L’atout belge de Sodexo

Infatigable bourlingueur, humble et pudique, le Liégeois Pierre Henry s’est hissé en toute discrétion au top management du “leader” mondial de la restauration et des services. Et fait figure, quoi qu’il en dise, de dauphin de Michel Landel, son CEO.

Inconnu. Pierre Henry, 58 ans, directeur général adjoint du groupe Sodexo, reste un inconnu pour le grand public comme pour les réseaux professionnels du Royaume. Il est vrai que tant en Belgique qu’en France, il a toujours pris soin d’oeuvrer dans l’ombre. Pourtant, le Belge a sous sa responsabilité près 125.000 employés ! Soit un tiers des effectifs du groupe Sodexo de par le monde. Son emploi du temps serait-il à l’origine de son absence dans les médias ? Sans doute. Car non content d’être membre du comité exécutif, de coiffer la responsabilité du pôle “Solutions de Motivation” (une des deux composantes de l’offre de services du groupe, 711 millions d’euros de chiffre d’affaires), il est également directeur général des “Solutions de Services sur Site” (comprenez la restauration collective et le facility management) pour l’Amérique du Sud et, depuis quatre mois, pour la zone d’Europe continentale !

Avec autant de responsabilités, on aurait tendance à profiler Pierre Henry, bien qu’il s’en défende, comme le n°2 du groupe. “Dire que je suis le dauphin, c’est présomptueux, se défend le Liégeois avec son humilité habituelle. Nous sommes quatre directeurs généraux adjoints, soit autant de n°2.” C’est plus fort que lui, bien qu’il pèse lourd en termes de responsabilités par rapport aux autres membres de la garde prétorienne de Michel Landel, le CEO de Sodexo, Pierre Henry n’en fait pas moins preuve d’une modestie incorrigible couplée à un effacement à toute épreuve. “Sa discrétion est aussi légendaire que sa disponibilité ou que sa volonté de mettre la réussite de son équipe avant la sienne”, confirme Aurélien Sonnet, directeur pour les activités “Motivations” en France et qui a longtemps été son directeur financier. “Mon humilité est parfois handicapante, confesse Pierre Henry, je devrais davantage promouvoir les succès de l’entreprise à l’extérieur, mais que voulez-vous…”

L’homme est ainsi fait. Il déteste se faire remarquer pour ses coups d’éclat et préfère apparaître comme un gestionnaire réservé et rigoureux : “Je suis fier d’être parvenu à faire grandir de nombreux employés à mes côtés.” Pas étonnant que son CEO le perçoive comme “un homme-clé” en qui il a “une grande confiance”.

Une carrière, une société

La carrière de Pierre Henry s’est construite parallèlement à l’évolution du groupe Sodexo. “En 30 ans chez nous, il a connu tous les métiers de l’entreprise, note Pierre Bellon, fondateur et actuel président du conseil d’administration de Sodexo. Cet homme pondéré et réfléchi exemplifie véritablement les valeurs du groupe.”

Après avoir décroché son diplôme de psychologie, en 1977, Pierre Henry débute sa carrière comme commercial pour une entreprise spécialisée dans la vente de vêtements de travail. Trois ans plus tard, il estime en avoir fait le tour et entre dans une jeune et petite entreprise baptisée Sodexho. Patiemment, il gravit tous les échelons et exerce toutes les fonctions managériales. Il prend d’abord en charge la direction régionale pour la partie francophone de la Belgique, puis, deux ans plus tard, la direction commerciale avant d’être promu directeur général pour l’ensemble du pays en 1987. Avec des succès à la clé : diversification de l’offre de services avec le Pass Cadeau ou le lancement du Pass ALE (Agence locale pour l’emploi) qui fera de Sodexho, la première société en Belgique à proposer des solutions pour optimiser la gestion des aides publiques.

Au bout de 10 ans, Pierre Henry se sent un peu à l’étroit en Belgique. En 1993, on lui confie la responsabilité de la zone Europe centrale où il supervisera l’ouverture des marchés hongrois, autrichien, tchèque, polonais et slovaque. Une mission qu’il remplira avec brio et qui sera récompensée par une série de promotions : coup sur coup, il endossera le costume de directeur de la zone Europe de l’Ouest, Asie et Afrique du Nord en 2000. Il se distingue également dans les îles britanniques où il obtient un retour sur investissement en un an. Pur produit de la méritocratie “sodexienne”, l’ascension du patron belge est linéaire, rapide et fulgurante. “J’ai eu beaucoup de chance, concède-t-il en regardant dans le rétroviseur. Je n’ai jamais rien demandé, on est toujours venu me chercher.”

En 2004, nouveau changement en vue. Le poste pour l’activité “Pass” à travers le monde est vacant. Pierre Bellon pense au Liégeois. “Quel serait ton plan d’action si tu devais un jour endosser les responsabilités de Sodexo Pass ?”, demande le fondateur du groupe à Pierre Henry, par téléphone. Trois jours plus tard, Pierre Bellon reçoit un document de six pages résumant la vision stratégique de Pierre Henry. Quelques précisions et réflexions plus tard, le fondateur du groupe lui confie le poste. “Il a réussi à me persuader qu’il était fait pour cette fonction et tout ce qu’il avait décrit dans son business plan, il l’a exécuté”, apprécie le Marseillais.

Up in the air

Globe-trotter infatigable, Pierre Henry prend l’avion comme d’autres prennent le bus. “Je passe un ou deux jours par mois à mon bureau bruxellois, idem pour celui situé à Paris, le reste du temps, je parcours le monde, détaille-t-il. Un manager dans sa tour d’ivoire n’a aucune valeur ajoutée.” Entre jet lag et choc thermique, il n’a de cesse de rencontrer des dizaines de managers. “Le besoin d’être sur le terrain, d’écouter mes équipes, de confronter les idées des uns et des autres”, justifie-t-il.

Quant à sa méthode, d’aucuns la résument comme faisant le pont entre la conciliation, l’intuition, l’humilité et les principes de bonne gestion. “Sa force est de s’entourer d’éléments de choix”, observe Michel Landel. “Il joue la carte de la délégation et accorde beaucoup de pouvoir à son équipe, ajoute Bruno Van Haelst, responsable du département des services à la personne dans le monde. Toutefois, même si on a le sentiment que l’aire de jeu est vaste, il crée une atmosphère qui fait qu’on le sollicite constamment. De cette manière, il parvient à conserver une vue très précise du développement.” Un constat que partage Adrienne Axler, directrice générale de la branche “Solutions de motivation” pour l’Europe de l’Ouest et du Sud, qui a travaillé sous ses ordres : “J’apprécie sa façon d’aborder les problématiques. Il laisse une grande latitude d’action mais sa manière de poser des questions amène à prendre la décision… qu’il souhaite.”

Redoutable tacticien doté d’un sens de l’observation aigu, il oeuvre tout en douceur. Mais son approche peut aussi décontenancer : “Sa gestion humaniste peut surprendre de la part d’un directeur aussi haut placé, confie Aurélien Sonnet. On s’attend à un profil plus cassant.””Comme ce n’est pas un patron très structurant, cela donne parfois le sentiment d’avancer sans filet”, appuie Bruno Van Haelst. “Il fonctionne beaucoup à l’intuition, même si parfois ce n’est pas toujours rationnel”, analyse Didier Sandoz, directeur stratégie marketing et communication de l’activité”Solutions de motivation”, qui le fréquente depuis 17 ans.

Reste que tous louent ses qualités humaines : “Il aime profondément les gens et il sait manifester sa reconnaissance de façon authentique”, assure Adrienne Axler. “Il dégage une chaleur humaine étonnante couplée à une humilité incroyable”, jure Aurélien Sonnet. “Sa propension à aller vers les autres est étonnante et sa façon de ne jamais être débordé par les événements lui permet d’afficher une bonne humeur permanente”, rajoute Didier Sandoz.

Il n’en reste pas moins que son seuil de tolérance peut être franchi : “Lorsqu’il ne vous parle plus, c’est que c’est très grave”, pointe un cadre. “Il faut parvenir à décoder ses signes, sans quoi, la rupture est totale”, jure un membre de la direction. “D’ordinaire placide, je ne l’ai vu s’énerver que deux ou trois fois ces 10 dernières années, mais quand cela arrive, c’est détonant !”, assure Didier Sandoz. Et pour ceux qui le côtoient, le manque de constance et de respect, sont deux aspects qui l’horripilent. “Il abhorre aussi la méchanceté et ceux qui se la ramènent”, note encore un de ses lieutenants.

Loin de chercher les projecteurs, Pierre Henry privilégie les moments en famille en compagnie de ses petits-enfants. “Mon équilibre entre vie de famille et vie professionnelle n’est pas négociable”, affirme-t-il comme un slogan. Excepté sa famille, on lui connaît peu de passions si ce n’est la marche, les balades à vélo avec son épouse, brocanter les petits vide-greniers du côté de Hannut et participer aux foires internationales en quête d’antiquités pour enrichir sa collection.

Et comme dans le cadre professionnel, ceux qui le côtoient ne connaissent que des miettes de l’intimité de Pierre Henry. La discrétion toujours.

Le successeur désigné ?

Si cette discrétion semble maladive, elle n’enlève rien au mérite de Pierre Henry. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à faire de lui l’un des candidats possibles à la succession de Michel Landel. “Il connaît bien les trois métiers et ses qualités ne sont plus à démontrer”, reconnaît un de ses proches. “Il n’a pas la soif de pouvoir mais il aime les challenges”, remarque Pierre Bellon. “Il possède tous les atouts pour être n°1”, complète Adrienne Axler qui tempère cependant : “Il faut rester logique, il a le même âge que l’actuel CEO. La relève, quand elle aura lieu, viendra sûrement de la nouvelle génération.” Quant à Michel Landel, il évacue le sujet d’un geste de la main : “Ce n’est pas l’objet de la discussion, on ne procède pas comme cela chez Sodexo.”

Quant à l’intéressé, il n’est pas homme à se laisser griser. Il réfute d’ailleurs toute ambition de pouvoir et pour ce poste en particulier. A moins, bien sûr, qu’il ne reçoive un coup de fil de Pierre Bellon. Dans ce cas, Pierre Henry aura à sortir du bois pour coiffer l’unique responsabilité qui lui manque dans sa carrière chez Sodexo…

Valéry Halloy

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