Mondial 2018 : entre grandes man½uvres et lobbying discret

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Corruption, achat de voix, petits cadeaux en cash et en nature… Si la cuisine interne de la Fifa se révèle peu reluisante, la candidature belgo-néerlandaise mise sur l’éthique et l’écologie. Un lobbying payant pour l’organisation du prochain Mondial de football ? Réponse demain après-midi.

Avec 2,1 milliards d’euros de pertes, le Mondial 2010 a été un gouffre pour l’Afrique du Sud. En revanche, la Fédération internationale de football (Fifa) se porte comme un charme avec un gain de plus de 2,2 milliards, soit une hausse de 50 % de ses bénéfices par rapport à la Coupe de 2006 en Allemagne. Ce scénario, la Fifa veut le répéter lors des prochaines Coupes du Monde, et tout d’abord celle de 2018, dont elle choisira le(s) pays organisateur(s) demain, jeudi.

Les prochaines échéances se négocient durement depuis près de trois ans. Et ce ne sont pas les récents soupçons de corruption sur le scrutin qui bouleverseront le planning. Seul impact direct : il n’y aura que 22 votants au lieu de 24, car les deux membres exécutifs soupçonnés d’avoir vendu leurs voix seront suspendus. Preuve que la tension monte à l’approche du vote, les noms d’oiseaux fusent et les soupçons de petits arrangements foisonnent. L’Angleterre, candidate à l’organisation de l’épreuve, suspecte la candidature espagnole-portugaise de dealer des voix avec le Qatar, candidat pour 2022. Les Ibères et les Portugais accusent quant à eux les Anglais de saboter leur candidature. De son côté, la Russie pointe certaines irrégularités dans le dossier anglais, et l’Angleterre répond par une plainte devant la Fifa…

A qui le tour ? Pour l’heure, la candidature belgo-néerlandaise évite les coups. Parce qu’elle n’effraie pas les autres candidats ? En tout cas, elle est loin d’être la favorite chez les bookmakers anglais, avec une cote de 33 contre 1. Bien conscients d’être les outsiders, Belges et Néerlandais espèrent que les scandales à répétition feront leur jeu, eux qui ont fait de leur candidature celle de l’éthique et de l’écologie. Le sénateur Alain Courtois, “père” de la candidature, y croit dur comme fer : “Quand deux chiens se battent pour un os, c’est souvent le troisième qui part avec.” Et dernièrement, Sepp Blatter, le président de la Fifa a indiqué que “les pays qui font peu de bruit devraient peut-être être récompensés à la fin de l’étape”.

Dix millions pour une candidature

En attendant le vote, la détermination est totale et les Belges jurent avoir mis toutes les chances de leur côté. D’abord financièrement puisque le bas de laine d’HollandBelgium Bid, la fondation qui organise et promotionne le projet, s’élève à 10 millions d’euros, dont la moitié est prise en charge par les sponsors. Côté belge, les gouvernements (fédéral, régionaux et communautaires) ont investi 2,7 millions dans le projet. Certes, la somme est moindre que celle investie par d’autres candidats mais les Belges ont ciblé leurs dépenses. Car au-delà des sympathiques événements footballistiques et autres plans de communication, ils savent qu’une Coupe du Monde se gagne dans les coulisses. “L’aspect sportif compte pour 10 % dans cette course à l’investiture, reconnaît le sénateur Alain Courtois. Le reste tient du lobbying géo-économico-politique, et dans ce domaine, nous sommes les meilleurs du monde.”

Des critères géopolitiques qui sont primordiaux pour certains membres votants. Pour d’autres, le poids réel de la géopolitique est inexistant. Pour la plupart, ils existent d’autres critères qui vont de l’intérêt sportif pur aux intérêts très privés de carrière personnelle, aux intérêts financiers ou de renvoi d’ascenseur (“Je vote pour toi pour la coupe du Monde 2018, si tu votes pour moi pour 2022”, par exemple).

Reste que la consigne des communicants est claire : jamais d’agressivité et ne parler que de soi. Gagner la bataille de l’organisation plutôt que la guerre de l’info. Cependant, une campagne propre n’empêche pas de distiller un argument politique : celui des petits pays qui osent postuler l’organisation d’un événement de taille mondiale. Pour marteler ces arguments à travers la planète, le comité d’HollandBelgium Bid a mobilisé une armada de lobbyistes, appuyés par le bureau de conseil en communication Hill & Knowlton.

A la tête du comité de lobbying, on retrouve trois Néerlandais – Harry Been, Michael van Praag et Henk Kesler – et trois Belges, Alain Courtois, Michel D’Hooghe et Philippe Collin. Ensemble, ils se sont partagé le globe pour accéder directement à tous les votants du 2 décembre. Les Belges ont mené des opérations de charme en Asie (quatre voix), Afrique (trois voix), Océanie (une voix), Turquie, à Chypre, en France et en Allemagne.

La diplomatie néerlandaise a quant à elle pris soin des zones d’Amérique du Sud et du Nord. Ainsi, l’ancien sélectionneur des Pays-Bas et de la Russie Guus Hiddink, actuellement aux commandes de la sélection turque, a tenté de convaincre le Sud-coréen Mong Joon Chung, le Russe Vitaliy Moetko et le Turc Senes Erzik. Ruud Gullit, président de HollandBelgium Bid, a pour sa part prêché la bonne parole en Amérique du Sud, présumée favorable à la candidature hispanico-lusitanienne; tandis que Johan Cruijff en a touché un mot à ses confrères Ballons d’or Franz Beckenbauer et Michel Platini. Enfin Leo Beenhakker a approché Jack Warner, qu’il a bien connu lorsqu’il dirigeait l’équipe de Trinidad et Tobago.

Une liste de lobbyistes

Pour attirer ces voix, la Belgique a aussi dressé une liste de missi dominici : Jacques Rogge, président du Comité international olympique (CIO), chargé d’aiguillonner les réseaux sportifs ; Louis Michel, envoyé auprès des diplomates africains ; Eddy Merckx, proche du cheikh Jassim, prié d’amadouer le Qatar ; Justine Henin, Jean-Marie Pfaff et Paul Van Himst pour l’image. La liste de soutien compte aussi des multinationales – KLM, PricewaterhouseCoopers, ING, Randstad, Bam – qui attendent un usufruit prometteur : les dizaines de millions d’euros de travaux d’infrastructure prévus. Les ambassades à l’étranger ne sont pas en reste. “Elles ont été réquisitionnées pour peser de tout leur poids afin de convaincre les indécis du potentiel économique de notre candidature”, assure Marc Schasny, responsable de la cellule lobbying.

Les Belges, au lieu de partir aux quatre vents, ont aussi privilégié les réceptions formelles et informelles à Bruxelles et ses environs. Pour donner du faste à la candidature, Albert II s’est transformé en super VRP royal. Les invitations se sont ainsi multipliées et le ballet d’officiels étrangers n’a pas cessé au Palais : Sepp Blatter, président de la Fifa ; Issa Hayatou, le président de la Confédération africaine de football ; Mohamed Bin Hammam, président de la Confédération asiatique de football… “Nous jouons la carte de la candidature des familles royales, résume Alain Courtois. Certains n’y sont pas insensibles.”

Plusieurs institutions européennes se trouvant à Bruxelles, ce réseau d’influence s’est activé naturellement. Notamment lors du récent somment Union européenne-Asie et dans le cadre de la présidence belge du Conseil de l’Union. “Je ne dois pas vous rappeler la position qu’occupe Herman Van Rompuy, susurre un proche de la candidature. En plus, la proximité des instances européennes peut aussi être un avantage pour la Fifa : quelques dossiers annexes au foot doivent être réglés… Dans cette optique, nous jouons un rôle de facilitateur.”

Autre argument : l’aide aux pays en développement. Aux Africains, une des clés du scrutin, les Belges tiennent des promesses : accords de coopération, amélioration de la sécurité des stades en Côte-d’Ivoire, formation d’entraîneurs via le programme WorldCoach, ou encore la mise sur pied de cantines scolaires. Mais pas question de passer outre les fameuses “règles de conduite” de la Fifa, qui veulent que tout contact doive être déclaré préalablement, et par écrit, au comité d’éthique. Cette règle, bon nombre de candidats à l’organisation des prochaines Coupes du Monde ne l’ont pas respectée lors du dernier Mondial, en Afrique du Sud.

Match Russie-Belgique ?

Pour l’heure, la Russie tiendrait la corde pour 2018. Mais en dehors de Moscou et Saint-Pétersbourg, le ticket russe manque de stades dignes de ce nom, d’aéroports aux normes internationales, de liaisons ferroviaires et aériennes de qualité, d’institutions hospitalières performantes ou encore de possibilités d’hébergement suffisantes. N’empêche, cet immense pays dispose notamment de fameuses armes énergétiques – gaz et pétrole – et de liquidités. En plus, l’attribution de la Coupe du Monde à la Russie constituerait un marché énorme et un tremplin pour les marques commerciales dans les pays de l’Est, comme celle de 2010 le fut pour les marchés africains, le Mondial de 1994 pour le marché américain et celui de 2002 pour le marché asiatique.

Dans ce contexte, les Belges peuvent-ils encore faire basculer le scrutin ? “Rien n’est fait ! pointe Alexandre Charlier, porte-parole du HollandBelgium Bid. On vise le deuxième tour du scrutin car après, avec le report de certaines voix, tout peut arriver.” Une surprise est-elle donc encore possible ? “Si j’en crois les promesses, six votes seraient déjà assurés mais tout est aléatoire…”, confie un membre du comité de lobbying.

Alain Courtois, lui, préfère rappeler qu'”en 1999, lors de la désignation du pays hôte pour l’Euro 2004, l’Espagne était ultra favorite mais le Premier ministre portugais Mario Soares a fait diffuser un film dans lequel 13.500 Portugais se rassemblaient pour former le logo de la candidature. Les votants ont vu l’engouement populaire et le Portugal a raflé la mise”. Précisons que le scrutin, c’est la version sportive des ” Dix petits nègres” d’Agatha Christie. A chaque tour, on élimine un pays jusqu’au moment où il n’en restera que deux. Le résultat est acquis lorsqu’une des candidatures a recueilli 12 voix. Et la cheville ouvrière de la candidature belgo-néerlandaise de promettre une dernière surprise aux membres du comité exécutif de la Fifa qui se réuniront demain sur la colline de Sonnenberg, à Zurich. Surprise suffisante pour en créer une autre ? Demain, en fin d’après-midi, on saura.

Valéry Halloy

Un Mondial coûterait 12 euros par Belge

Une Coupe du Monde en Belgique : jackpot ou mirage économique ? A cette question, la réponse du Bureau fédéral du plan est sans équivoque : “L’impact serait limité sur le PIB : de l’ordre de 0,13 % en 2018. Et concernant l’emploi, les prévisions oscillent entre 9.100 et 13.500.”

Pire, dans un premier temps, l’impact serait négatif sur les finances publiques, de l’ordre de quelque 20 millions d’euros par an jusqu’en 2017. Ce choc économique serait toutefois compensé par des recettes fiscales supplémentaires de 161 millions d’euros en 2018 et par les effets de la dynamique économique au cours des deux années suivantes (de l’ordre de 26 millions).

Concrètement, les coûts économiques de l’organisation d’une Coupe du Monde se concentreraient sur la rénovation (ou la construction) des six stades belges et sur la sécurité. Ainsi, la mise aux normes Fifa de stades coûterait 490 millions d’euros, répartis à concurrence d’un tiers pour les autorités publiques (Etat, villes) et deux tiers pour les opérateurs privés. Un montant plancher car la facture finale pourrait s’élever… au double. Quant au budget sécurité, il est estimé à 150 millions, qui seraient entièrement pris en charge par l’Etat. En contrepartie de ces investissements, les revenus liés au tourisme, aux équipes et aux médias devraient générer 512 millions de bénéfices. Au total, l’impulsion économique serait de 1,152 milliard d’euros. Injectés dans l’économie belge de 2011 à 2018, ils devraient générer une activité correspondant à 1,8 fois les dépenses initiales, assure le Bureau du plan.

La facture serait finalement quasi indolore pour l’Etat – et les contribuables – puisque chaque Belge devrait sortir seulement 12 euros de sa poche. Ce que le Bureau du plan ne sait par contre pas chiffrer, ce sont les bénéfices immatériels qu’une Coupe du Monde pourrait apporter à l’image de notre pays.

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