Sarkozy et The Economist, une histoire d’amour-haine

La couverture moqueuse de l’hebdo britannique n’est pas tendre avec le président français. Il n’y a pas si longtemps, pourtant, la bible du business ne tarissait pas d’éloges pour celui qui devait réformer la France. Retour sur une relation tumultueuse.

Ils ne l’ont pas loupé. Sur la “une” de The Economist de cette semaine, un photomontage montre un Nicolas Sarkozy lilliputien dans un immense bicorne napoléonien, marchant derrière une grande Carla Bruni. “L’incroyable président qui rétrécit”, titre en couverture le magazine. L’éditorial n’est guère plus tendre : le président français n’est plus que “la version diminuée” de ce qu’il était, “l’ombre du réformateur qu’il était sur le plan économique et une caricature du dirigeant coriace qu’il était sur les questions sociales”. Pourquoi tant de haine ?

“Quand Nicolas Sarkozy est apparu pour la première fois dans la conscience politique française, il ne ressemblait à aucun autre dirigeant récent ayant existé dans le pays”, écrit la revue britannique, dont la colère serait donc à la hauteur de sa déception, alors que l’hebdo avait placé beaucoup d’espoir dans ce “jeune leader dynamique”.

Tout avait si bien commencé. A la veille de l’élection présidentielle de 2007, un numéro d’avril arbore un Sarkozy conquérant et le désigne comme “la chance de la France”. Certes, le journal ne lui trouve pas que des qualités : Sarkozy a ce fâcheux réflexe, “typiquement français”, de mettre son nez dans l’industrie nationale, comme l’a illustré son sauvetage d’Alstom en tant que ministre des Finances en 2004. Et puis, il a cette manie “populiste” d’accuser la politique monétaire rigide de la BCE pour des maux dont la France est seule responsable. Enfin, sa tendance à courtiser l’extrême droite sur le terrain de l’immigration et de la sécurité n’est pas non plus du goût de l’hebdomadaire britannique.

Qu’à cela ne tienne. Sarkozy est “le seul qui ait le courage de plaider pour une véritable rupture avec le passé”. Un outsider qui “admire ouvertement les Etats-Unis”, cela fait du bien après tant d’années d’antiaméricanisme primaire. Grâce à lui, l’économie française pourrait enfin se libérer de son marché du travail rigide et de sa pesante fiscalité…

Lorsque Sarkozy est élu, la rédaction salue donc “un nouveau départ pour la France”. Et il ne déçoit pas… en tout cas, pas tout de suite. Le magazine applaudit notamment la défiscalisation des heures sup‘ et le renforcement du bouclier fiscal.

“Un socialiste refoulé”

Un an après son élection, cependant, le bilan apparaît déjà mitigé. Les réformes avancent mais il continue ses attaques contre la BCE, s’en prend à la libre concurrence promue par la Commission européenne et entrave les discussions de Doha qui menacent la PAC.

C’est toutefois sa gestion de la crise financière qui confirme les craintes des prêcheurs du marché libre. “Sarkozy est-il un socialiste refoulé ?”, s’interroge ainsi un article de novembre 2008. Le propos est subtilement illustré par un dessin du président sortant d’un placard, un drapeau rouge à la main. Il faut dire que ses condamnations véhémentes du “capitalisme du laisser-faire” et de “la dictature du marché” passent mal dans la publication de droite.

Et lorsqu’il annonce la création de 100.000 emplois subventionnés ainsi que l’ouverture d’un fonds d’investissement stratégique national destiné à prendre des parts dans des entreprises françaises de manière à les protéger contre les prédateurs étrangers, le malaise est à son comble. L’homme qui se veut l’ami des milieux d’affaires est traité de protectionniste et de nationaliste.

Il ne s’agit pas de nier qu’en ces circonstances exceptionnelles, l’Etat, appelé au secours du système financier, est réapparu au devant de la scène un peu partout, y compris aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Sauf que, là-bas, ce come-back étatique est un “moindre mal temporaire”. Dans le cas de la France, en revanche, l’hebdo anglo-saxon soupçonne le président français d’être profondément dirigiste et de profiter de la crise pour légitimer ses interventions dans la sphère économique.

Ce qui rassure un peu la rédaction, c’est que les annonces populistes du président se traduisent rarement par des actes. Ainsi, les grandes menaces de légiférer sur les salaires des patrons n’ont, “heureusement”, débouché sur rien si ce n’est un inoffensif code éthique du patronat…

Sur un ton plus léger, c’est l’absence totale d’humilité de Sarkozy qui ne cesse de fasciner The Economist, notamment pendant sa présidence de l’UE, où il a pu s’illustrer par une hyperactivité diplomatique impressionnante. “Ce n’est pas tant qu’il se vante de ses réalisations. C’est plutôt qu’il offre un commentaire sans fin sur la merveille que c’est d’être lui.” Sur un autre registre, The Economist s’amuse de la manière dont celui qui se révoltait contre l’establishment élitiste a quand même nommé l’énarque François Pérol à la tête de BPCE.

Critiques et reproches vont donc bon train quand, le jeudi 7 mai 2009, le coup de théâtre se produit. En “une” de The Economist, Nicolas Sarkozy triomphe sur un piédestal devant une Angela Merkel bien sombre. Dans l’article “Vive la différence”, le journaliste le reconnaît : les filets de sécurité (sociale) ont permis à la France de mieux résister à la crise que ses voisins. Et bien que Sarkozy se soit engagé à saper ces mêmes filets au nom de la libéralisation nécessaire de l’économie française, il n’a finalement pas rechigné à incarner ce modèle social qui fait tant d’envieux.

De quoi se demander si The Economist, ce chantre de la doxa ultralibérale, n’a pas viré sa cuti devant la supériorité du “modèle français”… Malheureusement, la réponse est “non”. Car, si les trois quarts du papier semblent célébrer les mérites de notre bon vieux système continental, la conclusion est implacable : la contrepartie d’une crise moins violente est une reprise “moins dynamique”.

Laura Raim, L’Expansion.com

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