À la rencontre de Guy Forget, directeur du tournoi de Roland-Garros

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L’ancien champion de tennis de 52 ans qui ne se départit jamais de son sourire a été nommé à la tête du tournoi de Roland-Garros. Le défi est grand : malgré son chiffre d’affaire de 200 millions d’euros, le stade de la Porte d’Auteuil manque de place et souffre d’infrastructures vieillottes.

Les sanguins et les bretteurs, très peu pour lui. Sur les courts, déjà, où il officia de 1982 à 1997 en se hissant à la force du poignet (gauche) jusqu’à la quatrième place du classement ATP, Guy Forget n’était ni John McEnroe ni Henri Leconte. Discipliné, sage, poli, au risque de susciter l’ennui du côté des gradins.

Depuis 2016, il est le directeur du tournoi de Roland-Garros. A 52 ans, il conserve ses yeux clairs, son sourire désarmant, son calme et un sens aigu de la diplomatie qui a certainement joué en sa faveur au moment de sa nomination. Pour la Fédération française de tennis (FFT), l’association qui chapeaute la quinzaine des Internationaux, il s’agit de retrouver le calme après la tempête. Des soupçons de malversations et de trafic d’influence jusqu’en haut lieu ont failli couler l’institution. Guy Forget a été appelé à la rescousse pour éviter le naufrage. L’opération de sauvetage n’a rien d’un parachutage de dernière minute. Cela fait longtemps que l’ancien joueur est de l’autre côté du grillage, comme il dit. Il a été successivement capitaine de l’équipe France de la Coupe Davis et de la Fed Cup, son équivalent féminin, directeur du tournoi de Paris-Bercy, puis membre du comité de pilotage de Roland-Garros. Une suite logique qui l’a préparé à l’exercice du pouvoir qui nécessite une certaine appétence pour ce qu’il appelle ” le travail de fourmi “. ” Etre joueur de tennis où tu mets la balle à droite quand l’autre est à gauche, c’est finalement assez simple “, ironisait-il en 2012 pour souligner la complexité de la tâche lorsqu’il était à la tête de Paris-Bercy.

Un travail d’équilibriste – Guy Forget est un passionné de surf – où il faut pouvoir dire “non” sans froisser. Les exigences peuvent se révéler farfelues. Pour certaines stars capricieuses de la petite balle jaune, même la température de l’eau du bain de leur suite étoilée peut devenir un problème, dixit Forget qui n’a pourtant pas l’habitude de balancer…

C’est qu’au fil des années, le milieu n’a pas gagné en humilité. Roland-Garros est devenue une énorme machine à cash passant de 0,3 million de chiffre d’affaires en 1980 à plus de 200 millions en 2016, pour un bénéfice net estimé à 75 millions d’euros. L’Open de la Porte d’Auteuil génère 90 % des recettes de la Fédération française de tennis. C’est elle qui ” irrigue ” toute la discipline, de ses plus hauts sommets jusqu’à la base, en soutenant les ligues et clubs d’amateurs. Car contrairement à l’AELTC, le club privé londonien qui est derrière Wimbledon, la FFT est tenue de consacrer près de 40 % de ses gains au soutien du tennis de masse, vivier naturel des futures étoiles.

Rentable, le ” French Open ” n’est pas le mieux loti des tournois du Grand Chelem. Les gains de joueurs s’y élèvent en 2017 à 36 millions d’euros, derrière Wimbledon ou l’US Open, qui demeure la plus lucrative des compétitions, avec une dotation de 41 millions d’euros. Quant aux généreux droits de diffusion (17,5 millions d’euros annuel) que versent France Télévisions et Eurosport à la FFT, ils sont deux fois moins importants que ceux de Wimbledon et quatre fois inférieurs aux sommes déboursées pour la retransmission des matches à Flushing Meadows.

Ses nouvelles fonctions lui donnent l’occasion de se lancer un nouveau défi : prouver sa capacité à renflouer l’image du paquebot France dans le milieu tennistique.

Comme un homme politique en campagne

Plus gênant dans cette lutte féroce que se livrent les fab four, le stade parisien peine à évoluer avec le temps. Sa surface d’accueil n’est que de 8 ha, bien en deçà de Wimbledon (18 ha), avec des infrastructures vieillottes en comparaison avec Londres ou Melbourne qui a modernisé son complexe sportif à grands frais entre 2010 et 2015. Roland-Garros reste la seule du quatuor à ne pas disposer de courts couverts, ce qui oblige les organisateurs à interrompre ou reporter les matches en cas de forte pluie, au grand dam des spectateurs… et de son directeur. Le projet d’un toit rétractable est à l’étude mais il ne faut rien attendre avant 2020. Au mieux. En ce qui concerne l’extension du site, décidément trop exigu pour accueillir les 450.000 visiteurs annuels, l’affaire est encore plus épineuse. Invoqués depuis 10 ans, les travaux d’agrandissement pour un coût de plusieurs centaines de millions, financés à 95 % par la FFT, ont été stoppés dans leur élan en 2015 suite aux recours des associations de défense de l’environnement. ” On sait comment ça se passe en France… “, soupire Guy Forget. Depuis, le dossier, renvoyé de tribunaux en tribunaux, semble enfin sur la bonne voie grâce à une récente décision de justice qui va dans le sens de la FFT. Serait-ce l’heure du happy end ? Comme un homme politique en campagne, Guy Forget n’a pas hésité à partir à la rencontre des commerçants et riverains du 16e arrondissement pour diffuser la bonne parole de l’extension, en costume et cravate. On est loin de l’ambiance tie-break à l’époque où il se battait pour le saladier d’argent…

Exilé fiscal

Fils d’un professeur de tennis et d’une mère enseignant les maths, Guy se prend très tôt dans les rets du filet. A 13 ans, il suit la filière tennis-études de Nice, loin de ses parents qui vivent à Marseille et qu’il ne retrouve que pendant les vacances. Une période qui s’avère difficile sur le plan affectif, reconnaîtra le sportif dans un portrait que lui consacre le journal Libération en 1995, mais qui façonnera son caractère. En 1982, il est champion de France junior puis champion du monde junior. Le chemin est pourtant encore long jusqu’à 1991, année faste où le Français, adepte du service-volée, remporte ses plus grandes victoires, dont la Coupe Davis. Il en profite pour déménager en Suisse, où il réside toujours, à Mies, près de Genève, dans une magnifique propriété avec vue sur le lac Léman. Comme 4.500 ressortissants étrangers aisés, il bénéficie du très avantageux forfait fiscal helvète qui fait débat. En 2012, il est interrogé en France par une commission d’enquête sur l’évasion fiscale. L’exilé qui a gagné 5,7 millions d’euros en prize-money plaide l’optimisation fiscale, justifiée, selon lui, par la brièveté de la carrière des tennismen et la nécessité de se prémunir des lendemains qui déchantent, lorsque les champions raccrochent leur raquette et voient fondre leurs rentrées financières.

Guy Forget a, pour sa part, plutôt très bien géré sa reconversion, entre contrats de consultance pour la radio et la télévision, matches d’exhibition rémunérés aux quatre coins de la planète et coaching heureux avec des primes variant entre 10 et 15 % net des recettes provenant des rencontres disputées en France au temps où il était capitaine de l’équipe féminine de France. Ses nouvelles fonctions, prestigieuses mais plus institutionnelles que jamais, lui donnent l’occasion, sur fond de lutte de dopage, de se lancer un nouveau défi : prouver sa capacité à renflouer l’image du paquebot France dans le milieu tennistique. Finalement, mettre une balle à droite quand le joueur est à gauche…

Par Antoine Moreno.

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