La discrète reine belge de la télé française

Dans les années 1980, elle a présenté le JT sur RTL-TVi. Mais que de chemin parcouru depuis ! Passée par France 2, Canal+ et aujourd’hui M6, Bibiane Godfroid est une incroyable “faiseuse” d’émissions à succès. Les chaînes françaises se l’arrachent.

Dans les années 1980, elle a présenté le JT sur RTL-TVi. Mais que de chemin parcouru depuis ! Passée par France 2, Canal+ et aujourd’hui M6, Bibiane Godfroid est une incroyable “faiseuse” d’émissions à succès. Les chaînes françaises se l’arrachent.

C’est un fameux paradoxe ! La Belge Bibiane Godfroid s’est imposée ces 20 dernières années comme une des personnalités les plus influentes de la télévision française, accumulant les succès tant chez France 2 que chez Canal+ et M6, mais dans le même temps, elle a tendance à fuir les projecteurs et les mondanités, préférant généralement l’ombre à la lumière. En d’autres mots, c’est une très peu médiatique star des médias, à mille lieues du culte de la personnalité qui caractérise la plupart des acteurs du monde de la télévision. “Mes cultes à moi, ce sont le travail et les programmes”, sourit-elle. “Elle est à la fois talentueuse et humble, ce qui est très rare dans ce métier”, confirme Thierry Tacheny, le patron de SBS Belgium, qui la connaît bien.

Sans jamais se mettre en avant, Bibiane Godfroid s’est forgée un C.V. qui a de quoi faire pâlir n’importe quel énarque, puisqu’elle a notamment été directrice de la programmation de France 2, vice-présidente exécutive des 42 chaînes du groupe Canal+ à la grande époque de Jean-Marie Messier chez Vivendi Universal, et PDG de la société de production audiovisuelle Fremantlemedia avant d’être nommée début 2007 à la direction générale des programmes de M6. Un parcours télévisuel presque parfait auquel il ne manque que TF1, même si la rumeur annonce régulièrement Bibiane Godfroid comme sauveuse potentielle de la première chaîne française. On l’a également déjà citée comme candidate à des postes-clés à France Télévisions ou à la RTBF, ce qui prouve à quel point cette Wavrienne, née d’un père wallon et d’une mère flamande, est devenue une “magicienne” que les chaînes s’arrachent.

“Avoir du nez, cela ne s’apprend pas !”

“Je n’ai jamais pris mon téléphone pour demander une place, précise-t-elle. A chaque fois, on est venu me chercher. On continue d’ailleurs à m’appeler régulièrement pour me proposer de nouvelles choses.” Il faut dire que ses résultats parlent pour elle : partout où elle est passée, les audiences ont suivi, ce qui est finalement la seule chose qui compte vraiment dans ce secteur. “C’est ce qui m’a permis d’arriver à cette place en étant à la fois une femme et une Belge, tout en n’étant membre d’aucun réseau”, s’amuse-t-elle. Parmi ses réussites les plus éclatantes, citons des émissions telles que Nouvelle Star, Super Nanny, Un dîner presque parfait ou Oui Chef !, qui ont permis à M6 de faire vaciller TF1 sur ses bases et élargir son public cible, passé des 25-34 ans à tous les moins de 50 ans. “Je crois que la raison pour laquelle on cite mon nom un peu partout, c’est parce qu’il y a très peu de vrais directeurs des programmes, dit-elle. C’est un métier qui requiert d’avoir du nez. Et ça, c’est quelque chose qu’on ne peut pas apprendre.” Thierry Tacheny souligne le feeling de Bibiane Godfroid par rapport à la relation émotionnelle entre un téléspectateur et une émission : “Sa force, c’est de comprendre le téléspectateur en tant que personne humaine.” C’est elle qui a lancé la mode des émissions de coaching et de cocooning, par exemple, qui cartonnent aujourd’hui sur toutes les chaînes.

Bibiane Godfroid le reconnaît elle-même : elle repère très vite ce qui va marcher ou pas. Même si elle a aussi connu quelques couacs. Notamment lorsqu’elle a programmé un soap sur France 2 pour faire face au succès de Santa Barbara sur TF1, par exemple. Une expérience si peu concluante qu’elle avait été arrêtée après seulement deux semaines. “L’important, c’est de rester dans la société, explique-t-elle, lorsqu’on lui demande comment on fait pour savoir si une idée d’émission est bonne. Je suis une malade de magazines, j’en feuillette une quantité incroyable ! Et je vais beaucoup au cinéma et au théâtre. De manière générale, j’essaie de me mêler un maximum aux vrais gens, sans me limiter à certains cercles. C’est quelque chose que j’apprends à mes enfants (Ndlr : elle a deux grandes filles).” Bien sûr, elle peut aussi compter sur une solide équipe pour l’aider à repérer les tendances de demain. “C’est vrai, j’ai des collaborateurs qui font un très bon travail de veille, notamment par rapport à ce qui se passe à l’étranger. Je travaille avec eux de manière directe, sans intermédiaire, afin d’éviter tout risque de déformation.”

“Elle aime mettre les mains dans le cambouis”

Ce côté direct et accessible est une de ses marques de fabrique. La hiérarchie, ce n’est pas son truc. D’ailleurs, cela a parfois désorienté certains Français avec lesquels elle a travaillé, peu habitués à ce type de relation franche et décontractée avec leurs employés. Cela lui a parfois valu certaines remarques. “Ça doit être mon côté féminin, sourit-elle. J’ai un style de management où je suis plutôt copine avec les gens, tout en leur permettant de s’opposer à mon point de vue. Je ne suis pas comme ces femmes qui croient qu’elles doivent se comporter comme des hommes pour s’imposer dans une entreprise. Mais par contre, je ne laisse pas pourrir les situations. A un moment donné, je tranche et je prends une décision.” L’animateur Nagui, avec lequel elle a beaucoup travaillé, l’aidant même pendant quelques mois à gérer sa société Air Productions, dit d’elle dans Télérama que “dans les négociations, elle ne s’impose jamais, mais amène en douceur son interlocuteur où elle veut”. Derrière ses airs de directrice aimable et accessible, elle sait donc parfaitement où elle veut aller et est même parfois manipulatrice.

Au-delà de son flair et de son sens des relations humaines, le succès de Bibiane Godfroid s’explique aussi par le fait qu’elle travaille sans relâche, ne s’accordant que peu de loisirs et s’impliquant à fond dans tous les programmes qu’elle produit. Comme le précise une de ses anciennes collaboratrices chez Canal+, Bibiane Godfroid aime avant tout “mettre les mains dans le cambouis”. C’est pour cette raison que la partie de sa carrière qu’elle a sans doute le moins apprécié est son passage à la tête des chaînes du groupe Vivendi Universal, lorsqu’elle passait ses semaines à voyager d’un pays à l’autre mais en consacrant finalement très peu de temps au terrain. “C’est le boulot qui m’a le plus appris, mais qui m’a révélé aussi que ce que j’aime avant tout, c’est faire des programmes, confirme-t-elle. J’y ai vécu la folie des grandeurs et des hommes. C’était très intéressant à observer.”

“Mon père voulait que je fasse des études sérieuses”

C’est pour se remettre de cette époque éprouvante chez Canal que Bibiane Godfroid s’est ressourcée pendant quelques mois à la tête d’Air Productions de novembre 2002 à juillet 2003, histoire de revenir les pieds sur terre et surtout de renouer avec cette ambiance plus familiale qu’elle avait tant apprécié lors de ses débuts chez RTL Belgique. Car il ne faut pas s’y tromper : même si elle est aujourd’hui une des “papesses” de la télévision française, Bibiane Godfroid est un pur produit de la grande époque des débuts belges de “Télé Luxembourg”, à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

“Je voulais devenir correspondante de guerre pour la presse écrite, mais mon père voulait que je fasse des études sérieuses, raconte-t-elle. Du coup, j’ai étudié le droit et la fiscalité, mais malgré tout, j’ai fait aussi le journalisme en cours du soir à l’International Press Center, où j’avais notamment comme professeurs des personnalités comme Yvon Toussaint ou Jean-Charles De Keyser. C’est lui qui m’a proposé de venir faire un stage à RTL Radio, qui cherchait un correspondant à Bruxelles. Deux jours après, je passais à l’antenne !”

Oubliée la fiscalité et la presse écrite : Bibiane Godfroid se sent tout de suite dans son élément chez RTL, dont elle rejoint ensuite l’équipe TV en tant que reporter. “C’était l’époque incroyable où l’on envoyait encore des cassettes à Luxembourg”, se souvient-elle. Les téléspectateurs les plus attentifs (ou les plus nostalgiques) se souviennent que Bibiane Godfroid a même présenté le JT de RTL pendant quelques années, ce qui explique sans doute en partie pourquoi elle a récemment lancé un “vrai” JT chez M6, diffuséà 19 h 45. “Comme Christine Ockrent présentait alors le journal sur Antenne 2, De Keyser voulait lui aussi une femme à la présentation, sourit-elle. Il y avait deux femmes dans la rédaction, c’est tombé sur moi !” Quelques années plus tard, lorsqu’il s’agit de nommer une directrice des programmes pour RTL-TVi, Jean-Charles De Keyser se tourne une nouvelle fois vers elle. “Il m’a dit : comme tu es la seule d’entre nous à aller au cinéma et au théâtre, c’est toi qui seras notre directrice des programmes”, raconte-t-elle, en romançant sans doute un peu l’histoire.

Une ascension fulgurante

Quoi qu’il en soit, ce poste constitue le véritable tournant de sa carrière. Désireuse de donner un caractère plus belge à la chaîne, Bibiane Godfroid se lance en effet dans plusieurs coproductions ambitieuses, notamment les dessins animés Babar et Tintin, ce qui lui permet de se faire remarquer à Paris. En 1990, Canal+ lui propose de mettre sur pied une version hertzienne de la chaîne pour enfants Canal J, alors disponible uniquement par satellite, en reprenant la fréquence de La 5, à l’époque en grande difficulté. Elle travaille d’arrache-pied sur le projet pendant six mois, mais finalement, il tombe à l’eau. Elle est dépitée mais une fois de plus, son talent n’est pas passé inaperçu : à peine quelques jours plus tard, elle reçoit un coup de fil de Hervé Bourges, qu’elle n’a jamais rencontré mais qui vient d’être nomméà la tête de France Télévisions. A sa grande surprise, il lui propose de devenir directrice adjointe chargée de la programmation. Son ascension fulgurante vient de démarrer !

“J’ai eu la grande chance de faire plusieurs rencontres déterminantes dans ma carrière et d’avoir travaillé avec de grands hommes de télévision, dit-elle. Hervé Bourges bien sûr, mais aussi son successeur Jean-Pierre Elkabbach, et Alain de Greef chez Canal+. J’ai également beaucoup appris en côtoyant Carlo Freccero, qui avait été directeur des programmes de La 5 et qui était le conseiller éditorial d’Elkabbach. C’était un homme brillantissime, avec une idée par seconde. Sans oublier Nicolas de Tavernost (Ndlr : le président de M6), qui est sans doute le patron le plus instinctif avec lequel j’ai travaillé. Il comprend tout très vite.”

Des cycles de trois ans

Quand on regarde d’un peu plus près le parcours professionnel de Bibiane Godfroid, on remarque qu’elle a souvent fonctionné par cycles de trois ans. Régulièrement, elle a besoin de nouveaux défis, afin de se remettre en danger. Un constat qui a de quoi inquiéter les responsables de M6, puisque cela fait précisément trois ans qu’elle a rejoint les bureaux de la chaîne à Neuilly-sur-Seine, le fief de Nicolas Sarkozy. “C’est vrai, reconnaît-elle, mais à chaque fois, je ne suis partie que lorsque je me sentais frustrée, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. L’arrivée de la TNT, par exemple, a entraîné un émiettement de la télévision française, ce qui rend mon travail à la fois plus compliqué et plus passionnant. Et puis, il y a un esprit M6 qui me plaît beaucoup. Il y a un vrai esprit d’équipe et une solidarité managériale entre les directeurs. Sans compter que c’est une chaîne qui sert de modèle à beaucoup d’autres, notamment parce qu’elle a un public jeune et qu’elle est parvenue à diversifier ses revenus de manière très intéressante”.

Ce qui n’empêche pas Bibiane Godfroid, 55 ans, de rêver un jour revenir dans le paysage audiovisuel belge. Elle dit même y penser souvent. “J’ai déjà manqué y aller une fois, avoue-t-elle. Comme on dit que nul n’est prophète en son pays, j’aimerais bien prouver le contraire.” Mais elle s’empresse de préciser qu’elle ne veut prendre le poste de personne en Belgique, et qu’elle s’imagine assez mal venir concurrencer ses amis de RTL, même si on l’a déjà citée quelques fois à la RTBF. “Bibiane à la RTBF, ce serait enfin le démarrage d’une vraie concurrence pour RTL”, affirme Thierry Tacheny, qui la verrait très bien endosser un rôle de premier plan au boulevard Reyers. Un retour au pays permettrait aussi à cette Parisienne d’adoption, qui confesse être restée très accrochée à ses racines belges, de profiter enfin un peu plus de la maison de campagne qu’elle a achetée à Orp-Jauche, dans le Brabant wallon. Mais une chose est sûre : elle restera dans la télé. “Depuis cinq ou six ans, je dois bien reconnaître que c’est un peu le vide intersidéral en termes de nouvelles idées, mais malgré tout l’image reste quelque chose de fascinant, dit-elle. J’ai déjà eu l’opportunité de travailler dans le disque, mais ça ne m’intéresse pas. Je suis très bien dans la télévision.”

Mathieu Van Overstraeten

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