‘Aucun économiste ne soutient Trump’

ALAN KRUEGER ET BARACK OBAMA "Si Trump est élu, les inégalités de revenus augmenteront, et cela mènera à une diminution de la croissance économique." © REUTERS

Contrairement à ce que prétend le candidat à la présidence Donald Trump, le marché de l’emploi américain progresse, affirme le spécialiste du marché du travail Alan Krueger. Il y a néanmoins lieu de s’inquiéter. “L’inégalité des revenus augmente déjà depuis trente ans. Nous risquons de nous réveiller dans un pays que nous ne reconnaissons pas.”

Alan Krueger (56) est l’un des plus importants spécialistes du marché du travail aux Etats-Unis. Il a servi au premier cabinet du président Bill Clinton et il a fait partie, pendant quatre ans, du cercle rapproché de Barack Obama, en tant que conseiller économique en chef. Krueger est impressionné par la candidate à la présidence démocrate Hillary Clinton, car elle plonge volontiers dans les détails techniques de la politique. Trump, selon lui, ne vaut rien. “Il est malhonnête et il fait systématiquement des déclarations erronées. Son manque de connaissances et son tempérament le rendent inapte comme président. Aucun économiste ne soutient ouvertement ses points de vue. L’idée que Donald Trump siège à la Maison Blanche, doit terrifier le monde. Il désire déchirer et renégocier des accords commerciaux qui ont été conclus de bonne foi. Il semble vouloir faire exploser le système.”

Jusqu’à l’été 2013, Krueger a présenté chaque mois les chiffres de l’emploi, qui s’amélioraient à la vitesse d’un escargot. Il présidait alors le Council of Economic Advisers. Depuis lors, le taux de chômage officiel se situe à un niveau beaucoup plus bas, de 5%. Mais cela provient aussi du fait que beaucoup d’Américains ont été découragés de rechercher un travail. Ils ont disparu des statistiques. Juste après la Deuxième Guerre mondiale, presque tous les hommes travaillaient, aux Etats-Unis. Le taux d’activité était alors de 96,7%. Maintenant, ce taux est beaucoup plus bas: 62,9%. Pour cette raison, Trump qualifie le taux de chômage officiel de ‘l’une des plus grandes mystifications de la politique américaine moderne’. Krueger affirme que Trump présente l’économie américaine trop négativement.

Vous dites que la modification de la démographie américaine est la cause principale du chômage caché.

Krueger: “Au moins la moitié de ce phénomène est lié à l’âge. Il concerne les départs ordinaires à la retraite des baby boomers. Il y a néanmoins lieu de s’inquiéter. 11,5% des hommes entre 25 et 54 ans ne travaillent pas. Des pays de l’OCDE, à une exception près, les Etats-Unis ont le plus faible taux d’activité.”

Vous avez fait une recherche des causes surprenante.

KRUEGER. “Beaucoup de personnes sur la touche avalent des antidouleurs. Presque la moitié d’entre elles souffrent chaque jour. Les problèmes de santé jouent un rôle important auprès des groupes démotivés. Obama a tenté d’entreprendre beaucoup de choses pour faire revenir des personnes, et peut-être encore bien plus important: pour retenir des personnes. Mais le Congrès l’a contrarié.”

Donald Trump dit que l’économie américaine perd des emplois à une vitesse incroyable, qui partent vers l’étranger . N’y a-t-il là rien de vrai ?

Krueger: “C’est de la rhétorique politique. Trump fait tellement de déclarations excessives que les vérificateurs font des heures supplémentaires. La réalité économique est autre. Le chômage a fortement diminué. La croissance de l’emploi est plus forte que sous les présidences de George H. Bush et de George W. Bush. Le marché de l’emploi se tend même. De ce fait, nous observons également une augmentation des salaires, à un rythme qui s’avère le plus rapide en quatorze ans.”

Mais tout de même. Vous avez fait une étude sur les possibilités de grimper dans l’échelle socio-économique aux Etats-Unis. Votre conclusion était sombre. Le comédien Bill Maher a incité les téléspectateurs à déménager en Norvège, pour l’American Dream.

Krueger: “Oui. Je me fais toujours de sérieux soucis à ce sujet. Beaucoup d’Américains vont à l’université et suivent des formations professionnelles. Mais beaucoup ne les terminent hélas pas à cause des coûts. L’inégalité des revenus dans ce pays augmente depuis trente ans déjà. Cela a de grandes conséquences pour notre mobilité économique. Nous risquons de nous réveiller dans un pays que nous ne reconnaissons pas.”

Récemment, de bons chiffres ont également été publiés concernant 2015. Après des décennies de stagnation, la classe des plus pauvres et la classe moyenne inférieure se sont à nouveau enrichies .

Krueger: “La pauvreté a fortement reculé. Nous n’avions plus vu cela depuis les années nonante. Je crois que l’année 2016 pourrait s’avérer tout aussi bonne. Mais les pressions qui font grandir l’écart entre les riches et les pauvres n’ont pas disparu. C’est une problématique importante pour le futur. Elle détermine, tant à gauche qu’à droite sur le plan politique, qui nous sommes en tant que pays.”

A quoi devons-nous nous attendre si Trump devient président ?

Krueger: “Préparez-vous à une turbulence économique. Si Trump désire renégocier avec les investisseurs étrangers concernant les dettes publiques, on franchit la limite d’une gestion politique responsable. S’il est élu, les déficits publics augmenteront. Les inégalités de revenus augmenteront aussi, et cela mènera à une diminution de la croissance économique.”

Vous avez obtenu votre doctorat à Harvard. Vous êtes lié à Princeton et vous travaillez maintenant à la Columbia University. Comment se déroulent vos débats académiques concernant Trump, avec les économistes républicains ?

Krueger: “Les économistes sont mus par les faits. Le Wall Street Journal a enquêté auprès de tous les économistes du Council of Economic Advisers, jusqu’au président Richard Nixon. Des 45 qui sont encore en vie, il n’y a personne qui ait dit adhérer aux idées de Trump. Cela en dit long. Dans un sondage auprès des membres de la National Association of Business Economists, la moitié soutenait Clinton et Trump n’arrivait qu’en quatrième place. Après le libertaire Gary Johnson et les personnes qui ne désiraient pas faire de choix.”

Trump promet de garder le système de sécurité social intact. Cela va à l’encontre des tentatives antérieures des Républicains pour réduire le système et augmenter l’âge pour avoir droit à la pension. Pensez-vous que cette promesse a attiré beaucoup d’électeurs dans son camp ?

Krueger: “Trump doit sa popularité en premier lieu à sa rhétorique contre l’immigration. Lors de l’annonce de sa campagne, il a traité de criminels et de violeurs les Mexicains qui viennent aux Etats-Unis. C’est un point de vue incroyablement offensant. Il a utilisé la préoccupation qui existe dans ce pays concernant l’immigration. En deuxième lieu, il a mené campagne avec un programme contre le libre échange. Il critique les politiciens américains qui ont signé des traités et il applaudit les compétences de négociation de nos partenaires commerciaux, et ce alors que l’économie américaine fait beaucoup mieux que ces pays.

“Trump a le luxe de ne pas devoir justifier de responsabilité en matière fiscale, en tant que candidat à la présidence. Il est d’abord arrivé avec la promesse de diminuer l’impôt de 10 milliards de dollars. Il a ensuite ajusté ce chiffre à un beaucoup plus modeste 6 milliards de dollars. Les avantages seront, pour la majeure partie, pour les Américains les plus riches. Sa proposition n’a pas de justification sur le plan budgétaire. Il n’a pas spécifié ses propositions d’assainissement. Il dit de temps en temps qu’il désire garder la protection sociale intacte au niveau Social Security et Medicare. Mais sans aborder la viabilité du filet de sécurité sociale.”

Trump a chamboulé le parti républicain via une prise de contrôle hostile. Le parti y survivra-t-il ?

Krueger: “Personne ne sait vers où le parti se dirige. Les Républicains se sont comportés de manière irresponsable dans les débats concernant le plafond de la dette et le budget. Cela a mené à une polarisation extrême au sein du parti. C’est un échec de la politique, tout comme la situation en Grande-Bretagne avec le Brexit. Que des personnes soient attirées par des idées populistes, ce n’est rien de nouveau. C’est aux dirigeants politiques de veiller à empêcher tout déraillement de cette tendance. L’ancien Premier ministre britannique David Cameron aurait dû mettre la barre beaucoup plus haut pour un départ de l’Union Européenne.”

Votre ancien patron Barack Obama n’est-il dès lors pas également responsable du ressentiment dans certains groupes de la population américaine ?

Krueger: “Il est exact que le président a tous les problèmes de son pays à gérer. Mais je ne pense pas que ce soit la faute d’Obama. Il n’est pas responsable de l’agitation dans le parti républicain. Des figures proéminentes dans ce parti craignaient tellement leur électorat qu’aucun compromis n’était possible.

“Je pense que les Républicains auraient dû avoir une règle selon laquelle on doit être membre du parti depuis une période déterminée pour pouvoir être candidat à la présidence. Ils pourraient aussi travailler avec des super délégués pendant les primaires, chargés de protéger les valeurs essentielles du parti. Les partis ne tombent pas sous la constitution et ne sont même pas présumés être démocratiques. En tant que parti, vous devez avoir un système qui vous permet d’empêcher qu’une personne qui fait systématiquement des assertions mensongères s’érige candidat à la présidence.”

Pourquoi les autres candidats républicains ont-ils échoué ?

Krueger: “Leur promesse de renverser Obamacare a suscité des attentes irréalistes auprès des électeurs et de la base du parti. Cela explique le mécontentement concernant les dirigeants républicains. Il sera intéressant de voir quelles leçons le parti tirera de ces élections. Après la perte de Mitt Romney en 2012, une conclusion avait été tirée, qu’ils devraient s’adresser à un groupe plus large d’électeurs, issus de différents groupes comme les latinos et les femmes. Cela me paraît la bonne voie, mais cela ne s’est pas réalisé.”

Le parti a suivi la voie inverse et il attire surtout des électeurs blancs. Trump n’y est pas allé de main morte.

Krueger: “Mitt Romney avait prôné l’auto-déportation des immigrants illégaux. C’est encore très doux, comparé à l’état policier envisagé par Trump. Les dirigeants évangélistes qui soutiennent Trump sont hypocrites. Le parti est déchiré. Lors des primaires, les visions étaient très diverses. Beaucoup de Républicains ne renonceront pas à l’idée que les Etats-Unis doivent s’engager dans une voie indépendante et penser à eux-mêmes. Mais je n’exclus pas que le parti se remette malgré tout et qu’après l’ère Trump, il revienne vers les valeurs mainstream pour lesquelles le parti d’Abraham Lincoln étaient connues.”

Gerben van der Marel à New York

Qui est Alan Krueger ?

Alan Krueger a travaillé sous le président Bill Clinton et il a été brièvement sous-ministre des Finances dans le gouvernement Obama. Il est ensuite devenu président du Council of Economic Advisers, un think tank du président. Dans les années nonante, Krueger a fait des recherches innovantes avec son collègue canadien David Card sur l’effet de l’augmentation du salaire minimum. Conclusion: une augmentation du salaire minimum ne mène pas nécessairement à une destruction des emplois, comme les Républicains le prétendent souvent. Le frein le plus lourd à la croissance économique est, selon Krueger, l’inégalité des revenus et l’écart qui ne fait que se creuser entre les riches et les pauvres.

Dans une étude sur la décroissance de la demande des consommateurs, il a conclu en 2012 que les enfants des familles pauvres ont moins de chances d’améliorer leur statut économique en tant qu’adultes s’ils ont grandi dans un pays avec une plus grande inégalité des revenus.

En 2007, il a écrit un livre important sur l’origine sociale des terroristes. Il déclarait qu’il sont en général issus de la classe moyenne dotée d’un niveau de formation supérieur et non pas de groupes marginalisés.

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