Affaire Tapie: ce que risque Christine Lagarde

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Christine Lagarde va faire l’objet d’une enquête pour “complicité de faux” et “complicité de détournement de biens publics”. L’ex-patronne de Bercy, qui a le soutien du FMI, minimise les conséquences. Explications.

La Cour de justice de la République (CJR) vient de trancher : Christine Lagarde, ex-ministre de l’Economie fraîchement promue à la tête du Fonds monétaire international (FMI), fera bien l’objet d’une enquête. En cause, son rôle dans le règlement de l’affaire Tapie/Crédit Lyonnais fin 2007, lorsqu’elle était aux commandes de Bercy. La commission des requêtes de la CJR pouvait classer sans suite le dossier ou rendre un “avis favorable” à une enquête. Elle a finalement choisi la deuxième option.

D’où vient cette décision ? Christine Lagarde, qui a pris la tête du FMI à Washington le 5 juillet, aurait dû savoir dès le mois dernier si son mandat allait être parasité par une enquête de la justice française. Le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, a saisi la commission des requêtes de la CJR dès le mois de mai, à la demande de députés socialistes.

Dès 2010 en fait, des parlementaires avaient en effet contesté en justice la décision prise par Christine Lagarde de recourir à un tribunal arbitral pour le règlement de l’affaire Tapie/Crédit Lyonnais. Mais le 31 décembre 2010, la cour administrative d’appel de Paris a jugé la démarche irrecevable.

En février, c’était au tour de la Cour des comptes d’estimer que le tribunal arbitral n’était pas conforme au droit. Les magistrats considéraient que l’Etat aurait dû interroger le Parlement, et qu’il y a donc eu “un défaut d’autorisation législative”. Fin mars, la commission des finances de l’Assemblée nationale avait aussi publié un rapport d’information sur les sommes allouées par l’Etat à Bernard Tapie.

La commission des requêtes de la CJR, qui s’est finalement réunie le 8 juillet, a d’abord reporté sa décision car l’un de ses membres, la magistrate à la Cour des comptes Laurence Fradin, épouse de l’ancien ministre Pierre Joxe, s’est récusée à la dernière minute. Elle a finalement tranché ce jeudi.

Qu’est ce que la justice veut savoir ? Pour Jean-Louis Nadal, plusieurs éléments laissent penser à un “abus d’autorité” de Christine Lagarde dans la procédure d’arbitrage qui a mis fin en juillet 2008 au conflit entre Bernard Tapie et l’ancienne banque publique Crédit Lyonnais, au sujet de la vente d’Adidas en 1993.

Le tribunal arbitral, une juridiction privée, a condamné le Consortium de Réalisation (CDR), la structure publique qui gérait le passif du Crédit Lyonnais, à verser à Bernard Tapie 285 millions d’euros d’indemnités, soit 400 millions d’euros avec les intérêts. Alors qu’à l’époque Bercy avait estimé que Bernard Tapie ne devrait réellement toucher qu’entre 20 et 50 millions de l’Etat, il aurait, selon certains parlementaires, empoché plus de 200 millions d’euros.

Trois points font polémiques. D’abord, le fait que Christine Lagarde ait choisi, en 2007, un arbitrage privé plutôt que la voie judiciaire. Et ce contre l’avis des services du ministère, alors même que l’Etat avait gagné en 2006 devant la Cour de cassation, la plus haute juridiction du pays.

Ensuite, la convention d’arbitrage a été modifiée pour permettre l’attribution de 45 millions d’euros au seul titre du “préjudice moral”. Dernier point, Christine Lagarde a renoncé, au nom de son ministère, à un recours contre le résultat de l’arbitrage, pourtant recommandé par ses services

Que va-t-il se passer maintenant ? Le procureur général près la Cour de cassation doit maintenant saisir la commission d’instruction de la CJR, qui mènera des investigations. Jean-Louis Nadal étant parti en retraite fin juin et son successeur Jean-Claude Marin n’ayant pas encore pris ses fonctions, les démarches reviennent à la doyenne des premiers avocats généraux. Cécile Petit, qui assure l’intérim, devrait saisir la commission “dans les prochains jours”.

L’enquête portera sur les chefs de “complicité de faux” et “complicité de détournement de biens publics”, des chefs passibles de dix ans de prison et 150 000 euros d’amende. Une peine plus lourde que celle pour “abus d’autorité”, un délit passible de cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. Le chef de “complicité de faux “a été retenu car le compromis d’arbitrage du litige a été modifié à une étape de la procédure, permettant aux époux Tapie de toucher 45 millions d’euros au seul titre du préjudice moral, une “anomalie de nature à constituer un faux”, selon une source judiciaire.

L’avocat de Christine Lagarde a contesté ce choix. “C’est le fait d’avoir mis dans le compromis d’arbitrage, le terme de préjudice moral à la place de préjudice personnel”, a estimé Me Yves Repiquet Or l’ancienne ministre de l’Economiste n’avait pas connaissance de ce changement. En conséquence, “comment voulez-vous qu’elle soit complice d’une chose pareille?” “J’ajoute que ce n’est pas un faux. Un projet qui change n’est pas un faux. Un faux, c’est quand vous altérez l’authenticité d’un document”, a-t-il poursuivi. Concernant la complicité de détournement de biens publics, Yves Repiquet juge que le choix de la commission des requêtes de la CJR est “de la folie pure”.

Christine Lagarde sera-t-elle jugée ? Si l’enquête apporte suffisamment d’éléments, Christine Lagarde pourrait être renvoyée devant la CJR, chargée de juger les faits reprochés aux membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions. Mais pas dans l’immédiat : l’enquête sera longue et la patronne du FMI ne sera probablement pas jugée avant plusieurs années. Depuis sa création en 1993, la CJR a examiné plus d’un millier de plaintes et n’a jugé que six ministres.

Quels sont les risques pour sa carrière au FMI ? Quelques minutes après l’annonce de la décision de la CJR, l’avocat de Christine Lagarde Yves Repiquet a assuré que l’enquête n’est “aucunement incompatible” avec ses “fonctions actuelles de directrice générale” du FMI.



Le Fonds a d’ailleurs indiqué que les Etats membres représentés au conseil d’administration faisaient confiance à la directrice Christine Lagarde, malgré l’ouverture de l’enquête. “Le conseil d’administration est convaincu qu’elle pourra remplir efficacement ses devoirs de directrice générale”, a affirmé l’institution dans un communiqué, rappelant que l’éventualité d’une telle enquête avait déjà été discutée avant sa nomination à ce poste.

“Que la commission des requêtes décide ou non de poursuivre ou non les investigations, j’ai exactement la même confiance et la même sérénité”, avait de son côté déclaré l’intéressée le 6 juillet, quelques jours après sa nomination au FMI.

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