Miller chez D’Ieteren et Spadel : ces banquiers qui reviennent aux affaires

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D’Ieteren et Spadel devraient bientôt accueillir l’ex-CEO de Dexia au sein de leurs conseils d’administration. Du moins, si leurs actionnaires approuvent la nomination d’Axel Miller… L’associé de Petercam n’est pas le premier ex-banquier à “se recaser”.

Axel Miller, l’ancien CEO de la banque franco-belge Dexia, devrait être nommé administrateur indépendant au sein du groupe automobile D’Ieteren, rapportent jeudi plusieurs journaux. L’homme est également proposé comme administrateur au sein du groupe de boissons Spadel. Pour l’instant il est déjà associé de la société de Bourse Petercam.

Tilmant, Bergen et Miller : ces banquiers qui reviennent aux affaires

Petit à petit, ils reprennent du service, sollicités à gauche et à droite pour accepter un mandat d’administrateur dans une société, en Belgique ou à l’étranger. “Ils”, ce sont les Tilmant, Bergen et Miller. Trois des quatre anciens CEO belges de banque qui ont perdu leur job avec la crise.

C’était voici bientôt deux ans. Le 11 juillet 2008. A la tête du groupe de la rue Royale depuis octobre 2004, Jean-Paul Votron ouvrait le bal de la valse des CEO belges de banque en se faisant éjecter de chez Fortis. A l’automne de cette même horrible année 2008 pour la finance belge, Axel Miller faisait les frais de l’accord trouvé entre Belges et Français pour sauver Dexia. Quelques mois après, en janvier 2009, c’était au tour de Michel Tilmant de rendre son tablier de grand patron du groupe financier néerlandais ING, alors que ce dernier subissait de plein fouet les conséquences de la crise des subprimes. Quant à André Bergen, victime d’une crise cardiaque le 9 mai 2009 suite aux sauvetages à répétition de KBC, il passait contraint et forcé les commandes du groupe à Jan Vanhevel, avant de quitter formellement la banque flamande un peu plus tard. Bref, en même pas 12 mois de tourmente financière, entre juillet 2008 et mai 2009, le paysage de la finance belge avait complètement changé. Tant au niveau des institutions financières qu’à la tête de ces dernières.

Très demandés comme administrateurs

Depuis lors, que sont devenus ces ex-patrons de “grandes banques belges” ? Le premier à avoir rebondi est Axel Miller. L’ancien patron de Dexia a rejoint, en juin dernier, les équipes de Petercam comme associé. Une maison au sein de laquelle il semble avoir rapidement trouvé ses marques – pour ne pas dire emporté l’adhésion d’une bonne partie du personnel – puisqu’il fait d’ores et déjà partie du nouveau comité exécutif en charge de la gestion journalière. Des responsabilités qu’il combine désormais avec deux mandats d’administrateur. Le premier chez Carmeuse, le second chez Spadel.

A l’instar d’Axel Miller, Michel Tilmant a lui aussi gardé un pied dans le monde financier. Il représente les intérêts de l’Etat belge au sein du géant français BNP Paribas, nouveau propriétaire de Fortis Banque, et siégera prochainement au sein des conseils d’administration du groupe d’assurances luxembourgeois Foyer et de sa filiale CapitalatWork. Il fera également son entrée aux conseils de Sofina (holding de la famille Boël) et du groupe Lhoist, leader mondial de la chaux. Sans oublier sa casquette de conseiller de Verlinvest, un holding contrôlé par les familles de Spoelberch et de Mévius (actionnaires d’AB InBev). De son côté, André Bergen se retrouvera bientôt administrateur dans cinq sociétés, dont deux cotées en Bourse. Il s’agit de Cofinimmo, la plus grosse sicafi belge, et de la Bourse internationale Nyse-Euronext, où il remplacera Jean Peterbroeck. Par ailleurs, il n’exclut pas certaines missions plus ponctuelles de consultance.

Et Jean-Paul Votron ? L’homme se fait toujours très discret. Et pour cause : il fait partie des anciens dirigeants de Fortis qui risquent d’être incriminés par le rapport de l’Ondernemingskamer qui examine aux Pays-Bas les faits ayant conduit le groupe de la rue Royale à la chute. Un document dont les conclusions sont attendues dans les semaines à venir. Quant à Maurice Lippens, qui avait démissionné de la plupart de ses mandats, dont la présidence de Fortis et son siège au conseil d’administration de Belgacom, à l’automne 2008, à la suite du démantèlement du bancassureur, il vient d’être reconduit pour trois nouvelles années au sein du conseil de GBL, le principal holding coté du groupe Frère.

Une expertise financière recherchée

Mais revenons aux Tilmant, Bergen et Miller. Car le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont la cote pour le moment. Depuis quelque temps, plus une semaine ne s’écoule sans que l’un d’entre eux ne fasse parler de lui dans la presse financière à l’occasion de leur arrivée dans les conseils d’administrations des sociétés cotées ou non. En Belgique et à l’étranger. Ce qui nous amène à la question : comment expliquer que ces banquiers soient si demandés comme administrateurs ou conseillers ? Pourquoi leur profil est-il si intéressant ?

Pour Pierre Nothomb, associé chez Deminor, la réponse est assez simple : “Il est assez logique que ces anciens banquiers soient convoités, estime-t-il. Ce sont trois personnalités expérimentées avec un profil international. Quelqu’un comme André Bergen a une énorme expérience financière, tant chez KBC qu’à la Générale de Banque. Je comprends qu’on pense à un format pareil pour se faire conseiller.”

Un avis que partage Jean Van den Eynde, patron du cabinet de recrutement Russel Reynolds en Belgique : “Des managers de cette envergure ne sont pas arrivés à ces positions par hasard. Il y a très peu de dirigeants, surtout en Belgique, qui ont eu une expérience aussi riche de leadership et de gestion de sociétés de grande taille, et cela dans des circonstances compliquées et difficiles. C’est cette expérience qui a forgé leur caractère, qui leur permet d’exprimer un jugement, d’analyser des situations et des développements et d’ainsi contribuer aux débats des conseils d’administration.” Dans une interview accordée à nos confrères de La Libre Belgique, André Bergen expliquait pour sa part que “pas mal de sociétés étaient à la recherche d’une expertise financière” avant d’ajouter que celle-ci “allait de la connaissance des nouvelles règles comptables IFRS aux road-shows en passant par ce que signifie une cotation en Bourse ou des conseils en termes de structures de financement”. Sans compter qu’au-delà de cette expérience strictement financière, il y a en général aussi un savoir-faire en matière de gestion des ressources humaines, d’informatique…

A ces éléments de réponse s’ajoute évidemment un rôle d’administrateur qui a beaucoup changé en quelques années. Accepter un mandat requiert aujourd’hui non seulement des compétences accrues mais aussi un investissement personnel conséquent. “Il y a quelques années, remarque un autre chasseur de têtes, certains conseils d’administration de grandes entreprises ne se réunissaient pas plus de quatre fois par an. Désormais le calendrier compte souvent une douzaine de réunions sur l’année. Sans compter celles des comités d’audit ou de rémunération, si on en fait partie.”

Merci aussi le carnet d’adresses !

Tout de même : n’est-il pas quelque part un peu choquant de voir ces anciens grands banquiers, qui ont été malmenés par la crise, revenir ainsi sur le devant de la scène ? N’en déplaise à certains, on répondra que l’image professionnelle des Tilmant, Bergen et Miller n’a pas autant étéécornée que celle des Lippens et consorts. “Depuis les changements intervenus après la loi Sarbanes-Oxley, poursuit Jean Van den Eynde, les conseils d’administration ont sciemment essayé de renforcer les connaissances financières en leur sein, et plus particulièrement dans les comités d’audit. La situation actuelle, assez ponctuelle, et la crise financière d’un autre point de vue, font que ces trois profils ne sont plus à la tête d’organisations de grande taille qui prenaient presque tout leur temps et leur énergie, et qu’ils sont disponibles pour des mandats d’administrateur externe. Il ne faut peut-être pas chercher des grandes tendances dans une situation qui est exceptionnelle, et qui concerne trois personnalités d’une envergure assez exceptionnelle pour le marché belge.”

Et puis, il y a aussi l’inévitable carnet d’adresses qui joue assurément un rôle. “Qu’on le veuille ou non, le choix des administrateurs est encore fortement basé sur du copinage et des effets d’annonce, glisse un bon connaisseur du métier d’administrateur. Certains confondent encore compétences et notoriété.” Notoriété ? Copinage ? Chez Cofinimmo, l’actuel président André Dirckx est un ancien de la Générale de Banque, tout comme André Bergen. Qui y côtoiera aussi d’autres banquiers comme Alain Schokert (Banque Degroof) ou Xavier de Walque. Directeur financier du groupe Dexia au moment de son sauvetage, et victime dans la foulée de celui-ci d’un burn out, ce dernier est devenu vice-président de Dexia Banque. D’un autre côté, celui qui a attiré Axel Miller chez Petercam, Pierre Drion, président de Spadel, n’est sans doute pas étranger à sa nomination en tant qu’administrateur du groupe spadois. Les mauvaises langues chuchotent enfin que Michel Tilmant est un homme d’Albert Frère (il a restructuré la BIL avant que GBL ne la revende à l’ancien Crédit communal et qu’il n’entre soutenu par Frère à la BBL, dont il est devenu patron). Albert Frère dont le groupe compte par ailleurs BNP Paribas comme gros actionnaire.

Une reconversion payante

Et les finances dans tout cela ? Difficile de ne pas en parler. Car si devenir administrateur indépendant est une manière pour ces “banquiers disponibles” de garder un pied à l’étrier, la démarche est aussi bien sûr synonyme de tantièmes. La rémunération annuelle moyenne qui prévaut dans les grandes entreprises du pays oscille entre 25.000 et 35.000 euros. Chez Cofinimmo, André Bergen percevra ainsi 25.000 euros et 2.500 euros en plus pour chaque réunion du conseil à laquelle il assistera. Michel Tilmant et les autres administrateurs de Sofina se partageront eux 3,5 % des dividendes nets. Ce qui, pour l’exercice 2009, représente pas moins de 1,6 million d’euros. Soit une bonne centaine de milliers d’euros par tête de pipe. Ce qui pour Michel Tilmant sera nettement plus que chez BNP Paribas, où sa rémunération devrait tourner autour des 30.000 euros. Ces montants ne sont pas négligeables. Loin de là. Reste qu’ils n’ont toutefois rien de comparable à ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons. Et encore moins par rapport aux salaires gagnés du temps où ces grands banquiers étaient chief executive officers.

Sébastien Buron

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