A nouveau maîtres du monde

Le 6 mars 2009, six mois après la faillite de la banque Lehman Brothers, les perspectives paraissaient sombres pour les grandes entreprises américaines. General Motors (GM), autrefois toute-puissante, s’interrogeait publiquement sur sa viabilité, le cours de l’action General Electric avoisinait son plus bas niveau depuis 18 ans, Citigroup voyait ses actions se négocier à moins de 1 dollar, et l’indice Dow Jones terminait la séance en deçà de 6.627 points, soit un recul de 50 % par rapport au sommet sans précédent atteint moins de deux années auparavant. Il n’y aurait bientôt plus que trois entreprises américaines parmi les 10 premières du monde en termes de capitalisation boursière, contre six au début de l’année.

Les entreprises américaines étaient en passe de ne plus représenter que 40 % du top 50 mondial, contre 50 % précédemment. Autrefois considérées, y compris en Chine communiste, comme des modèles pour le reste de la planète, les entreprises américaines étaient détrônées. Or le vent a très nettement tourné et, en 2014, elles vont reprendre la tête du classement.

En début d’année, les grandes entreprises américaines seront majoritaires dans les 10 premières capitalisations boursières dans le monde et constitueront près des deux tiers du top 50. Les marchés boursiers sont par nature imprévisibles, mais nul ne s’étonnera de voir le Dow Jones célébrer les cinq ans de son point le plus bas en affichant un niveau record, quelque 10.000 points au-dessus de son niveau de mars 2009.

Rebond Ce rebond s’explique en partie par le fait que les dirigeants américains ont mieux réussi que leurs homologues européens à relancer l’économie après la crise financière. La demande s’est progressivement rétablie et s’accélérera en 2014 grâce à la vigueur retrouvée du marché immobilier, qui dynamisera toute une série d’activités (agences immobilières, magasins de décoration et de jardinage, etc.).

Bien que controversées, les aides publiques directes octroyées à des entreprises comme GM et Citigroup vont permettre à ces deux groupes de démarrer l’année 2014 en étant à nouveau bénéficiaires. Grâce à l’abondance de liquidités sur les marchés financiers, les entreprises américaines vont pouvoir consolider leurs bilans en empruntant sur le long terme à peu de frais. La baisse du chômage, tant attendue, redonnera confiance aux consommateurs et stimulera les dépenses des ménages. Si la reprise n’a pas créé d’emplois pendant trop longtemps, elle a cependant produit des résultats : en 2014, les entreprises américaines pourraient être à l’origine d’une part sans précédent du revenu national.

Les grandes entreprises américaines prendront de plus en plus conscience de l’avantage que leur confèrent les nouvelles techniques d’extraction à bon marché du pétrole et du gaz naturel, comme la fracturation hydraulique. Les politiques voudront, à juste titre, que ces techniques soient strictement réglementées. Mais cela n’empêchera pas la production intérieure d’énergie provenant de sources “non conventionnelles” d’augmenter, profitant aux sociétés qui commercialisent cette énergie (et en exporteront bientôt une bonne part) et à ses consommateurs locaux, telles les industries de la pétrochimie ou de l’acier, qui disposeront ainsi d’un approvisionnement proche et bon marché. En 2014, l’exploitation de ces techniques se développera et pourrait, d’après les estimations du cabinet de conseil McKinsey, ajouter 2 à 4 % au PIB d’ici à 2020. Si les Etats-Unis ont devancé beaucoup d’autres pays dans l’exploitation des sources d’énergie non conventionnelles, c’est qu’ils se sont saisis de techniques innovantes plus rapidement et avec plus d’effet.

Vague de fusions-acquisitions Le secteur du capital-risque est peut-être en perte de vitesse mais, en 2014, les moteurs de l’innovation aux Etats-Unis tourneront à plein régime. Les entreprises américaines seront encore en première ligne au moment de prendre part à l’évolution des médias sociaux, trouvant les moyens d’exploiter les big data (mégadonnées) et de développer l’économie du partage. Des entreprises comme Airbnb et peut-être même Etsy pourraient faire l’objet d’une introduction en Bourse.

Des multinationales transféreront des fonctions de direction dans les pays du Sud et dameront le pion aux concurrents locaux en maîtrisant des techniques comme l’innovation frugale. De plus, disposant d’une abondante trésorerie à l’étranger — notamment après l’échec de la réforme de l’impôt sur les sociétés aux Etats-Unis, les grands groupes américains se porteront volontiers acquéreurs d’entreprises étrangères, contribuant à déclencher une nouvelle vague de fusions-acquisitions à l’échelle mondiale.

Reprenant confiance en elles, les entreprises américaines souhaiteront à nouveau faire entendre leur voix sur les grands enjeux de la planète. Avec le boom du gaz naturel, les émissions de CO2 ont nettement diminué aux Etats-Unis. De ce fait, les mesures que devront prendre les entreprises pour lutter contre le changement climatique leur coûteront moins cher. Elles redoubleront en outre d’efforts pour que le gouvernement américain amène le reste du monde à engager un nouveau cycle de négociations sur le commerce mondial, ou du moins fasse progresser les accords de libéralisation des échanges avec les pays de la zone Pacifique et avec l’Union européenne.

Malheureusement, les entreprises américaines continueront d’être obsédées par les profits à court terme. Et l’opinion publique sera une fois de plus outrée par les nouveaux records atteints par les salaires des dirigeants et en particulier par l’écart choquant, dans la plupart des grands groupes, entre la rémunération du patron et celle du salarié moyen. Certaines choses semblent ne jamais devoir s’améliorer.

MATTHEW BISHOP, CHEF DU BUREAU DE “THE ECONOMIST” À NEW YORK

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