En visite aux îles Féroé, entre villages perdus et beauté sauvage

Gasadalur et ses falaises, sur l'Ile de Vagar. © SYLVIE BRESSON

On ne s’y bouscule pas et les hôtels restent rares. Cet archipel, province autonome du royaume de Danemark, gagne toutefois en popularité auprès des amateurs d’air pur, de randonnées en basse montagne et d’observation des oiseaux de mer.

Notre voyage devait démarrer en fanfare avec un séjour sur Mykines, île réputée pour ses colonies de macareux. Ces adorables petits oiseaux marins au bec multicolore habitent les pensées de tous les amateurs de nature qui débarquent aux Féroé, archipel logé dans l’Atlantique Nord, entre Norvège et Islande. Là-bas, on les approche à deux mètres, affirme-t-on ! Dommage que la météo soit maussade. En réalité, c’est bien pire : ” Pas de traversée possible aujourd’hui ” signale le patron de la vedette qui effectue le trajet, au départ de l’île toute proche de Vagar. ” Demain encore moins, et après-demain probablement pas non plus, car les vagues sont trop mauvaises. ” Grosse déception pour tous les visiteurs, alors qu’il commence à pleuvoir. Nous ne savons pas encore que nous bénéficierons d’une belle compensation météo : une semaine à venir exceptionnellement ensoleillée.

Les îles Féroé ne sont couvertes que de prairies, broutées par des dizaines de milliers de moutons.

Dans l’immédiat, que faire ? Passer une seconde nuit sur Vagar, à l’hôtel du même nom, ou filer vers une région qui n’était pas au programme ? Mais encore faut-il savoir où loger ! La réception de notre hôtel propose de nous réserver une chambre à Runavik, sur l’île d’Eysturoy. En cas de souci, souvenez-vous en : les Féroïens ne vous laissent pas tomber. On en fera plusieurs fois l’expérience. Toujours agréable quand on voyage !

Saksun sous la pluie…

Quitter l’île de Vagar signifie, depuis 2002, emprunter le tunnel de cinq kilomètres qui mène sur Streymoy, l’île voisine et principale. L’ouvrage vous mène progressivement à grande profondeur, pour passer sous le fjord. Une pancarte prévient : il est payant. Prière d’acheter le ticket. En réalité, il faut remplir un formulaire – dans la station-service voisine. Prix : 100 couronnes, soit 13,5 euros, pour l’aller-retour.

La pluie tombe maintenant dru et elle chasse sous l’action du vent. Tant pis, puisqu’on passe à proximité, on ne va pas faire l’impasse sur Saksun, un des sites les plus réputés de l’archipel. La route qui y mène est en partie à voie unique et munie d’aires de croisement, comme en Ecosse. Saksun est une bourgade ancienne, restée dans son jus, où une plaine en pente douce mène jusqu’à une plage. Comme partout aux Féroé, des torrents dévalent un peu partout des montagnes. L’endroit vaut le détour, c’est clair.

Arrivée à l’hôtel de Runavik. Lui non plus ne porte pas d’autre nom, ni n’arbore d’enseigne. Juste une petite inscription sur une vitre du rez-de-chaussée. Quelle modestie, ces Féroïens ! L’établissement fait face au port de pêche, où se côtoient embarcations légères et gros chalutiers de haute mer. Les ports sont innombrables sur l’archipel, pour la pêche comme pour le transport de conteneurs. C’est qu’ici, presque tout vient de l’extérieur. Cela se vérifie à Klaksvik, la grande ville du Nord, sur l’île de Bordoy, que l’on atteint après avoir franchi l’autre tunnel sous-marin payant, long de 6,2 km. Du charme ? Du cachet en tout cas, avec ses quartiers prenant en tenaille le bout d’un fjord. L’endroit vaut surtout comme base de départ pour la visite des îles du Nord.

La statue de Kopakonan, curiosité de l'île de Kalsoy.
La statue de Kopakonan, curiosité de l’île de Kalsoy.© SYLVIE BRESSON

… et les îles du Nord sous le soleil

Commençons par celle de Vidoy, accessible par une petite digue, avec en point de mire le village de Vidareidi. Abrité de l’Atlantique Nord par une montagne culminant à 841 mètres, le bourg attire un nombre croissant de randonneurs ne craignant pas les gros dénivelés. Au point qu’il offre même un petit hôtel, le seul répertorié dans la région. Tourisme quasiment inexistant par contre sur l’autre île voisine de Bordoy : Kunoy. La route s’arrête au village éponyme, qui propose pourtant un petit parking, un panneau explicatif avec chemin de randonnée, et même des commodités fort bien tenues… C’est une constante aux Féroé, où les patelins les plus reculés semblent vouloir tous vouloir vous accueillir dans les meilleures conditions.

Même constat sur l’île voisine de Kalsoy, que l’on aborde par ferry cette fois. Une seule route, sur la côte Est, qui se transforme en une succession de tunnels pour déboucher sur le village de Mikladalur. Attraction : Kopakonan, statue de bronze évoquant une sirène, que l’on admire après avoir dévalé 153 marches. Un quatrième tunnel mène à Trollanes. Encore une bourgade du bout de la route et du bout de l’île. Une pancarte invite à faire l’ascension de la montagne voisine, pour admirer le phare, une autre indique la direction du kiosk, petite boutique ouverte par une habitante entreprenante. Outre boissons et friandises, elle y vend des ouvrages tricotés avec la laine des moutons féroïens. Va donc pour ce bonnet aux jolis motifs en relief.

Eglise de Sandavagur, sur l'île de Vagar.
Eglise de Sandavagur, sur l’île de Vagar.© SYLVIE BRESSON

Danois ou féroïen?

Plus loin, au bout d’une longue route ne menant nulle part ailleurs, au détour d’un virage et au fond d’une baie, apparaît ensuite brutalement le village de Tjornuvik. Panorama époustouflant, sur fond de large plage de sable blanc et gris assez inattendue. Ici aussi, un embryon de commerce est apparu. Un habitant propose un goûter, tandis qu’en face trône une boutique d’artisanat plutôt bric-à-brac. Et re-bonnet de laine ! Pourvu que l’hiver prochain soit rude en Belgique…

Au fait, cette brave villageoise, seule personne rencontrée qui ne connaissait pas l’anglais, nous a-t-elle parlé en danois ou en féroïen ? Car si l’archipel a ses propres timbres-poste, son drapeau et même ses billets de banque (acceptés seulement sur place), il possède aussi sa langue, plus proche de l’islandais que du danois. Ici, ” entrée ” se prononce inngongd et non adgang, tandis que Copenhague s’écrit Keypmannahavn au lieu de København. Fameuses différences ! Langue officielle des îles depuis 1948, le féroïen se reconnaît assez aisément à l’écrit, grâce en particulier à l’existence d’une lettre spécifique qui, en minuscule, ressemble au delta grec. ” Elle se prononce aussi un peu différemment suivant les régions “, explique une habitante. On n’approfondira pas la question…

Au pied de la falaise, plus d’une centaine de macareux barbotent dans l’eau, guettant leur repas.

Retour sur l’île d’Eysturoy, pour filer vers le Nord. Après avoir longé le fjord, la route traverse la montagne. Bordée de sommets dépassant les 800 mètres, elle est tout simplement grandiose. Au fond de la vallée, voilà Gjogv, petit village en bord de mer, au noyau central très préservé. Certes, deux halls industriels y ont également été construits. Mais il faut bien que les habitants vivent de quelque chose, surtout en l’absence de port. Outre les sentiers de randonnée, l’attrait du coin, c’est une profonde faille dans la falaise, qui offre une vue directe et assez proche sur les oiseaux qui y nichent. Goélands, fulmars et… quelques macareux. Quel bonheur ! La frange herbeuse de la falaise leur permet de creuser leur terrier. Sur le chemin du retour, nous croisons huit touristes français déjà rencontrés à Klaksvik. Notre découverte est accueillie avec grand intérêt, car leur traversée vers Mykines a elle été annulée pour la deuxième fois…

Il faut le savoir : les îles Féroé ne sont couvertes que de prairies, broutées par des dizaines de milliers de moutons. Pourquoi donc voit-on des villageois s’affairer à les décalotter, créant des alignements de larges mottes retournées ? L’explication arrive : ils profitent de ces premières belles journées de printemps pour planter des pommes de terre en les glissant sous la motte herbeuse. ” La patate, c’est quasiment tout ce qui pousse ici “, justifie un habitant. Sans oublier toutefois la rhubarbe, cultivée dans de petites parcelles entourées de barricades, pour éviter la convoitise des ovins. Guère de jardins potagers et pas d’arbres fruitiers. De toute manière, en dehors de ceux plantés dans les parcs, il n’y a pour ainsi dire pas d’arbres sur l’archipel.

Quatrième jour aux Féroé, une excursion incontournable nous attend. Le gros bourg de Vestmanna s’est fait une jolie réputation dans les excursions vers les falaises à oiseaux voisines. Dans l’archipel, il n’est pas rare que les montagnes finissent dans l’océan par des à-pics de 200 ou 300 mètres de hauteur. Mais ici, on dépasse par endroits les 500 mètres ! La vedette les approche de près, contournant même un pic rocheux avec beaucoup d’adresse, en dépit de la houle. C’est qu’on est ici plein Ouest, face à l’océan. Sujets très sensibles au mal de mer, s’abstenir…

Envol de macareux.
Envol de macareux.© ISTOCK

De Vestmanna à Torshavn

Cap au Sud, voilà Torshavn. La capitale de l’archipel regroupe un quart environ de ses quelque 50.000 habitants. Tout le contraire des villages perdus vus récemment : des banlieues étendues, un important centre commercial, sans oublier des restaurants réputés ( lire notre encadré, ” Une étoile Michelin “). Balade indispensable à Tinganes, la vieille ville qui s’avance dans le port telle une mini-péninsule. Avec pour figure de proue l’ancien Parlement, un bâtiment peint de ce rouge si typique de la Scandinavie. Il est entouré de ruelles pavées et bordées de petites maisons anciennes, parées de bois goudronné et aux toits herbeux. Un musée à ciel ouvert ? Pas seulement. En grimpant vers la cathédrale (une église de bois un peu plus grande que les autres), on s’aperçoit que pas mal sont habitées, comme en témoigne le linge mis à sécher dès que le soleil apparaît. Tiens, revoilà notre groupe de Français. Et alors, Mykines ? ” Annulé pour la troisième fois “. Ce printemps 2018 est assez catastrophique, soupire une responsable du tourisme.

Pour honorer son statut de capitale, Torshavn s’est récemment dotée de plusieurs musées. On retient le Musée national, dont l’immeuble tout neuf est un peu perdu parmi les concessions automobiles… Joliment présenté et très instructif. En contrebas, quelques bâtiments anciens donnent une idée de la vie au temps jadis. Planté dans le paisible parc central de la ville, le Musée d’art national est, pour sa part, aussi chatoyant que contemporain. Dès l’entrée, un ” déjeuner sur l’herbe ” très revisité donne le ton ! On jette également un coup d’oeil à la Maison nordique pour embrasser du regard la belle synthèse des matériaux scandinaves réunie dans ce bâtiment chaleureux.

Torshavn, capitale de l'archipel.
Torshavn, capitale de l’archipel.© SYLVIE BRESSON

L’adieu aux macareux

Torshavn, ce sont aussi quelques boutiques spécialisées dans les vêtements de laine. ” Mais guère des Féroé, car elle est trop rêche “, explique la patronne d’Einstakt, challenger de l’enseigne Gudrun & Gudrun, très inventive et célèbre jusqu’aux Etats-Unis. Citons encore Navia, une maison plus classique. On ne quitte pas la capitale sans une excursion à Kirkjubour, où quelques ruines témoignent du peuplement des lieux dès le Moyen Age.

Le restaurant Koks, pour vrais passionnés.
Le restaurant Koks, pour vrais passionnés.© PG

Avant de prendre le vol de retour, un dernier bol d’air pur et de nature sauvage s’impose. Retour sur l’île de Vagar, pour une randonnée parmi les plus populaires, le long du lac Sörvagsvatn, qui se jette dans la mer. La chute n’est pas visible, mais il ne faut pas aller loin de là pour en admirer une autre, la plus célèbre de l’archipel, à Gasadalur. Encore un village perdu en bout de route, accessible par un tunnel. En retrait du torrent, vue plongeante sur le bord de la falaise… où quelques macareux sortent de leur terrier. Au pied de la falaise suivante, ils sont plus d’une centaine à barboter dans l’eau, guettant les petits poissons qui feront leur repas. A la veille de quitter ces îles aussi sauvages qu’accueillantes, nous n’en espérions pas tant !

Un étoilé Michelin

On ne débarque a priori pas aux Féroé dans un but gastronomique… Mais on ne saurait pour autant se priver des deux restaurants réputés de Torshavn. Spécialité incontournable d’Aarstova : l’épaule de mouton, préparée pour deux. En réalité, pour quatre… Autre table renommée, située jusque à côté : Barbara Fish House, pour un menu tout poisson, bien entendu. Les Féroé peuvent même s’enorgueillir d’un restaurant étoilé Michelin : Koks. Cuisine raffinée et très élaborée, dans la veine du renouveau scandinave. L’an dernier, l’établissement a toutefois déménagé au milieu de nulle part : une demi-heure de voiture depuis Torshavn, deux minutes de marche, puis un taxi sur demande. Pour les vrais passionnés !

40 km de tunnel

Les cartes routières des îles Féroé peuvent paraître trop sommaires. En réalité, sur cet archipel très montagneux, de larges zones sont inhabitées, donc dépourvues de routes. L’intérieur des terres n’est souvent parcouru que par des sentiers de randonnée, un loisir en plein essor. Le réseau routier est presque partout en excellent état et le percement de plus de 40 km de tunnels a rendu les déplacements assez rapides sur l’ensemble du territoire. Il subsiste toutefois plusieurs ferries, pour le plaisir…

En pratique

Ce voyage a été organisé par Grand Nord Grand Large, opérateur français spécialisé dans les destinations polaires : croisière en Antarctique, kayak au Spitzberg, randonnée au Groenland, trek en Islande… Plusieurs formules visent les îles Féroé, dont la ” découverte du Nord ” : huit jours à partir de 1.630 euros, y compris voiture et vols depuis Copenhague. Réalisable de mai à septembre.

www.gngl.com. Informations auprès de Terres d’Aventure, 23 chaussée de Charleroi, à 1060 Bruxelles. Tél : 02 543 95 60. ww.terdav.com

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