“2017 sera une année charnière pour les taux d’intérêt”

Peter Vanden Houte : "La remontée en flèche des taux d'intérêt n'est pas pour demain." © ID

La victoire inattendue de Donald Trump a provoqué un rebond mondial des taux d’intérêt. Éclairage de Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique, et John Romain, directeur général d’Immotheker-Finotheker.

A en croire Peter Vanden Houte, les taux ont atteint leur niveau plancher ” mais la remontée en flèche n’est pas pour demain “. Le récent rebond est dû aux promesses électorales du président américain fraîchement élu. ” Pendant sa campagne, Donald Trump a promis une réduction des impôts et une augmentation des dépenses publiques, en faveur de la défense notamment. Une telle politique expansive stimule la croissance économique et risque d’attiser l’inflation. ” Peter Vanden Houte ne serait pas surpris de voir les taux augmenter légèrement aux Etats-Unis, entraînant les taux européens dans leur sillage. Reste à voir dans quelle mesure Donald Trump va tenir ses promesses. ” Son premier discours après sa victoire se faisait déjà nettement plus modéré concernant l’Obamacare et les accords commerciaux internationaux par exemple “, souligne l’économiste en chef d’ING Belgique.

L’évolution démographique est telle que les taux ne risquent pas de remonter subitement. ” Peter Vanden Houte

PETER VANDEN HOUTE. Cela tient essentiellement à l’allocution d’Yves Mersch. C’est la première fois que le grand patron de la Banque centrale européenne (BCE) dénonce expressément les retombées négatives de la politique monétaire actuelle. Les taux extrêmement bas sont un réel défi pour les banques et les assureurs, une situation plus qu’embarrassante pour les épargnants. Les marchés ont vu dans cette allocution hors du commun un signe avant-coureur de la future restriction par le BCE de son programme d’achat d’obligations. La fin de l’assouplissement quantitatif serait donc en vue, même si la BCE veillera à une interruption progressive.

Comment les taux à long terme vont-ils évoluer ? Quelle sera la situation dans un an par exemple ?

JOHN ROMAIN. Etant donné l’évolution démographique, les taux resteront relativement bas pendant quelques années encore. La pyramide des âges restera inversée jusqu’à 2030 au moins. Autrement dit, le potentiel de croissance économique sera limité encore un bon moment.

P.V.H. Je partage cet avis. L’évolution démographique est telle que les taux ne risquent pas de remonter subitement. Ils pourraient augmenter de 50 points de base l’an prochain mais pas beaucoup plus. D’un côté, l’assouplissement quantitatif prend fin, ce qui se traduira par une pression haussière sur les taux. D’un autre côté, l’année prochaine risque d’être riche en rebondissements en Europe, du fait des élections en Allemagne, en France et aux Pays-Bas notamment. A cela s’ajoute le référendum en Italie. Chaque résultat surprenant – une prise de pouvoir par Marine Le Pen en France n’est pas exclue par exemple – suscitera une certaine nervosité, avec une baisse des taux d’intérêt comme conséquence. 2017 sera une année charnière pour les taux.

Si les taux continuent à monter, le marché immobilier pourrait-il en souffrir ? Les oiseaux de mauvais augure avaient prédit un crash. Leur prévision pourrait-elle se vérifier ?

John Romain :
John Romain : “L’augmentation des taux à long terme ne s’est pas encore concrétisée par une hausse généralisée des taux hypothécaires.”© P. VERBRUGGEN

P.V.H. Nombreux sont ceux qui anticipaient une correction sur le marché immobilier suite à la modification du bonus logement en Flandre. Les taux d’intérêt extrêmement bas ont plus que compensé cet effet négatif. Il ne faut pas s’attendre à une hausse spectaculaire des taux dans l’immédiat. Le marché immobilier devrait donc évoluer latéralement selon nous, conformément à l’inflation ou légèrement en-deçà. Par ailleurs, l’emploi a le vent en poupe, c’est important. L’effet positif sur le marché immobilier est indéniable.

J.R. Le fléchissement des taux est un des facteurs ayant contribué à la progression des prix de l’immobilier ces 10 dernières années. La stabilisation du chômage, la croissance des revenus, l’augmentation du patrimoine financier des familles belges, l’allongement de la durée des prêts et l’avantage fiscal du bonus logement ont joué un rôle. J’ai fait une simulation de l’impact d’une hausse des taux sur les prix de l’immobilier. A supposer que tous les autres facteurs restent tels quels, il faudrait une hausse des taux de 4 % au moins pour provoquer une baisse des prix de l’ordre de 20 %.

P.V.H. N’oubliez pas que les prix de l’immobilier sont une moyenne des différents segments qui ont chacun leur propre dynamique de prix. Les grosses villas des années 1960, particulièrement énergivores, sont en bien mauvaise posture. C’est dans ce segment que sont signalées les plus fortes baisses de prix.

J.R. Si les taux augmentent, le nombre d’acheteurs intéressés par les biens de catégorie supérieure diminuera. Le segment intermédiaire des biens entre 250.000 et 300.000 euros, par contre, attirera davantage d’acheteurs, ce qui aura pour effet de soutenir les prix dans cette catégorie.

Que conseilleriez-vous aux candidats acheteurs ou bâtisseurs ? Doivent-ils se précipiter chez leur banquier pour solliciter un prêt ?

J.R. L’augmentation des taux à long terme de ces dernières semaines ne s’est pas encore concrétisée par une hausse généralisée des taux hypothécaires. Le rendement des OLO belges sur 20 ans est passé de 0,75 à 1,4 % entre le 3 octobre et le 14 novembre. Les taux officieux – différents des taux officiels – d’un leader du marché belge pour un prêt hypothécaire à un taux fixe sur 20 ans n’ont pour ainsi dire pas changé pendant cette période. Ou si hausse il y a, elle est minime : de 1,84 à 1,89 %. La raison est simple : pour leur financement, les banques sollicitent l’épargnant qui n’est rétribué qu’à hauteur de 0,11 % pour le moment. Si le rendement des OLO continue à progresser et si les taux d’épargne restent bas, les taux hypothécaires suivront sans pour autant remonter en flèche. Reste à voir comment les taux réagiront face à une recrudescence de l’incertitude quant au sort de l’euro.

P.V.H. Si vous caressez un projet immobilier, n’attendez pas un an pour le réaliser. Toutefois, malgré la tendance légèrement haussière actuelle, une rechute temporaire n’est pas à exclure.

La retombée des taux sous la barre de 0 % était tout simplement impensable il y a quelques années. Certaines banques ont ” in tempore non suspecto ” accordé des crédits logement pour lesquels les emprunteurs retouchent aujourd’hui des intérêts mensuellement. Axa et Belfius refusent d’appliquer ce taux négatif…

Il faudrait une hausse des taux de 4 % au moins pour provoquer une baisse des prix immobiliers de l’ordre de 20 %. ” John Romain

P.V.H. Bien qu’ING pratique des taux d’intérêt négatifs, je peux comprendre le point de vue d’Axa et de Belfius. Le législateur est intervenu il y a quelques années pour imposer l’adaptation dans les deux sens, autrement dit les taux ne peuvent pas augmenter plus qu’ils ne peuvent baisser, de manière à garantir une certaine symétrie des risques. Selon le principe implicite que les taux ne pouvaient pas descendre en dessous de zéro, les taux pouvaient tout au plus doubler. Une situation difficile à gérer pour les banques obligées de se couvrir par l’acquisition d’options.

J.R. Je ne partage pas cet avis. La loi permet expressément, lors d’une adaptation du taux d’intérêt, une baisse plus importante qu’une hausse. Ce n’est donc pas symétrique. Pour des considérations purement commerciales, certaines banques ont fait des propositions assorties de taux d’intérêt susceptibles de baisser de façon illimitée. Personne ne s’attendait il y a cinq ans à ce que les taux deviennent négatifs. Ces banques doivent aujourd’hui supporter les conséquences de leur imprudence.

Axa et Belfius défendent leur point de vue en se référant au code civil. Un crédit est une mise à disposition d’argent consentie par un créancier à un débiteur contre paiement d’une rémunération, l’intérêt. Pour le reste, elles se retranchent derrière le fait qu’aucune clause du contrat ou de l’acte ne laisse entrevoir que le créancier paierait un intérêt négatif au débiteur.

Les deux banques se réfèrent volontiers au code civil mais il est très clairement précisé qu’en cas de doute, l’avantage revient au consommateur. Mieux encore : une interprétation différente est tout simplement impossible. Pourquoi des banques comme ING et BNP Paribas Fortis appliqueraient-elles correctement ces taux négatifs sinon ?

Le ministre des Consommateurs Kris Peeters (CD&V) défend les débiteurs mécontents. Pourrait-il imposer son point de vue ?

P.V.H. Indépendamment du fond du problème, assez complexe il faut bien le dire, cela relève de la logique politique. Il est nettement plus aisé de donner raison au consommateur qu’aux banques. Ceci dit, le consommateur devra se défendre tout seul.

J.R. La loi sur le crédit hypothécaire a pour but de protéger le consommateur. Le ministre ne peut rien imposer mais les consommateurs lésés peuvent entamer une procédure juridique à titre individuel ou se rassembler pour lancer une procédure juridique commune.

Propos recueillis par Dirk Van Thuyne.

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