Fuite en avant

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Conquérir le monde le plus rapidement possible : telle est la voie tracée par Reed Hastings pour son service de streaming vidéo Netflix. La seule aussi pour damer le pion aux géants des télécoms, aux cadors de la presse internationale et à Amazon.

Une amende de 40 dollars au motif qu’il avait rendu en retard quelques DVD pris en location : il n’en fallut pas plus à Reed Hastings pour avoir l’idée de fonder Netflix à partir de 1997. Aujourd’hui, le verbe netflixer est entré dans le jargon de tous les pays où le service est disponible. Concrètement, les utilisateurs de Netflix peuvent regarder la télévision par Internet quand ils le souhaitent, à la demande et sans publicité.

Une chose est sûre, ce n’est pas l’esprit de lucre qui anime Reed Hastings lorsqu’il se lance dans Netflix : à l’époque, il vient de céder son entreprise Pure Software pour la bagatelle de 700 millions de dollars. Il commence en démarrant une affaire de location de DVD par la poste. C’est en 2000 que son service connaît un véritable essor, avec le lancement d’une formule à abonnement reposant sur un tarif all inclusive sans pénalité de retard, qui cause beaucoup de tort au leader du marché, Blockbuster. Plus tard, en 2007, Reed Hastings révolutionne le secteur des médias américains en se lançant dans le streaming de films et d’émissions vidéo par un système d’abonnement mensuel. Grâce à cette technique, le spectateur ne doit pas attendre qu’un film ou une émission télévisée soit téléchargée sur Internet : il peut immédiatement commencer à le visionner. Le pari est risqué et Reed Hastings mise gros car, à l’époque, les smartphones, tablettes et autres télévisions avec connexion à Internet sont encore très peu répandus.

Aujourd’hui, Netflix enregistre un succès retentissant à l’échelle mondiale puisque plus de 36 millions d’abonnés s’adonnent déjà au netflixing. Pour environ 9 dollars par mois, ceux-ci ont accès à une gigantesque bibliothèque de films et émissions de télévision qu’ils peuvent visionner sur leur écran de télé, leur ordinateur, leur smartphone ou leur tablette. Sur le seul premier trimestre de l’année 2013, les Américains ont déjà regardé l’équivalent de plus d’un milliard d’heures de films et d’émissions par Netflix. A 22 heures, l’heure de plus grande affluence, les 29 millions d’abonnés américains représentent un tiers de l’ensemble du trafic internet des Etats-Unis. Soit autant que tous les sites de vidéo réunis !

La débâcle Qwikster Si Netflix est aujourd’hui incontournable, Reed Hastings a failli lui-même tordre le cou à son entreprise il y a un an et demi en annonçant une scission sur son site web : désormais, la location de DVD serait gérée via l’enseigne Qwikster. Si la nouvelle appellation fit l’unanimité, certains abonnés virent d’un mauvais oeil ce changement qui supposait le paiement d’une double cotisation : une pour la location pure et simple de DVD, l’autre pour le service de streaming. La vague de protestation fut énorme. De nombreux abonnés de Netflix vivent en effet dans les régions où la bande passante est insuffisante pour lire des vidéos de bonne qualité en streaming et où la location de DVD est donc plus courante. Après quelques semaines, Hastings fut donc contraint de revoir sa copie…

Trop tard, manifestement. En l’espace d’un trimestre, Netflix avait déjà perdu 800.000 abonnés et sa marge bénéficiaire exiguë se traduisit par une perte. L’action fut également sanctionnée en Bourse : de 300 dollars, elle s’effondra à 52. Le marché réclama la tête de Reed Hastings, mais celui-ci tint bon. Mieux même : il parvint à sortir l’entreprise de l’ornière. Pour preuve, le titre s’échange aujourd’hui à nouveau au-delà de la barre des 200 dollars. Aux Etats-Unis, les abonnés perdus ont été récupérés et la clientèle internationale a considérablement augmenté. Résultat des courses : le chiffre d’affaires annuel de Netflix est en passe de dépasser les 4 milliards de dollars, dont trois quarts générés par le streaming.

En l’espace de quelques années, Reed Hastings a ainsi transformé une société classique de vente par correspondance en un géant du secteur numérique. Un géant aux pieds d’argile ? Netflix doit en effet débourser de plus en plus d’argent pour être autorisé à streamer des films et des émissions de télévision. Face au groupe, d’importants conglomérats de presse tentent — soit dit en passant — d’organiser eux-mêmes un service de streaming ou participent aux projets des opérateurs télécoms, et font pression depuis de nombreuses années pour prendre pied dans le trafic de réseau.

Le cas échéant, les opérateurs pourraient par exemple demander une contribution à Netflix et à d’autres services de streaming pour l’occupation de leur bande passante. Qui plus est, Netflix dépend totalement de la boutique en ligne Amazon, leader de marché dans la location de capacité IT. Or, Amazon planche sur la création de son propre service de streaming…

Pour Reed Hastings, la fuite en avant est la seule voie envisageable : il lui faudra conquérir le coeur des consommateurs dans un maximum de pays de manière à ne pas trop souffrir de la nouvelle concurrence. Notons que l’entrepreneur commande depuis peu des séries télévisées inédites, qu’il n’est possible de visionner que sur Netflix…

STIJN FOCKEDEY

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