Qui est Max Jadot, le premier banquier de Belgique ?

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Dans le cercle familial, tout le monde l’appelle Maxime ; dans la vie professionnelle, c’est Max Jadot. Le nouveau président du comité de direction de BNP Paribas Fortis est comme une pièce de monnaie à double face : un descendant de la famille Bekaert et un brillant banquier d’affaires.

C’est aujourd’hui que Max Jadot peut s’attribuer le titre de premier banquier du royaume. Il s’installe en effet, en ce 1er mars, rue Royale en tant que président du comité de direction de BNP Paribas Fortis. Même si la banque qu’il dirige désormais ne ressemble plus guère à la Générale de Banque où il a débuté sa carrière en 1983.

“Max a toujours été un homme de la Générale de Banque, un bon banquier traditionnel, témoigne son cousin Baudouin Velge, CEO de l’agence de communication Interel. La Générale de Banque n’a pas pu échapper à la mainmise de Fortis et nous avons tous vu où cela a mené. Mais la manière dont BNP Paribas pratique le métier de banquier renoue avec le style du passé : bien gérer les dépôts d’épargne et les convertir en crédits sensés. Max est quelqu’un qui s’efforce de redonner sa vraie valeur au métier de banquier.”

Herman Daems, qui préside le conseil d’administration de BNP Paribas Fortis, acquiesce sans réserve. “Nous avons sciemment opté pour quelqu’un de la maison qui a une mentalité de banquier et non pour un marketer aux projets grandioses. De plus, Max connaît très bien le monde des entreprises belges, grâce à ses années de travail dans le corporate finance et l’investment banking ainsi qu’à son environnement familial et son mandat d’administrateur chez Bekaert.”

Descendant de la dynastie Bekaert

En 1994, Max Jadot entre dans le conseil d’administration de Bekaert. Mais le CEO, Karel Vinck, l’avait déjà remarqué auparavant. “Une ou deux fois par an, il y avait une réunion d’information au cours de laquelle le président et le CEO informaient les membres de la famille de l’évolution des affaires. Max Jadot s’y distinguait par ses questions intelligentes et sa vision stratégique. Il était sincèrement intéressé par le fonctionnement de l’entreprise et était attentif au long terme. Il ne le faisait pas de façon ostentatoire.”

Du côté maternel, Maxime Jadot est un arrière-petit-fils en ligne directe du fondateur de Bekaert, Leo Leander Bekaert. Le baron Jean-Charles Velge, qui a présidé le conseil d’administration de Bekaert entre 1985 et 1997 était son oncle. Il doit son prénom à son grand-père Maximilien Velge. “Grand-père a joué un rôle très important dans notre éducation, raconte son cousin Baudouin Velge. Il veillait à ce que nous gardions les pieds bien sur terre.”

Mais du côté paternel surgit aussi un nom connu. Le frère du grand-père de Max était Jean Jadot, gouverneur de la Société Générale de Belgique et connu pour sa contribution au développement économique de ce qui était à l’époque le Congo belge. Pendant longtemps, une ville du Katanga a d’ailleurs porté son nom : Jadotville, devenue Likasi.

Alors que les Velge étaient établis à Courtrai, les Jadot ont grandi à Dilbeek. Madame Jadot, la mère de Max, y habite toujours. A la maison, on parlait le français mais Max a suivi l’enseignement néerlandais au Heilig-Hartcollege à Ganshoren. Il est dès lors parfait bilingue, trilingue si on inclut l’anglais.

“Lorsque nous étions enfants, nous nous rencontrions surtout aux naissances ou aux communions, se souvient Baudouin Velge. C’est seulement à l’université que nous sommes devenus proches. J’étudiais l’économie et Max, le droit. Nous nous sommes beaucoup vus au cours de cette période estudiantine. Pendant les vacances, nous avons même entrepris ensemble un grand voyage à travers l’Amérique du Sud. Et nous nous sommes aussi souvent retrouvés aux Etats-Unis. Max fréquentait alors la lawschool de Georgetown, près de Washington, et moi je faisais un doctorat à Philadelphie.”

Au guichet, place Madou

Après ses études, Max Jadot est entré à la Générale de Banque. Il y a débuté au bas de l’échelle, au guichet de l’agence de la place Madou et plus tard, comme directeur d’agence à Berchem-Sainte-Agathe. Il a assez vite été nommé directeur d’un réseau d’agences à Bruxelles et directeur du marketing de la zone de Bruxelles. Après avoir travaillé près de 15 ans dans le retail, il est passé à la banque d’affaires. Il est devenu directeur du département corporate finance de la Générale de Banque.

Pendant la bataille pour la reprise de la Générale de Banque, à la fin des années 1990, Max Jadot était sous les ordres d’André Bergen, qui est devenu plus tard le patron de KBC. “Très droit, intelligent, un homme bien. Nous sommes toujours restés en contact. J’ai surtout été frappé par son grand intérêt pour la vie économique. Lorsqu’il traitait avec une entreprise, il voulait la connaître à fond.” N’a-t-il donc pas de points faibles ? “Je n’en ai jamais fait l’expérience personnellement mais certains chuchotent que Max avait du mal à prendre des mesures pénibles, rapporte André Bergen. Il serait donc un peu trop gentil. Mais je n’en crois rien. Après ses études, il a suivi une formation d’officier de réserve chez les para-commandos. Faut vraiment pas être un tendre pour passer par là.”

Ambition et opportunités de carrière

Lorsqu’en 1999, la Générale de Banque est tombée entre les mains de Fortis, en dépit d’une vive opposition de la direction, il s’en est suivi une série de départ. André Bergen et Maarten van Berckel figurent parmi les dirigeants qui ont quitté la banque. Max Jadot est resté. “Max s’est indubitablement senti engagé à l’égard de son équipe, souligne le Néerlandais Maarten van Berckel (ex-Fortis et actuel patron de Deutsche Bank Nederland). Mais des considérations plus prosaïques ont sans doute aussi joué un rôle dans ce choix. Je soupçonne qu’il a vu s’ouvrir des opportunités pour lui-même et pour la banque. Il ne le laissait peut-être pas paraître mais il avait de l’ambition. J’ai toujours pensé qu’il arriverait au sommet. Avec sa gentillesse, il parvient à ses fins.”

Sous la bannière de Fortis, Max Jadot est devenu le directeur de la banque d’affaires et d’investissement. Il était responsable du financement aux entreprises, des fusions et acquisitions et des introductions en Bourse. “En 2000, j’ai peut-être passé plus de temps avec Max Jadot qu’avec ma femme”, relate avec humour Luc Missorten, CEO de Corelio et à l’époque, directeur financier d’InBev. L’entrée en Bourse du brasseur est encore toujours l’une des plus grandes introductions boursières de l’histoire belge. “C’était une période très agitée, se souvient Luc Missorten. Dans de telles circonstances, on se met encore à apprécier davantage certaines personnes. Max Jadot a joué un rôle important dans le succès de l’introduction en Bourse. Dans son propre style, il a su concilier les intérêts de toutes les parties prenantes.”

Ensemble au RSC Anderlecht

Max Jadot et Luc Missorten ont parcouru la moitié du monde, passant d’un roadshow à l’autre. Ils ne pouvaient se ménager que de rares moments de détente. “Je me souviens qu’un soir, entre deux vols, nous avons atterri à Zaventem et foncé jusqu’à la maison de Max à Tervuren pour regarder le foot à la télé. Nous sommes tous deux de fervents supporters d’Anderlecht et à cette époque, l’équipe avait engrangé quelques beaux succès européens. Je me souviens que les Mauves ont battu le PSV 2-3 et que nous étions heureux comme des gosses. Quelques heures plus tard, nous étions à nouveau assis dans l’avion.”

L’appréciation réciproque a grandi pour devenir un lien d’amitié. Les deux hommes se rencontrent régulièrement. “De temps en temps, nous allons encore voir jouer Anderlecht ensemble.” Cela tombe bien puisque BNP Paribas Fortis est le principal sponsor du club bruxellois et y a une loge. Max Jadot pratique aussi un peu de sport, il joue en principe chaque semaine au tennis.

Selon Lieve Mostrey, directrice d’Euroclear, qui a travaillé chez Fortis pendant des années, le premier banquier du pays est surtout un homme qui vit pour sa famille. Il aime passer du temps auprès de sa femme et de ses trois enfants. “Il est fier de sa progéniture, dit-elle. Tout en protégeant sa vie privée. “La combinaison de connaissances financières et industrielles dans une seule et même personne le rend unique mais Max est en même temps l’un des individus les plus discrets que je connaisse”, estime Paul Buysse.

Entre Buysse et Decaluwé

Paul Buysse est entré dans la vie de Max Jadot en 2000. Sous la houlette du CEO Raf Decaluwé, Bekaert s’était engagé sur la voie de la croissance des nouvelles technologies (notamment l’énergie solaire) mais certains actionnaires avaient des doutes à propos de cette stratégie et ont engagé Paul Buysse comme président du conseil d’administration. Entre Paul Buysse et Raf Decaluwé, les choses se sont vite envenimées. Sous l’impulsion du premier, la famille a formé un seul bloc et remballé le second. En tant que président du Stichting Administratiekantoor (SAK) qui regroupe les actions des familles Bekaert, Max Jadot a joué un rôle important dans cette affaire. “On peut l’envisager de deux manières, déclare une source bien placée qui tient à garder l’anonymat. Soit on estime qu’il n’a pas été conséquent avec les décisions stratégiques prises précédemment soit on conclut qu’il a écouté d’autres voix et a bien voulu changer son point de vue.”

Aujourd’hui, Max Jadot est toujours le président du SAK Bekaert qui contrôle 37 % des actions et désigne les représentants de la famille dans le conseil d’administration. En tant qu’administrateur de Bekaert, il siège aussi dans le comité stratégique et le comité de rémunération de l’entreprise.

“Il est le leading man de la quatrième génération des actionnaires familiaux de Bekaert, commente Julien Dewilde, qui a dirigé le groupe entre 2002 et 2006. La réussite de Bekaert au cours de ces dernières années est le fruit d’une stratégie claire, portée par un actionnaire stable. Jadot est la figure-clé dans ce processus. En tant que représentant des actionnaires, il joue le rôle de catalyseur qui veille à ce que la famille adhère à la stratégie tandis que pour le management et le conseil d’administration, il est un contact et une caisse de résonance.”

“Ne sous-estimez pas ce rôle, renchérit Baudouin Velge. A la quatrième génération, nous sommes déjà une septantaine de cousins et cousines. Les gens sont ce qu’ils sont et cela nécessite pas mal d’effort pour amener tout ce monde à s’aligner. Max a réussi à faire parler les familles d’une seule voix et à leur faire prendre des décisions collectives dans l’intérêt de l’entreprise. En tant que président du SAK, il se comporte plus comme un primus inter pares que comme un président autoritaire. Il atteint l’objectif qu’il s’est fixé d’une manière naturelle. De plus, il n’est pas en quête de visibilité. C’est pourquoi il a un rôle incontesté au sein de la famille.”

Un conciliateur

Tous les gens qui connaissent Max Jadot, de près ou de loin, s’accordent à dire que c’est un conciliateur, qu’il emprunte volontiers la voie médiane. “Il n’aime pas le modèle conflictuel, juge Karel De Boeck, ex-CEO de Fortis Banque et Fortis Holding. Max est une figure de consensus. Il fait le maximum pour établir des contacts et débattre des choses avant la réunion de manière à ce qu’il y ait déjà un compromis quand les décisions doivent être prises.”

“Mais ses qualités sont aussi ses défauts, estime un ex-banquier qui préfère rester anonyme. C’est quelqu’un qui adopte toujours une attitude constructive. Ce n’est pas l’homme qui s’oppose à la volonté de ses actionnaires. J’espère seulement que l’autonomie de BNP Paribas Fortis est totale et que la trésorerie et les salles de marché sont sous la direction et le contrôle effectifs du comité de direction et du conseil d’administration de la société belge. Il existe un risque que l’actionnaire de contrôle prenne toutes les décisions de sorte que les frais soient faits en Belgique et que les bénéfices aillent en France.”

L’aventure française

Rétrospectivement on peut dire que la meilleure promotion dans la carrière de Max Jadot a été sa nomination, début 2007, au poste de président du comité de direction et country manager de Fortis France. Il s’agissait d’une petite entité à l’aune des normes françaises et des normes de Fortis, qui devait être réorganisée d’urgence. Et il s’est acquitté de sa tâche avec brio. “C’était un amalgame d’activités qui avaient un problème de rentabilité et qui étaient géographiquement dispersées, se souvient Karel De Boeck. Max devait réaliser simultanément une restructuration, une intégration et un turnaround. De plus, l’opération avait des conséquences sociales importantes. Mais il a mené à bien les négociations avec les syndicats français et s’est frayé un chemin à travers toutes les procédures. Une réorganisation sans grèves ni articles alarmants dans la presse, il faut le faire en France !”

Son aventure française a présenté un avantage complémentaire : au moment où le groupe Fortis a implosé en 2008, il n’a pas été contaminé. Tout s’est déroulé à Bruxelles et à Amsterdam, personne n’a prêté attention au collaborateur qui était à Paris à cette époque-là. Personne ? Vraiment ? “Son travail n’est certainement pas passé inaperçu dans les milieux bancaires français, estime Karel De Boeck. Après l’acquisition de Fortis, Max Jadot a eu beaucoup de contacts avec Jean-Laurent Bonnafé. C’est un homme très intelligent et il aura vite compris à qui il avait affaire. Et puisque BNP Paribas voulait confier la barre de l’ex-Fortis à un banquier belge…” Lieve Mostrey estime par contre que Max Jadot n’était pas du tout à l’abri à Paris. “En France, c’était encore bien pire. La débâcle de Fortis y a reçu un large écho et l’insécurité qui s’est prolongée pendant plusieurs mois après l’OPA de BNP Paribas a rendu les collaborateurs et clients français très inquiets. Max a dû fournir des efforts gigantesques pour garantir la continuité.”

Dieu et tous ses saints

“Cet homme n’a pas besoin d’un réseau, remarque Karel Vinck. Il connaît simplement tout le monde. Au lendemain de l’éclatement de la crise financière, je me suis déchaîné contre les banquiers et nous avons eu un entretien. Il voulait connaître ma vision et a écouté attentivement mes arguments. Je ne pense pas qu’il était d’accord avec moi. Il trouvait probablement que j’exagérais. Mais on sent qu’il a les qualités qu’il faut pour sa fonction. Il écoute, se fait une opinion et la défend de façon diplomatique.”

Pour Herman Daems, les choses sont simples. “Parmi tous les gens que je connais, il n’y a pratiquement personne qui ne connaît pas Max Jadot. Dans le monde des entreprises belges, il connaît pour ainsi dire Dieu et tous ses saints. Mais c’était aussi son boulot. Quand on dirige pendant des années le corporate finance et l’investment banking, on connaît tous les dirigeants d’entreprise belges car ce sont vos clients. Sinon, c’est qu’on ne fait pas bien son travail.”

Trop discret ?

Max Jadot devra se défaire partiellement de son côté discret, réservé. “En tant que journaliste, vous n’en profiterez pas, lance Baudouin Velge en riant. Il communiquera surtout avec ses propres collaborateurs et avec les clients.” Mais qu’il le veuille ou non, il devient le visage de la plus grande banque de Belgique. Et ce rôle exige une certaine visibilité et des capacités communicationnelles. “Il devra bien sûr occuper davantage le devant de la scène qu’auparavant, admet Herman Daems. Mais le but n’est pas non plus qu’il participe à des jeux télé. Le temps du CEO superstar est révolu. Il s’agit de communiquer ouvertement de façon régulière sans trop se trouver sous les feux des projecteurs.”

Herman Daems estime que le nouveau CEO est confronté à trois défis importants chez BNP Paribas Fortis : faire de la plus grande banque du pays, celle qui sera aussi la plus fiable et la plus orientée client, assurer l’intégration dans le groupe et le développement des centres belges de compétences, et faciliter la carrière de Belges au sein du groupe.

Patrick Claerhout

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