation, il faut aussi compter un précompte de 10 % sur les attributions faites aux actionnaires, taux dont on sait par ailleurs à présent qu’il passera à 25 % à dater du 1er octobre 2014…

Remise en cause préjudiciable mais… Inutile de le nier, pour beaucoup d’indépendants la motivation première d’exercer sous le couvert d’une société est essentiellement fiscale. En effet, face à un taux marginal d’imposition de 50 % à l’impôt des personnes physiques (IPP), sans même encore considérer les additionnels communaux, ils ont légitimement capitalisé sur le scénario classique consistant à ne retirer de leur société que la rémunération souhaitée — le “nécessaire” — et/ou optimalisée tout en profitant des nombreux avantages de la formule sociétaire (dont par exemple la possibilité de souscription d’assurances du 2e pilier) et à laisser l’excédent taxé au taux de l’Isoc (entre 24,98 et 35,54 %), soit bien en deçà du taux de l’IPP.

Cet excédent, plutôt que d’être prélevé au fur et à mesure sous la forme de dividendes soumis au précompte mobilier, était souvent laissé au sein de la société, facilitant ainsi la croissance de cette dernière par autofinancement mais aussi avec en ligne de mire l’idée sous-jacente de le reprendre “en fin de course” sous le régime fiscal favorable des bonis de liquidation… Reste qu’en soumettant à dater du 1er octobre 2014 les bonis de liquidation à un précompte mobilier de 25 % (au lieu de 10 %), le gouvernement fédéral a fait le choix d’aligner la taxation des bonis de liquidation sur celle des dividendes. Et donc à décourager la mécanique… Si de surcroît on ajoute l’effet de cette mesure au rabotage récurrent des avantages offerts par le régime des intérêts notionnels, il ne faudra pas s’étonner par la suite de voir la structure financière des sociétés se détériorer…

Les “droits acquis” seront préservés Lorsque décision fut prise de soumettre les bonis de liquidation à un précompte de 10 %, celles et ceux qui avaient capitalisé sur le bénéfice de l’exonération à terme en avaient alors été pour leur compte. “Cette fois, s’agissant de faire passer ce taux de 10 à 25 %, le législateur a agi avec bien plus de discernement, explique Pierre-François Coppens, chargé d’études à l’IEC et conseil fiscal indépendant. Déjà, un régime de transition a cette fois été prévu afin d’éviter des liquidations massives de sociétés pendant la période où le précompte mobilier de 10 % reste encore applicable (Ndlr, jusqu’au 1er octobre 2014).

Ainsi, concrètement, depuis le 1er juillet 2013, il est possible de distribuer tout ou partie des réserves taxées (en ce compris le “résultat reporté”) avec un précompte mobilier de 10 %. A une seule condition cependant : les montants nets engrangés de la sorte doivent être réinjectés dans la société sous la forme d’une augmentation de capital. Sous l’angle formel, il ne pourra toutefois s’agir d’une simple écriture comptable consistant à transférer des réserves ou du résultat reporté vers le capital.

Il faudra dans les faits procéder à une augmentation de capital en bonne et due forme, avec les lourdeurs et les coûts liés à l’acte notarié. Mais là où le bât blesse, c’est que toutes les sociétés n’ont pas nécessairement devant elles tout le cash nécessaire au paiement du dividende dont il est question, et donc à la réalisation de cette opération !

Dans un tel cas de figure, on ne pourrait donc s’en sortir que via une augmentation de capital par apport en nature de créance à hauteur du dividende net octroyé. C’est techniquement faisable mais au prix d’un recours aux services d’un réviseur d’entreprises, avec toute la lourdeur et les coûts que cela implique !”

Au-delà, le législateur a anticipé l’effet boomerang que ce genre de distribution de dividendes aurait pu engendrer : la perte du taux réduit à l’Isoc, dès l’instant où les dividendes distribués excèdent 13 % du capital. A ce niveau-là on ne tiendra pas compte de la distribution des dividendes dont les montants seront affectés à une augmentation de capital pour déterminer la limite des 13 %.

Un encadrement légal strict La possibilité de distribution de réserves taxées (et/ou de résultat reporté) avec retenue de précompte mobilier de 10 %, suivie de l’augmentation de capital à hauteur du montant net engrangé, est cependant limitée dans le temps. “Ce régime ne pourra en effet être appliqué qu’aux opérations réalisées au cours de l’exercice clôturé avant le 1er octobre 2014, souligne Pierre-François Coppens.

Par ailleurs, le texte dit aussi que ce taux de 10 % ne pourra être appliqué qu’aux réserves taxées (Ndlr, et/ou bénéfices reportés), telles qu’approuvées par une assemblée générale tenue au plus tard le 31 mars 2013. Bref, pour les sociétés qui ont clôturé leurs comptes le 31 décembre 2012, cela revient en fait presque toujours à prendre en référence le niveau des réserves au 31 décembre… 2011 puisque, par nature, la plupart des sociétés dont l’exercice comptable coïncide avec l’année civile tiennent leur assemblée générale annuelle statutaire en mai ou en juin.”

Sortie de fonds à des conditions intéressantes Sous l’angle fiscal, les montants qui auront fait l’objet d’une augmentation de capital seront bel et bien traités comme du capital et non comme des réserves incorporées au capital. Concrètement, cette nuance juridique implique qu’à l’occasion de la liquidation de la société, ces sommes seront remboursées aux actionnaires comme du capital, bref, comme une forme de remboursement de la mise, et donc forcément sans aucune retenue de précompte mobilier !

“Au-delà, le capital ainsi constitué peut en principe être également remboursé en exemption d’impôt, sous la forme d’une réduction de capital, reprend Pierre-François Coppens. Ce capital doit toutefois être maintenu dans la société pendant un certain temps. Si la société ne respecte pas cette condition, la réduction de capital opérée pendant cette période sera considérée comme une distribution de dividendes, et précomptée comme telle.

En principe, la période de conservation du capital est de huit ans. Une période plus courte a cependant été prévue pour les PME. Pour ces dernières, elle est de cinq ans avec, en sus, une dégressivité de la taxation.” Le taux est 15 % en cas de reprise de fonds durant les deux premières années, 10 % durant la troisième année et 5 % dans la quatrième année. En plus, bien sûr, des 10 % de précompte retenus lors de l’attribution du dividende destiné à financer l’augmentation de capital !

On imagine en tout cas aisément que nombre de sociétés vont profiter de cette forme d’effet d’aubaine, préférant payer tout de suite 10 % pour éviter de devoir payer 25 % plus tard. Pour le gouvernement fédéral, l’effet one shot que ces rentrées de précompte mobilier impliqueront sur les exercices budgétaires 2013 et 2104 aidera bien entendu notre pays à rester dans les balises fixées par l’Europe…

JEAN-MARC DAMRY

Liquider plutôt que revendre ? Sachant qu’il n’y a normalement pas de taxation sur la plus-value réalisée à l’occasion de la cession des actions, pourquoi compliquer les choses en procédant à une liquidation avec, en sus, une taxation des bonis de liquidation à hauteur de 25 % ? Autant opter pour la revente. Mais c’est plus vite dit que fait. D’abord parce que les banques sont plus rétives à financer des rachats d’actions que des rachats d’actifs. Et aussi parce que les acheteurs préfèrent acheter des biens amortissables — donc déductibles fiscalement — que des actions, par nature non déductibles. Enfin, demeure la question du “passif occulte” ; quid, pour l’acheteur des titres, des conséquences d’un contrôle fiscal portant sur la période antérieure à la cession des titres et qui tournerait mal ? Quid aussi des conséquences d’un procès en responsabilité introduit après la cession mais portant sur des éléments antérieurs à celle-ci ? Des conventions de garantie de passif sont bien entendu imaginables. Reste cependant à pouvoir les faire appliquer… Liquider et repartir de zéro ? D’aucuns imagineraient procéder à la liquidation immédiate de leur société, à subir le précompte de 10 % sur le boni de liquidation, à créer une nouvelle société et ensuite redémarrer les affaires au départ de celle-ci. Le boni de liquidation dégagé dans ce contexte serait dans bien des cas plus important que le montant des réserves taxées figurant au bilan du 31 décembre 2011. Cette opération peut s’avérer plus intéressante, à tout le moins sur le papier, que la distribution de dividendes soustraits au précompte à 10 % suivis de l’augmentation de capital. “Au-delà, au regard de la doctrine du step by step appliquée par l’administration, j’ai bien peur que ces opérations soient en fin de compte considérées comme des abus, avec toutes les conséquences que cela entraîne, souligne Pierre-François Coppens. Reste que si on arrive à démontrer une motivation autre que purement fiscale, l’opération pourrait être envisagée.”

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