L’argent de Moubarak “gelé” en Suisse

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La Suisse a gelé “avec effet immédiat” tout avoir éventuel d’Hosni Moubarak et de son entourage, afin d'”éviter tout risque de détournement de biens appartenant à l’Etat égyptien”. Il faut dire que le futur ex-président détiendrait jusqu’à 70 milliards de dollars…

“Le Conseil fédéral a décidé de geler avec effet immédiat tout avoir éventuel en Suisse de l’ancien président égyptien et de son entourage”, a révélé vendredi le ministère helvétique des Affaires étrangères dans un communiqué. Cette décision est destinée à “éviter tout risque de détournement de biens appartenant à l’Etat égyptien”, a-t-il ajouté.

Une polémique est née la semaine dernière lorsque le quotidien britannique The Guardian a publié un article selon lequel la famille Moubarak serait à la tête d’une fortune estimée entre 40 milliards et 70 milliards de dollars. Loin des 5 milliards prêtés à la famille Ben Ali en Tunisie… Le futur ex-président égyptien passerait ainsi, d’emblée, en tête des hommes les plus fortunés du monde, loin devant les détenteurs actuels du titre, l’Américain Bill Gates et le Mexicain Carlos Slim (tous deux environ 53 milliards de dollars, selon le magazine Forbes).

La décision de la Suisse intervient également quelque temps après la publication d’une étude assassine sur la corruption en Egypte comme dans d’autres pays d’Afrique. Selon l’organisation Global Financial Integrity, en effet, le crime et la corruption ont globalement coûté, à l’Egypte, 6 milliards de dollars par an entre 2000 et 2008, soit un total de 57,2 milliards de dollars.

“Ce qui arrive en Egypte est le résultat d’un système dont Moubarak n’est qu’un élément parmi d’autres, soulignait Dev Kar, lead economist de GFI et auteur de l’étude. Une gouvernance faible a permis corruption rampante, vol, crime et évasion fiscale conduisant à drainer des milliards de dollars du pays chaque année. La perte annuelle d’argent, qui a sévèrement amoindri la capacité du gouvernement à stimuler le développement économique et diminuer la pauvreté, a rendu le régime dictatorial du président Moubarak insupportable et mené l’Egypte dans les tourments sociaux et politiques actuels.”

[UPDATE] Avoirs de Moubarak : Paris se dit “à la disposition de la justice égyptienne”

Christine Lagarde, ministre française de l’Economie, a assuré lundi que Paris se tenait à la disposition de la justice égyptienne” pour examiner la situation des avoirs que détiendrait en France le président égyptien déchu Hosni Moubarak : “Nous sommes évidemment à la disposition de la justice égyptienne comme nous sommes à la disposition de la justice tunisienne pour effectuer toute démarche à cet effet.”

Interrogée sur une inscription à l’ordre du jour d’une réunion des ministres des Finances européens prévue ce lundi à Bruxelles, Christine Lagarde s’est par ailleurs déclarée “sûre que cette question sera évoquée à l’échelon européen”. La France, qui “soutient activement une initiative de la Banque mondiale” sur le recouvrement des avoirs volés (Stolen Asset Recovery, STaR) “exécutera évidemment ses engagements dans ce cadre”, a-t-elle encore souligné.

Ce que l’on sait de la fortune des Moubarak

Voici un an le journal arabophone Al Khabar estimait que la fortune de Moubarak se répartissait comme suit :

– Hosni Moubarak : 15 milliards de dollars

– Son épouse Suzanne : 1 milliard

– Leur second fils, Gamal : 17 milliards

– Leur fils aîné, Alaa : 8 milliards

Selon le quotidien, une bonne partie de la fortune des Moubarak serait déposée dans des banques ou investie dans de l’immobilier. En plus de sa richesse en Egypte, le président et sa famille posséderaient des propriétés en France, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Allemagne, en Espagne, à Dubaï et d’importants complexes hôteliers sur les côtes de la mer Rouge.

Il faut toutefois être très prudent à l’égard de ces chiffres, qui, s’ils sont validés par certains experts, ne reposent pas sur grand-chose, comme le rappelle le professeur de politique au Moyen-Orient à l’Université de Durham, Christopher Davidson. Il est en effet très difficile d’estimer précisément les avoirs du clan : le secret des données financières, l’opacité de l’actionnariat des entreprises égyptiennes, autant que la peur d’un régime autoritaire ont limité la diffusion de l’information.

Forbes, qui effectue chaque année un classement des plus grandes fortunes mondiales, doute fortement des estimations avancées. Pour le magazine américain, les experts cités par le Guardian et ABC News extrapolent à partir d’informations dont la vérification se heurte à des obstacles importants.

D’où vient cette fortune ?

Pour comprendre d’où vient cette fortune, il faut revenir à une époque où Moubarak n’était pas encore président d’Egypte. Bien avant 1981 en effet, Hosni Moubarak, alors officier général de l’armée, devient un puissant homme d’affaire qui négocie d’importants contrats d’armement, avec les Soviétiques notamment, et les Américains. De ces contrats, Moubarak prélève d’importantes commissions qui, selon ABC News, constituent la base de son enrichissement. Lorsqu’il devient vice-président en 1975, il commence à acquérir des terrains de l’armée qu’il fait ensuite classer d’utilité publique, notamment dans les zones touristiques. Le prix des terrains flambe et il engrange de substantielles plus-values.

Son fils Gamal procède un peu de la même manière. Dans les années 1980, il aurait fortement spéculé sur la dette souveraine de son pays sur le marché financier international. Avec les bénéfices réalisés, il aurait acquis des terrains militaires à des prix défiant toute concurrence, qu’il revendait à des investisseurs. Le produit était directement versé dans des comptes en banques en Europe. Récemment, il a acquis des parcelles dans le désert du Sinaï, près d’Ismaïlia. Elles ont été immédiatement classées par l’Etat avant d’être revendues à des investisseurs.

Grâce à ces méthodes peu régulières, tous les membres de la famille se sont constitués une véritable petite fortune personnelle.

Comment Moubarak domine l’économie égyptienne

“Il y avait beaucoup de corruption dans ce régime et un étouffement des ressources publiques à des fins personnelles”, affirmait récemment Amaney Jamal, professeur à Princeton, au Guardian. Depuis qu’il est au pouvoir, Moubarak a en effet mis en place une véritable politique de centralisation de l’économie. Dans les années 1990 notamment, le régime décide de privatiser un grand nombre d’entreprises dont “les capitaux seront en partie redistribués à des proches du régime pour des prix cassés”, explique à L’Expansion.com un économiste égyptien, qui a préféré garder l’anonymat.

Pour bien comprendre comment Moubarak s’est emparé d’une partie de la richesse du pays, il faut avoir à l’esprit le fonctionnement économique de nombreux pays du Maghreb. Dans ces pays, il est assez fréquent que les pouvoirs politiques exigent des entreprises étrangères s’implantant sur leur sol de donner à un partenaire local une part de leur capital. Ce système de joint-venture permet aux pouvoirs politiques de conserver la mainmise sur l’économie. En Egypte, la part détenue par les Egyptiens dans les coentreprises serait ainsi de l’ordre de 20 %, selon les experts.

A l’occasion de ces deals, la famille Moubarak aurait capté une partie du capital des entreprises. Durant ses 30 ans de règne, le président égyptien aurait donc eu accès à tous ces investissements hautement profitables. Un des exemples de l’imbrication des intérêts privés et publics des Moubarak est Orascom. Ce géant des télécoms, qui dispose d’une joint-venture avec France Télécom, a toujours été proche du clan Moubarak. Le fils ainé du président, Alaa Moubarak, est l’un des actionnaires importants du groupe. En retour, Naguib Sawiris, président d’Orascom, sait qu’il dispose d’appuis politiques décisifs pour ses affaires. Ce qui ne l’a pas empêché de prendre récemment ses distances avec le régime.

Trends.be, avec L’Expansion.com

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