Depardieu en Belgique: “Là-bas, je ne suis pas un salaud qui a gagné de l’argent!”

L’exil fiscal de Gérard Depardieu, installé en Belgique, a suscité un tollé en France. Mais l’acteur est loin d’être un cas isolé. Le durcissement de la fiscalité française a suscité un net regain d’intérêt des riches Nordistes pour un exil de l’autre côté de la frontière.

Estaimpuis devrait bientôt compter un illustre exilé fiscal de plus. Gérard Depardieu, l’un des acteurs les mieux payés du cinéma français est désormais domicilié en Belgique, dans ce village proche de la frontière française, connu pour abriter de riches expatriés.

A Estaimpuis, Gérard Depardieu ne sera pas trop dépaysé. Car cette commune est un petit bout de France en terre belge, qui jouxte la frontière sur 23 kilomètres et s’impose comme une suite logique de la conurbation Lille-Roubaix-Tourcoing. Sur ses 10 000 habitants, la bourgade compte… 2700 Français, dont quelques grands noms du patronat nordiste (les Mulliez, Motte, Verspieren, Pollet, etc.). Amaury Flotat, PDG du groupe AFG, raconte: “Il y a quelques semaines, nous étions une quarantaine de convives à table. Mais ma femme et moi étions le seul couple à vivre en France!”. En quinze ans, la population française d’Estaimpuis s’est accrue de 13 %. Une hausse bien réelle, mais pas une explosion. Jusqu’à présent.

Depuis l’élection de François Hollande, le 6 mai dernier, le discours a changé. Dans les milieux aisés de la métropole lilloise, chacun évoque ces dizaines d’amis prêts à franchir la frontière.

Luc Doublet, PDG de la célèbre entreprise de drapeaux et bannières, et résident de Tournai depuis quelques années, confirme: “Beaucoup de mes relations m’interrogent en ce moment sur l’intérêt financier de vivre en Belgique. Moi, j’ai vraiment fait ce choix pour disposer, avec mon épouse, d’une fin de vie confortable. Mais personne ne me croit!”.

Echapper aux mesures fiscales françaises
L’avocat fiscaliste lillois Bertrand Decaudin est particulièrement bien placé pour mesurer la réalité de cette tendance. Et il nuance: “Nous recevons plus de demandes de consultations, mais nous ne constatons pas encore de départs effectifs. Prendre la décision de déménager n’est pas qu’une question d’argent. Cela implique un profond changement de vie au jour le jour”. “Tant que les enfants sont scolarisés, nous ne partirons pas”, tranche ainsi un chef d’entreprise lillois.

Cependant, ces résistances vont peut-être finir par tomber. Car les raisons qui poussent à l’exil n’ont eu de cesse de croître avec le temps. Il ne s’agit plus uniquement d’éviter la taxation sur les plus-values lors de la revente de son entreprise, mais d’échapper aux mesures fiscales françaises dans leur ensemble. De ce fait, le profil des candidats au déménagement ne cesse de s’élargir. “Avant, il s’agissait du jeune retraité ou du rentier historique, explique Maxime Vermesse, directeur de la gestion privée chez Meeschaert. Aujourd’hui, on a des entrepreneurs en pleine force de l’âge, voire des cadres supérieurs”.

Et l’effervescence est bien réelle, car les agences immobilières belges ne chôment pas. “En ce moment, j’ai 50 familles françaises à installer en Belgique, confirme Sébastien Godin, gérant de la partie française de l’Immobilière du Hainaut, à Mouscron. Et chaque semaine, trois à quatre nouvelles familles nous sollicitent pour des biens haut de gamme allant de 750 000 à 1,5 million d’euros”. Même son de cloche chez le concurrent Abrimmo, également installé à Mouscron: “Avec les décisions de votre gouvernement, les Français sont de plus en plus nombreux à vouloir passer la frontière”, indique Ludovic Peeters. L’immense majorité des lieux de villégiature recherchés se situent en Wallonie francophone, où 25 000 Français sont installés. En Flandre, la barrière de la langue est rédhibitoire. Les plus aisés se retrouvent à Froyennes, Templeuve, Néchin ou sur les pentes du Mont-Saint-Auber.

“Là-bas, je ne suis pas un salaud qui a gagné de l’argent!”A chaque fois, les exigences sont semblables: une résidence de 350 à 500 mètres carrés dotée de quatre à six chambres. Et, surtout, la France doit rester facilement accessible. Car la plupart des expatriés continuent de travailler en métropole. Ce quadra, dirigeant d’une PME de 150 salariés de la banlieue lilloise, observe mi-amusé mi-lucide, la situation actuelle. Lui a franchi le pas en 2007, lorsqu’il a décidé de quitter son appartement du Vieux-Lille pour une maison avec jardin de la campagne tournaisienne. “A l’époque, la Belgique n’était pas mon premier choix. Mais les terrains étaient moins chers et l’incertitude fiscale française – déjà ! – m’a incité à passer à l’acte. Je ne le regrette pas. Je suis à un quart d’heure du bureau et, en Belgique, on ne me regarde pas comme un salaud qui a gagné de l’argent!”

Faut-il s’inquiéter de ce flux de population aisée vers la Belgique?

“Encore une fois, les Français aisés ne sont pas les seuls à s’installer en Belgique, insiste Michel Bodson, consul honoraire de Tournai. L’immense majorité des installations est le fait de travailleurs modestes, d’étudiants ou de personnes âgées.” Les riches n’ont donc pas le monopole du flux. On a même vu des SDF prendre le train à Lille pour faire la manche sur la place de Tournai. L’histoire ne dit pas si ce sont les expatriés fiscaux qui leur donnaient l’aumône…

Pourquoi ils partent
“L’imposition sur les plus-values des entrepreneurs, lors de la cession de leur entreprise, a amorcé le mouvement d’exil vers la Belgique”, indique l’avocat fiscaliste lillois Bertrand Decaudin. Chez le voisin belge, aucune taxe de ce type. On ne paie pas non plus de CSG ni de CRDS. L’avantage est donc colossal, même si la donne a un peu changé depuis l’instauration de “l’exit tax” par le gouvernement Fillon, en mars 2011. Depuis cette date, il faut rester au moins huit ans en Belgique pour échapper à l’impôt sur la plus-value. Cela favorise les réflexions au long cours.

Aujourd’hui, c’est toute la politique fiscale française qui incite au départ. Ainsi, l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) n’existe pas de l’autre côté de la frontière; la taxation des dividendes y est moindre – alors qu’elle va passer de 35 à 45 % en France en 2013; les placements financiers (porte-feuilles de titres, assurances-vie) sont exonérés d’ISF ; et les donations sont bien plus intéressantes fiscalement. Existe-t-il un niveau minimal de richesses à partir duquel il est intéressant de partir? “Non, c’est vraiment du cousu main, poursuit Bertrand Decaudin. Quand vous bénéficiez d’une cession à 2 ou 3 millions d’euros, la décision dépendra du patrimoine personnel dont vous disposez à côté et qu’il faudrait vendre. Mais si votre société est valorisée à 20 millions d’euros, la question d’un départ devient forcément plus intéressante.”

Nicolas Montard (L’Express)

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