Reconversion: Sophie Dutordoir, d’ex-patronne d’Electrabel à chef-épicière

© Belga Images

Fini les grandes entreprises pour Sophie Dutordoir. Après avoir dirigé durant 24 ans Electrabel, c’est à la tête d’un restaurant-épicerie que cette patronne officie désormais. L’occasion de se pencher sur le phénomène de la reconversion professionnelle à 180° avec Emeric Lebreton, psy et directeur d’un cabinet de conseil en relations humaines.

“Le 1er janvier 2014, je quitterai Electrabel et le Groupe GDF SUEZ. Il s’agit d’une décision personnelle prise il y a quelque temps déjà de changer, à 50 ans et après 24 années chez Electrabel, d’horizon professionnel.”

Alors pressentie parmi les successeurs au poste de Didier Bellens chez Belgacom, qualifiée de “bête politique”, très courtisée, à 50 ans, Sophie Dutordoir – ancienne collaboratrice de Wilfried Martens, étiquetée CD&V – , avait devant elle des boulevards professionnels qui s’ouvraient devant elle.

Mais rien de tel à l’horizon. Le “projet personnel qui tenait à coeur” à cette ex-grande patronne, c’est bien l’ouverture d’un restaurant-épicerie à Overijse. Poppeia est une table d’hôte, épicerie, restaurant italien, qui a ouvert ses portes le 29 avril dernier. Outre le versant épicerie italienne, Sophie Dutordoir revêt même son tablier le midi pour concocter à ses hôtes (10 couverts) des plats italiens, dont elle a appris les secrets en suivant des cours de cuisine.

Fini donc les enjeux stratégiques. Aujourd’hui, ses préoccupations sont des faire prospérer la Poppeia, et de trouver les meilleurs fournisseurs pour faire le bonheur de ses hôtes. Un exemple hors du commun, mais symptomatique d’une tendance à larguer les amarres professionnelles pour se réaliser un rêve professionnel, se reconvertir pour de bon.

D’après le baromètre Ipsos sur le bien-être au travail, la Belgique est étonnamment la championne d’Europe de la satisfaction ; les salariés de notre pays sont même ceux qui tiennent leur boulot en plus haute estime depuis des années. Ainsi, en 2013, 66% des salariés belges déclaraient ne pas songer à la quitter. Une bonne nouvelle en soi, qui ne devrait pourtant pas faire oublier que derrière cette vitrine d’allégresse se cachent aussi ceux que la tentation d’une autre existence démange.

Pourtant, bien que difficilement quantifiable, le phénomène de la reconversion a le vent en poupe, en témoigne d’ailleurs l’essor des modules de préparation, des coaches de vie et autres programmes de développement personnel. Car, face à un changement radical, un coup de pouce est souvent bienvenu pour mettre un peu d’ordre dans ses idées ou éviter de partir découragé d’avance.

Tétanisés par l’inconnu, écrasés par le poids des efforts à fournir, beaucoup se languiront dans une tiède insatisfaction ou se maudiront carrément de n’avoir jamais trouvé le cran de tout recommencer. Enfin, encore faut-il savoir ce que l’on veut, et contrairement aux apparences, c’est parfois la partie la plus épineuse du processus.

Heureusement, certaines personnes franchissent le pas et entament une nouvelle aventure avec succès. Le genre d’histoires dont Emeric Lebreton est coutumier. Auteur, manager, chercheur et professeur dans plusieurs hautes écoles et universités françaises, ce docteur en psychologie de 32 ans en connaît un rayon sur la reconquête de liberté et la peur de s’ennuyer. En 2008, il s’associe à Jacques Brémond, deux fois son âge

et ex-directeur dans la grande distribution, pour fonder Orient’action, un cabinet de conseil en relations humaines. Leur but ? Aider à changer de boulot.

Leur credo? Tout est possible. Remarquée par le Parlement européen en 2009, l’initiative remporte le Prix de l’innovation sociale alors que son créateur se classe parmi les 100 jeunes talents européens de l’année. Orient’action compte actuellement quatre bureaux, dans la région du Mans et à Paris.

Avez-vous ouvert votre cabinet pour répondre à de nouveaux besoins?

Exactement. On s’est aperçu qu’avant, la plupart des salariés avaient une carrière assez linéaire. A l’issue de ses études, on entrait dans une entreprise dans laquelle on bossait jusqu’à la retraite. Aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait le cas, on peut être amené à changer de boîte ou de métier un certain nombre de fois au cours de sa vie professionnelle, et ce de façon choisie ou subie. Car d’un côté, le monde évolue plus vite, les sociétés aussi, elles se réorganisent régulièrement et ces transformations internes impliquent qu’elles se séparent de leurs collaborateurs. D’un autre, le désir de changement est plus fort et plus fréquent qu’auparavant. Il y a une envie de bouger plus souvent pour trouver un nouveau souffle, découvrir et apprendre de nouvelles choses, une nouvelle profession…

Dans le cas d’un changement voulu, c’est plutôt une bonne chose d’avoir plus d’emprise sur sa vie, non?

Bien sûr, ça fait partie des valeurs sur lesquelles nous insistons énormément. Il faut anticiper, se rendre maître de son destin, sinon c’est le système qui décide pour vous. Notre but est d’aider les gens à retrouver le contrôle de leur carrière et à faire les bons choix. D’aller vers l’activité qu’ils aiment réellement, au lieu d’attendre un éventuel licenciement pour réagir. Même un collaborateur hyperperformant à une époque ne le sera peut-être plus à une autre parce qu’il sera moins en phase avec son job. Si le courant ne passe plus, voir ailleurs ou changer de métier devient une nécessité.

Au risque de mettre en péril un confort relatif ?

On a tous des habitudes, qui nous procurent une certaine sécurité… mais à un moment il faut pouvoir en sortir pour s’épanouir, se réaliser dans son métier. De nombreux salariés se dirigent vers de grandes entreprises parce qu’elles offrent de très bons niveaux de rémunération, des horaires confortables, des primes et services divers… Les travailleurs y postulent plus pour les avantages que pour l’amour du métier. Or, ce sont des prisons dorées, on ne s’y éclate pas du tout.

Ce qui revient à voir la vie du mauvais côté ?

On ne se rend pas compte à quel point ça peut miner d’exercer un métier sans en éprouver aucun plaisir. Ça rend parfois la vie insupportable ou cause des problèmes de santé… J’ai vécu de près les soucis d’une personne qui déteste son métier tout en continuant à l’exercer : ma mère a été malheureuse au boulot pendant vingt ans mais elle y allait quand même, elle n’aurait jamais osé changer. Par sens du devoir ou conscience professionnelle, des gens

souffrent comme on porte sa croix. Nous, nous essayons plutôt de réhabiliter la notion de plaisir. Le travail n’est pas un lieu où l’on doit souffrir ; par contre on peut s’y épanouir, s’y réaliser, avoir des rêves, faire des rencontres et mener à bien des projets.

Tout en prenant garde à l’excès d’enthousiasme, car il n’y a sûrement pas que des belles histoires…

Depuis le lancement d’Orient’action, nous avons la chance de ne pas avoir connu d’histoire vraiment triste. Mais c’est vrai que lorsqu’on veut changer, il faut au préalable se sécuriser, baliser son chemin avec des étapes et mesurer les épreuves à affronter, les efforts à fournir. Imaginer un par un les sacrifices nécessaires à la réalisation d’objectifs irréalisables empêche parfois de dépenser pour rien une somme d’énergie et d’argent considérable.

Vous arrive-t-il de déconseiller des reconversions ?

Au départ, j’encourageais les gens à jouer la prudence. Puis ma vision des choses a changé, je suis devenu plus optimiste. Il y a quelques années, j’avais à peu près 25 % des reconversions réussies, maintenant, j’en suis plutôt à 80 %. C’est aussi la manière dont on aborde le changement qui va donner envie de se jeter à l’eau. Nous considérons la reconversion comme un geste positif. On sécurise les candidats, on leur confirme qu’ils ont des atouts et peuvent donc réussir. C’est une idée très forte chez nous : tout est possible.

On ne dira jamais “Arrête de rêver, ça va être trop dur”. On peut mettre engarde, discuter de solutions médianes, encourager la prise de conscience. Opter pour la bonne décision exige d’abord d’être sûr de ce qu’on veut vraiment. Et pour ça, il faut se connaître, avec sincérité. J’en vois arriver avec de très grandes ambitions, mais ils n’ont aucune idée du quotidien lié aux fonctions qu’ils visent. D’autres, après mûre réflexion, se disent “En fait, oui, j’en suis capable”, ils foncent et réussissent.

Quels regards portez-vous sur nos quatre témoignages ?

On y reconnaît une envie de réussir sa vie et non plus réussir “dans” la vie. Avant, il était bien vu de gravir les échelons de l’échelle sociale. Aujourd’hui, on préfère parfois un métier qui a du sens, qui nous permet de réaliser nos valeurs, d’être utile à la société. Ensuite, on observe dans ces cas d’espèce une deuxième tendance, celle de vouloir retrouver un métier pas spécialement plus manuel mais surtout plus concret.

3 bonnes idées pour ne pas se planter

Se connaître

Savoir comment son fonctionne et ce qu’on désire profondément, quelle est notre personnalité et quel sens on veut donner à sa vie. Se projeter dans dix ou vingt ans et se demander comment on la jugera, si elle a été utile ou réussie.

Mesurer le degré de possibilité du défi Evaluer le chemin à parcourir, jauger les efforts qu’il va demander. Et après, décider de franchir ou non le pas, en tenant compte des différents aspects: famille, finances, investissements ou formations.

Trouver des soutiens, des gens qui vont croire en nousEt pas forcément dans notre entourage immédiat, car nos proches auront peut-être peur de dire la vérité ou de devoir eux-mêmes changer. Mieux vaut opter pour un ami, voire quelqu’un d’extérieur ou un pro du secteur.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content