Tourisme: direction Aspen, la reine des neiges

Avec 336 kilomètres de pistes, Aspen rivalise avec les plus grands domaines skiables d'Europe. © REPORTERS © REPORTERS

Ancienne ville minière nichée au coeur du Colorado, Aspen est devenue la station de montagne la plus sélect des Etats-Unis. Entre palaces de luxe, clubs ultra privés et manifestations sur mesure, le gotha n’a jamais le temps de s’ennuyer. Et on peut même se cultiver. Mais ce n’est pas obligé.

Ce logo en rappelle un autre. Celui de Chanel, avec ses deux C enchâssés. Mais ici la double consonne est remplacée par les bois courbés d’un cervidé. Une touche de luxe, un soupçon d’humour : bienvenue au Caribou Club d’Aspen, la station de ski nord-américaine, perchée à 2.400 mètres d’altitude dans le Colorado.

Difficile d’imaginer que ce ” bar-salon-restaurant ” tout en boiseries et tartan est l’un des endroits les plus en vue des Etats-Unis. On s’imaginerait plutôt dans le salon du colonel Moutarde, le personnage old style du Cluedo.

Tout faux. Cette adresse cosy est impénétrable au commun des mortels. Elle accueille depuis près de 30 ans une clientèle fortunée et une pléiade de personnalités. Julia Roberts, Michael Douglas, Kevin Costner, Tom Ford (le CEO de Gucci), Bill Clinton, Donald Trump et on en passe. Pour en franchir le seuil et humer le parfum du casual chic version montagnarde, il vous en coûtera au minimum 3.000 dollars de cotisation annuelle. A moins que vous ne préfériez vous débarrasser des tracasseries administratives en devenant membre à vie contre un chèque de 25.000 dollars. Une fortune ?

Pas plus que l’inscription au Eagle Ski Club de Gstaad, diront les esthètes du grand froid. On compare d’ailleurs souvent Aspen à la station helvète. Pas pour son tracé en damier, qui sur ce point fait ressembler la ville américaine à n’importe quelle autre, mais pour son goût du luxe à six zéros.

Des chalets vendus à prix d’or

Tourisme: direction Aspen, la reine des neiges
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Selon Forbes, sur les 400 plus grandes fortunes du globe, 50 d’entre elles possèdent un bien dans le comté.

La bourgade plantée dans les Rocheuses fait partie des 10 villes les plus chères du territoire nord-américain. Selon Forbes, sur les 400 plus grandes fortunes du globe, 50 d’entre elles possèdent un bien dans le comté. Pas très original en somme… Avec une moyenne de 5 millions de dollars par transaction immobilière, le moindre chalet se négocie ici à prix d’or. Le lodge composé de 28 chambres du milliardaire William Koch et ses 25 hectares de terrain, ont été mis en vente l’an passé pour 90 millions de dollars. Un record. Quant à l’acteur Jack Nicholson, il a cédé en 2013 son cottage de style victorien pour 11 millions de dollars. Jolie culbute quand on sait que la star l’a acheté 550.000 dollars en 1980…

A l’époque, Aspen est déjà le repaire incontournable du show-biz et des têtes couronnées. On y croise Andy Warhol sur les pentes neigeuses de Snowmass, l’une des quatre montagnes environnantes. Le roi du pop art est infatigable. Le jour sur les pistes de ski, la nuit sur la piste de danse du night-club Andre’s que l’artiste peroxydé n’hésite pas à comparer au fameux Studio 54 new-yorkais. Warhol est aussi un habitué du Parangon, le premier bar gay de la ville, qui vient d’ouvrir ses portes.

De quoi changer l’image de la ville qui a longtemps été cataloguée classless par ses habitants. Ni riche ni pauvre. Une ville sans histoire et sans condominiums (immeubles en copropriété). Aujourd’hui, 65 % des habitations sont des secondes résidences – voire des troisièmes, quatrièmes – qui restent inoccupées 350 jours par an. Les anciens déplorent une inexorable gentrification.

” Il est courant de payer 40.000 dollars par mois pour un bail commercial, regrette Olivier Mottier, propriétaire du restaurant Jour de fête situé en lisière du centre. Quand je me suis installé il y a 30 ans, on trouvait encore des commerces de proximité et des bars sans prétention. Il y avait une ambiance un peu hippie et informelle qui a disparu. De nombreux habitants qui ne peuvent plus se payer le loyer se sont installés en bas de la vallée, à 40 kilomètres, là où c’est moins cher. D’un autre côté, on ne va pas se plaindre d’attirer les people. Ils dépensent beaucoup d’argent et tout le monde en profite. ”

Le Caribou Club à Aspen. Cette adresse cosy accueille depuis près de 30 ans une clientèle fortunée et une pléiade de personnalités.
Le Caribou Club à Aspen. Cette adresse cosy accueille depuis près de 30 ans une clientèle fortunée et une pléiade de personnalités.© PG

En 1949 déjà, le comédien Gary Cooper, immensément populaire, aimait y passer ses vacances d’hiver. Des images de l’hiver 1964 montrent une Jackie Kennedy emmitouflée dans un manteau de fourrure en chemin vers les remonte-pentes de Buttermilk, l’une des quatre stations de la ville, cernée par une meute de journalistes.

Déjà du temps de Buffalo Bill

Bien avant Hollywood, Aspen a connu une autre heure de gloire, au temps des pionniers et de Buffalo Bill. En 1880, les dollars coulent à flots grâce à l’exploitation des gisements d’argent découverts un peu plus tôt. Le ” Colorado Silver Boom “, qui désigne cette ère de prospérité, permet à la ville de se doter rapidement d’écoles, de banques, d’une église et même d’un opéra.

Une période faste dont on trouve encore des traces aujourd’hui. A l’angle de South Galena Street et East Hopkins, on peut admirer le Brand Building édifié en 1891. Un bâtiment tout en grès qui replonge les visiteurs à l’époque du Far West. L’hôtel Jérôme (1889) sur East Main Street, est un autre immeuble classique qui abrite, comme au temps de sa splendeur, un complexe cinq étoiles.

L'hôtel Jérôme. Érigé en 1889 sur East Main Street, cet immeuble classique abrite, comme au temps de sa splendeur, un palace étoilé.
L’hôtel Jérôme. Érigé en 1889 sur East Main Street, cet immeuble classique abrite, comme au temps de sa splendeur, un palace étoilé.© BELGAIMAGE

La suite de l’histoire est moins fastueuse. La crise économique de 1893 plonge le pays dans la dépression. Le cours de l’argent s’effondre, aggravé par la décision du Congrès de démonétiser le métal précieux. Les villes minières périclitent et se muent en ghost towns. De 15.000 habitants en 1890, Aspen passe à 700 âmes… Elle est transformée dans les années 1930 en station de ski même si l’inauguration officielle n’aura lieu en 1947, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Au moment du baptême, elle peut se targuer de détenir la plus longue remontée mécanique au monde. Bref, Aspen renaît de ses cendres, à la manière de Sun Valley, cette autre cité minière, dans l’Idaho, reconvertie avec succès dans le business de la glisse.

Sensation apaisante

Si la fin des années 1980 marque un virage plus commercial, Aspen entretient son image d’esthète des alpages avec l’ouverture de quelques galeries d’art de haut vol.

Michael Guttman est un accoutumé du Saint-Moritz américain. Formé à la prestigieuse Juilliard School de New York, le violoniste et chef d’orchestre belge en connaît les moindres recoins depuis ses premiers séjours dans les années 1980. ” C’était un choc sous bien des aspects. Je me souviens d’avoir visité des chalets hors normes de 2.000 m2 pourvus de gigantesques baies vitrées. Je n’avais jamais rien vu de comparable en Europe. C’était sans rapport avec nos standards. Aspen a clairement été à l’avant-garde de ce point de vue-là et elle a beaucoup été copiée par la suite. ”

L'Aspen Art Museum. Ouvert en 2014, ce quadrilatère constitué de milliers de lattes tressées est l'oeuvre de l'architecte Shigeru Ban, lauréat du Pritzker Price et auteur du Centre Pompidou Metz.
L’Aspen Art Museum. Ouvert en 2014, ce quadrilatère constitué de milliers de lattes tressées est l’oeuvre de l’architecte Shigeru Ban, lauréat du Pritzker Price et auteur du Centre Pompidou Metz.© PG

Avec une clientèle à gros revenus venue en partie de Los Angeles, initiée de longue date à l’architecture moderniste, quoi d’étonnant ? Une tradition d’épure et de nature qui se perpétue encore aujourd’hui. La demeure intégralement transparente du magnat russe Roman Abramovich ou l’impressionnant chalet monochromatique d’Aerin Lauder, héritière de la marque de cosmétiques, ont fait les beaux jours des magazines de décoration. Mais pour Michael Guttman, la réputation d’excentricité qui colle à la peau de la station comme une combinaison en goretex ne fait pas oublier ses qualités premières. ” C’est un lieu magique doté d’une nature exceptionnelle. Contrairement aux villages alpins où les montagnes sont majestueuses et un peu écrasantes, la haute altitude d’Aspen vous met au même niveau ou presque que les autres sommets. C’est une sensation très apaisante. L’été, c’est un bonheur. Vous faites des balades à cheval, du rafting ou vous vous initiez au rodéo. C’est une atmosphère plus décontractée qu’en hiver. Et contrairement à ce que l’on pense, Aspen a une vraie histoire intellectuelle et artistique “, ajoute le Bruxellois, invité régulier de l’Aspen Music Festival.

Une réputation arty

Fondé en 1949, ce rendez-vous estival est fréquenté par les mélomanes du monde entier. Pour les amateurs d’art, la manifestation est surtout liée à la présence d’un auditorium que l’architecte Eero Saarinen, l’une des plus grandes figures de l’architecture d’après-guerre, construisit pour l’occasion dans l’esprit du Bauhaus. Dès les années 1950, des séminaires, workshops et conférences rassemblant les photographes, designers et artistes les plus en vue de la planète (de Roy Lichtenstein à Larry Clark) assoient la réputation arty de la station.

De 1965 à 1971, une publication multimédia baptisée Aspen, the magazine in the box réunissant carnet, disque et flip-book, peut être considérée comme le précurseur du livre-objet. Andy Warhol en personne fut le rédacteur en chef du troisième numéro. Dans la toute proche vallée de Riffle Park, l’artiste Christo – connu pour ses emballages de monuments – dresse en 1972, l’un de ses voilages monumentaux, bien avant d’envelopper le Pont Neuf.

Si la fin des années 1980 marque un virage plus commercial avec l’implantation de grandes marques de luxe comme Dior, Vuitton ou Gucci, et une mainmise de la jet-set sur la station, Aspen entretient son image d’esthète des alpages avec l’ouverture de quelques galeries d’art de haut vol, comme la Baldwin Gallery, histoire de combler l’appétit des grandes fortunes. Et l’ouverture de l’Aspen Art Museum en 2014 semble poursuivre l’aventure du beau. Ce quadrilatère constitué de milliers de lattes tressées est l’oeuvre de Shigeru Ban, lauréat du Pritzker Price et auteur du Centre Pompidou Metz. Le bâtiment futuriste détonne dans le paysage ambiant.

Matinée snow, après-midi culture ? N’exagérons pas. Avec 336 kilomètres de pistes, Aspen rivalise avec les plus grands domaines skiables d’Europe. C’est d’abord pour la neige que l’on s’y rend, même si l’été est en passe de dammer le pion sur le calendrier de la fréquentation. ” L’été dure ici de juin à fin septembre et les gens sont de plus en plus nombreux à venir, avance le restaurateur Olivier Mottier. Ce sont des vacances moins chères que les séjours d’hiver qui deviennent impayables. Vous pouvez vous balader ou faire du vélo dans des paysages extraordinaires et ça ne coûte rien. ”

Mais pour les inconditionnels de l’exceptionnel, il reste, heureusement, quelques manifestations sur mesure comme le festival Food & Wine qui a lieu au mois de juin. L’an passé, on pouvait converser avec l’actrice Drew Barrymore, venue présenter ses propres vins mais aussi goûter au plaisir des dégustations d’excellents crus. Le tout moyennant un ticket d’entrée à 1.450 dollars. On ne se refait pas…

Par Antoine Moreno.

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