Le juge qui fait trembler les patrons

© Frédéric Pauwels

L’affaire de délit d’initiés mettant en cause Bois Sauvage rebondit au tribunal correctionnel. Au coeur du dossier : le juge Claise. Justicier ou un magistrat qui instruit à charge et à décharge ? Portrait.

(Note : cet article est paru dans le magazine Trends-Tendances daté du 8 octobre 2009.)

Abus de biens sociaux, fausses factures, corruption, sociétés bidon, escroquerie, blanchiment… Tels sont les maux que traque Michel Claise. Entêté, rigoureux, le zèle dont fait preuve le juge d’instruction bruxellois commence toutefois à inquiéter, voire à agacer bon nombre de chefs d’entreprise. C’est qu’à 53 ans, il est considéré comme l’un des meilleurs de sa profession, insensible aux pressions et aux embûches.

Indépendant avant tout

Farouchement affranchi à en croire ceux qui le fréquentent au quotidien, Michel Claise a développé ce goût pour l’indépendance dans les auditoires des Facultés Saint-Louis où il a fait candidatures en droit. L’avocat Didier De Quevy, qui l’a côtoyé à cette époque se souvient : “Aussi loin que je m’en rappelle, la passion et l’intransigeance dans l’application du droit l’ont guidé. Son intégrité était déjà remarquable.” Comme lorsqu’il se plaça au-dessus de la mêlée en s’intéressant aux antennes bruxelloises du SETCa et de la FGTB ou aux petites “affaires” de Georges Dumortier, l’ex-directeur du Botanique, alors que certains le disent proche du parti socialiste de par ses accointances avec Philippe Moureaux. Même constat lorsque ce grand laïque – il est administrateur de l’asbl philanthropique maçonnique Omnes Pro Uno qui vient en aide aux déshérités et fut membre du Cercle du Libre examen de l’ULB – s’intéresse de près à l’Exécutif des Musulmans de Belgique ou à l’Eglise de Scientologie. “Il n’a de revanche à prendre sur personne, ni sur les banquiers ni sur les avocats et il est ouvert à toutes les philosophies et confessions religieuses, c’est ce qui explique son honorabilité à toute épreuve”, lance un observateur.

Après avoir décroché sa licence en droit à l’ULB en 1979, Michel Claise entre au cabinet de Guy Uyttendaele, qu’il considère comme son père spirituel. Très en verve et l’enthousiasme communicatif, il endossera les habits de président de la Conférence du jeune barreau. Il se présentera aussi aux élections du conseil de l’Ordre. Il sera élu et siégera trois années. Par la suite et durant 20 ans, il se fera un nom comme avocat spécialisé en droit commercial au sein du cabinet de Philippe Grollet. Quelle surprise, dès lors que beaucoup s’attendaient à ce qu’il devienne juge au tribunal de commerce de Bruxelles, de voir Michel Claise prendre le chemin du tribunal correctionnel avant de réussir l’examen de la magistrature en 1999 et de devenir, deux ans plus tard, juge d’instruction. Le 2 mai 2001, il succède ainsi au juge Jean-Claude Leys.

Le symbole de la lutte contre la délinquance financière

Les dossiers ne cesseront alors plus de s’accumuler. Georges Gutelman, ex-patron de Trans European Airways puis de City Bird, est placé sous mandat d’arrêt pour blanchiment d’argent. Puis vient le tour de François Thomazeau, président du conseil d’administration d’AGF Belgium, inculpé notamment de faux et usage de faux, faux dans la comptabilité et fraude fiscale. Marc Blanpain, président de la Belgolaise, est lui mis en cause pour blanchiment. Jean-Paul de Nys, administrateur délégué de Bureau Van Dijk, est placé sous mandat d’arrêt pour avoir confondu patrimoine professionnel et privé. Autant d’affaires que Michel Claise semble aimanter. Comme si, à chaque fois, cet esprit libre, devenu le symbole de la lutte contre la délinquance financière, devait se confronter au pouvoir en place et déjouer les pièges qui lui sont tendus. Mais en mettant “au trou” Vincent Doumier d’abord et Luc Vansteenkiste ensuite, Michel Claise a touché le coeur du patronat. D’autant plus que l’ancien président de la FEB, dont les ramifications du réseau sont profondes (Spector, Telindus, Sioen, Ter Beke, Compagnie du Bois Sauvage, Delhaize, Fortis Banque…), préside Recticel, un groupe industriel de 1,55 milliard de chiffre d’affaires qui fait travailler 12.000 personnes.

Mais si le monde financier semble découvrir avec stupeur qu’il existe un danger judicaire relatif aux délits d’initiés, c’est surtout l’establishment qui se sent menacé. Rappelons en effet que quelques mois après avoir quitté la présidence de la FEB, Luc Vansteenkiste avait reçu le titre de baron et qu’il préside depuis bientôt un an le comité de gestion du Fonds Prince Philippe.

D’aucuns affirment dès lors que le magistrat obstiné dégainerait trop vite des mandats d’arrêts. “Sa méthode consiste à avoir bien souvent la main leste”, assure un avocat. Une vue que ne partage pas Me De Quevy : “Il n’use ni abuse de la prévention provisoire, au contraire, je trouve qu’il est d’une grande correction.” Thierry Afschrift, avocat fiscaliste et professeur à l’ULB, abonde dans le même sens : “Ce n’est pas le pire des juges en la matière. S’il délivre les mandats d’arrêt rapidement, il a tendance à les lever tout aussi rapidement.” Et si d’autres le jugent “sévère”, ils le qualifient néanmoins de “juste” dans l’exercice de sa fonction.

Du côté des patrons, on préférerait, plutôt que de voir le juge Claise dégainer à tour de bras, en venir à la dépénalisation du droit des affaires. Une suggestion qui offusque Jean-François Godbille, avocat général près la cour d’appel de Bruxelles : “Lorsqu’une enquête concerne des mafieux, personne ne monte au créneau mais dès qu’une enquête se penche sur des malversations de chefs d’entreprise, le même discours revient à savoir qu’il faut dépénaliser le droit des affaires. Ce serait une grave erreur et une absence de compréhension de ce qu’est la criminalité organisée ou la criminalité économique.” Pour la FEB, le débat est à prendre avec prudence même si pour Philippe Lambrechts, son secrétaire général, “il est clair que plus les nouvelles lois contiennent des dispositions pénales diverses et variées, plus un chef d’entreprise a des chances de s’y retrouver confronté. Cet excès de réglementation a tendance à obscurcir ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Il faut avant tout rétablir une hiérarchie de la pénalisation.”

Détesté et jalousé dans sa corporation

Lorsqu’on interroge le petit monde de la magistrature à propos de Michel Claise, les éloges et les diatribes pleuvent. C’est que ce chasseur de vérité veut toujours en savoir plus, quitte à se mettre à dos certains de ses confrères. “Il est soupe au lait de temps à autre car au plus profond de lui-même, c’est un sanguin”, affirme un avocat spécialisé en droit financier. Et lorsque les scandales financiers le placent à la Une des médias, il subit le regard des autres. “La magistrature a toujours détesté les affaires médiatisées et ceux qui se trouvent sous les feux des projecteurs, il n’est donc pas étonnant que les envieux s’épanchent”, note un avocat pénaliste bien connu de la place bruxelloise. “Il se dit que les contacts avec le juge d’instruction Jean-Claude Van Espen, longtemps considéré comme la vedette des juges financiers, se sont refroidis ces derniers temps”, assure un avocat. “Il a beaucoup d’ennemis à l’intérieur de la Justice, dont Luc Hennart (Ndlr : le président du tribunal de première instance de Bruxelles), ce qui n’est pas sans conséquence sur le bon déroulé des enquêtes, confesse un autre membre de la magistrature debout. Mais il n’est pas le seul magistrat à récolter des inimitiés au fur et à mesure des enquêtes médiatisées.”

A la fois détesté et jalousé dans sa corporation, très apprécié des avocats, redouté par les criminels en cols blanc, Michel Claise est un magistrat atypique dont le trait de caractère principal n’est autre que sa force de travail. “Il possède une grande maîtrise de ses dossiers à la fois par son intelligence de travail et par son audace, assure Jean-François Godbille. Et lorsqu’il a pris position, il va jusqu’au bout de sa logique en exécutant sa responsabilité en dehors de toutes pressions.”

Tel un croisé anti-corruption, le juge Claise fonce, enquête et cache de moins en moins sa colère face à “l’argent tout puissant” et au manque de moyens dont dispose la justice pour lutter contre la criminalité financière. Même si au parquet, pourtant, la volonté y est. Paul D’Haeyer, qui avait été spécialement délégué par le procureur du Roi de Bruxelles, et Bruno Bulthé (avec Jean-François Godbille) ont d’ailleurs sué sang et eau pour résorber l’arriéré judiciaire des dossiers financiers de la capitale afin d’accélérer les enquêtes. “Ils ont fait de la médecine d’urgence entre avril 2008 et juin 2009 afin de sauver les dossiers qui pouvaient encore l’être, confie un observateur. Quant à ceux entachés de putréfaction, ils ont dû les abandonner dans les limbes de la prescription.”

Un large réseau à défaut de moyens

Si les enquêtes ont trouvé un rythme de croisière plus rapide que précédemment grâce à une gestion des dossiers passant du last in-first out au first in-first out, les quatre juges d’instructions bruxellois ont-ils pour autant les moyens humains ? Nous avons été sidérés d’apprendre que le juge Claise dispose en tout et pour tout… d’un seul enquêteur à temps plein pour le dossier des délits d’initiés présumés de Fortis. Certes, pour les perquisitions, son enquêteur peut faire appel aux collègues mais les moyens alloués aux enquêtes financières restent maigres. Est-ce pour cela que Michel Claise est l’un des rares juges d’instruction à descendre avec son enquêteur sur le terrain, histoire de prêter main forte ?

Pour pallier ce manque de moyens, l’une des forces du juge Claise est celle de s’entourer d’experts pluridisciplinaires de premier plan. Des rencontres non officielles qui lui permettent d’avoir une vue plus juste sur les dossiers. Si l’on sait que Raymond Krockaert, président de l’Ordre des experts-comptables et comptables brevetés de Belgique, apporte son éclairage à titre privé, les autres spécialistes qui conseillent le juge Claise restent, tout logiquement, d’une grande discrétion.

Michel Claise s’appuie également sur ses bonnes relations avec le parquet et quelques collègues dont Jeroen Burm, son homologue néerlandophone ou Hervé Louveaux, qu’il fréquentait déjà lorsqu’ils travaillaient tous deux au cabinet de Philippe Grollet.

La robe, la plume et les planches

Côté jardin, Michel Claise est un grand amateur de musique baroque et surtout de Jean-Sébastien Bach. Il a aussi oeuvré dans le sport puisqu’après avoir pratiqué le rugby pendant des années, il a défendu, en tant qu’avocat, les intérêts de la FISU (Fédération internationale du sport universitaire). Là, il côtoyait notamment Laurent Briel, le directeur des Championnats du Monde universitaires à la FISU et administrateur comme lui d’Omnes Pro Uno, ainsi que Luc Vandeputte, le directeur du centre d’étude en Sport Business Management à Solvay. L’âge faisant, il s’est tourné vers la comédie. Pas celle de boulevard, malgré ses talents de conteurs de blagues, mais celle des grands auteurs. Une passion pour les planches qui l’amènera à endosser le rôle d’administrateur du théâtre de la place des Martyrs. Humainement, d’aucuns n’hésitent pas à louer sa fibre sociale : “C’est une vraie personnalité humaniste dotée d’un humour percutant et satirique, assure Raymond Krockaert. Il possède aussi une grande culture littéraire et musicale.”

L’homme ne craint pas non plus la contradiction. Ainsi, il aime jouer l’ambiguïté avec les médias. Autant il reste à l’écart de la presse, refusant toute séance photo arguant à qui veut l’entendre qu’il privilégie la fonction à l’homme, autant il n’hésite pas à se dévoiler dans les médias lorsqu’il prend la casquette de romancier. Car le juge du local 310 possède autant le sens de la parole du juriste que le sens de la plume. Cette envie d’écrire n’est pas neuve et il n’a pas attendu d’être à la retraite pour s’y mettre. Bien au contraire. Prolifique, il a déjà signé trois romans ces trois dernières années et il se chuchote qu’il parachève une suite à son premier roman, Salle des pas perdus. Avant un roman noir sur l’affaire Fortis ?

Valéry Halloy, avec S.B.

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