Les Insus, le fructueux come-back du groupe Téléphone

Richard Kolinka, Louis Bertignac, le jeune bassiste Aleksander Angelov et Jean-Louis Aubert. Les trois papys du rock français, qui ont visiblement pris plaisir à rejouer ensemble, ont rassemblé 800.000 spectateurs en 13 mois de tournée. © PIERRE HENNEQUIN

Le groupe de rock composé de trois anciens membres de Téléphone achevait ce week-end une tournée triomphale au Stade de France qui coïncide avec le lancement d’un album live. Depuis 2015, entre fougue et retour savamment orchestré, ils ont conquis 800.000 spectateurs et engrangé les millions.

C’est devenu une habitude, dans la salle, le smartphone a remplacé peu à peu le briquet, ce cierge que l’on balançait au-dessus de la tête en signe de recueillement. Question d’époque.

Sur la scène, en revanche, rien n’a changé. Les trois membres fondateurs du groupe Téléphone qui se sont reformés sous le nom des Insus, ont gardé la fougue et la silhouette longiligne de leurs 20 ans. Louis Bertignac bondit et secoue sa crinière comme à l’époque de La bombe humaine (1979), comme au temps d’Argent trop cher, le morceau phare de leur troisième album Au coeur de la nuit (1980), vendu à plus de 200.000 exemplaires.

Difficile de trouver en 2017 un quinquagénaire qui n’a pas dansé sur les riffs frénétiques de New York avec toi (1984), vibré aux notes mélancoliques d’Un autre monde (1984), même si celles-ci ont été ouvertement inspirées par Jealous Guy de John Lennon, selon les propres aveux de Richard Kolinka, le batteur.

Autant d’airs entêtants qui ont marqué toute une génération. Il faut dire qu’au rayon rock, bad boys et Stratocaster – la fameuse guitare électrique produite par Fender -, l’Hexagone, pris en étau entre le disco et la vague pop et synthé, n’avait à l’époque pas grand-chose de viril à se mettre sous la dent et donc dans les oreilles. L’arrivée de Téléphone dans les walkmans fut une aubaine y compris financière avec plus de 6 millions d’albums écoulés. Pour certains critiques, le groupe porté par Jean-Louis Aubert était l’équivalent des Rolling Stones en français. Certes, mais de là à imaginer 40 ans après leurs débuts et au terme de trois décennies de silence, un tel triomphe… Le come-back a généré la vente de 800.000 places sur à peine 13 mois de tournée cumulée. Pour la seule année 2016, le pactole des Insus est estimé à 12 millions d’euros. Leur concert unique à Forest National en octobre dernier se serait négocié autour de 450.000 euros.

Jouer les prolongations

Les Insus, le fructueux come-back du groupe Téléphone

A 60 ans passés, les joyeux compères, visiblement très complices, font carton plein, y compris dans les bacs. Les coffrets, intégrales, reprises et autres rééditions vinyles de Téléphone, remastérisés par Warner, se sont multipliés comme jamais ces derniers mois. Quant aux Insus, le nouvel avatar dont le répertoire est intégralement emprunté à l’ancienne formation et dont le nom même est un clin d’oeil au passé (Insus…portables !), ils sont l’objet de multiples attentions en cette rentrée, entre lancement événement d’un album live, édition collector proposée à partir de fin septembre pour 99 euros et commercialisation prochaine d’un livre de photos inédites prises en coulisses.

Pour clore leur tournée, les papys rockers s’offrent – suprême récompense – le Stade de France. L’objectif initial qui consistait à remplir les 81.000 places le soir du vendredi 15 septembre a été rapidement atteint, poussant musiciens et producteurs à jouer les prolongations avec un ” dernier appel “, autrement dit un second concert, ce samedi 16 septembre. Une finale en deux manches qui représente une cagnotte potentielle de 11 millions d’euros brut en billetterie.

Jean-Louis Aubert, Louis Bertignac et Richard Kolinka ne sont pas les seuls à bénéficier de ce fructueux retour en grâce. Au sein des associés d’ABKR, la société qu’ils ont fondée en 2015, on trouve François Ravard, le manager historique de Téléphone et, aux côtés du quatuor, la société de Gérard Drouot, un vieux routier de la profession qui a chapeauté il y a quelques mois la tournée d’un autre revenant, Jean-Michel Jarre. Le troisième attelage est tiré par l’organisateur américain de spectacles Live Nation, leader mondial qui gère plus de 25.000 concerts par an. Bref, une équipe de choc pour mettre en scène le sacre des revenants qui n’avaient plus joué ensemble depuis 1986, date officielle de la séparation du groupe même si, ici et là, on a pu les voir ensemble au détour d’une émission de télévision ou sur scène, pour quelques titres seulement, comme en 1994, au Bataclan.

Au pied du mur

Les Insus, le fructueux come-back du groupe Téléphone

Aux dires de Jean-Louis Aubert, les retrouvailles germaient depuis un certain temps. On parle d’une quinzaine d’années… Un bail suffisant pour paramétrer dans les moindres détails le scénario de la résurrection. Les premiers bruits de couloir insistants se font entendre au tournant des années 2010-2011. Les fans trépignent mais rien ne vient. Il faudra encore attendre trois ans. Le 11 septembre 2015, les Insus, un nouveau groupe totalement inconnu, se produit dans une micro salle parisienne de… 300 places. Totalement inconnu ? Finement dosée par Aubert et ses acolytes, la rumeur médiatique d’une recomposition des figures de proue de Téléphone se répand quelques jours avant le jour J. Certains membres du groupe vont jusqu’à semer des indices sur la toile… Le rideau est enfin levé, le coup de pub est retentissant.

Début décembre, le jour de l’annonce de la tournée, près de 200.000 places sont vendues en l’espace d’une journée. Plus fort que Springsteen ou U2. Après le teasing de la rive droite parisienne pour happy few, le groupe prend rapidement ses quartiers dans les Zénith de France et autres Arena d’une capacité supérieure à 15.000 places. Avec une énergie intacte et un plaisir évident à se retrouver, les Insus conquièrent le public, ravi de renouer avec les idoles de sa jeunesse. L’osmose entre les trois ” potes ” semble totale. Oubliée la pilule amère que Jean-Louis Aubert – qui a écrit la majorité des titres de Téléphone – dut avaler il y a bien longtemps lorsqu’il vit ses droits d’auteur et de reproduction limités à 40 % sous la pression de ses petits camarades de jeu qui réclamaient leur part de gâteau…

” A l’époque, ils ont mis Jean-Louis Aubert au pied du mur. Ils lui ont dit : ‘Soit tu partages, soit on casse le groupe’. La mort dans l’âme, il a accepté mais rien ne l’obligeait à le faire, explique Daniel Ichbiah, biographe du groupe. La loi est claire : l’oeuvre appartient à celui qui la crée. McCartney et Lennon n’ont pas partagé avec Ringo Starr parce qu’il jouait de la batterie. Les groupes qui acceptent de se répartir les droits comme REM ou Coldplay sont des exceptions. ”

La question autour du sort de Corine Marienneau, l’ex-bassiste de Téléphone qui a été écartée de la nouvelle formation, est plus sensible. La musicienne qui n’a pas sa langue dans sa poche, a toujours entretenu des relations conflictuelles avec Jean-Louis Aubert, même du temps de Téléphone. Selon elle, les Insus, qui inclut désormais le jeune bassiste attitré de Jean-Louis Aubert, Aleksander Angelov, seraient poussés par le seul appât du gain. ” C’est tout à fait caricatural, estime Daniel Ichbiah. Aucun des trois artistes ne court après le cachet et certainement pas Jean-Louis Aubert qui gagne très bien sa vie depuis qu’il a entamé sa carrière solo. ” Les trois ” mâles ” ne semblent pas non plus avoir digéré le livre que la musicienne a publié en 2006 – et qui a été réédité en 2012 -, où elle dévoile un envers du décor peu reluisant pour ses anciens partenaires et en particulier pour Jean-Louis Aubert, décrit comme un personnage colérique, machiste, à l’ego surdimensionné. En interne, la colère gronde toujours. Mais à en juger les compteurs des ventes et l’engouement des centaines de milliers d’admirateurs, le mythe, lui, ne s’est jamais aussi bien porté.

Par Antoine Moreno.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content