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Mauvais plan B…

Malgré les éclats de voix, les tensions et les déchirures, la crise politique actuelle trouvera plus que probablement une solution équilibrée. Il en sera ainsi parce que d’une part, négocier la séparation (ou le démembrement, ou la sécession, peu importe…) nécessiterait des efforts bien plus importants que de négocier une nouvelle manière de vivre ensemble. D’autre part, et c’est un point important, parce que le plan B, puisqu’on l’appelle désormais ainsi, est bien moins avantageux économiquement qu’il n’y paraît ou qu’on ne le laisse paraître.

Par Philippe Ledent, Economiste chez ING Belgique et chargé de cours invité à l’UCL


On a en effet entendu ces dernières semaines beaucoup de commentaires sur le plan B, celui où l’on déclare solennellement que “les francophones prendraient leur destin en main”. Même si un tel scénario est à mon sens très peu probable, on peut reconnaître qu’imaginer ce que serait le stand alone est un exercice intellectuellement intéressant. J’ai cependant été frappé par les commentaires revendiquant la “viabilité” économique d’un espace Wallonie-Bruxelles. Et ce sur base des chiffres des dernières années, montrant une croissance retrouvée pour la Wallonie et même supérieure à la Flandre.

Illusion d’optique

Prendre le problème sous cet angle est manifestement erroné. D’une part, il en va en économie comme en finance : “Les performances du passé ne constituent en rien une garantie pour les performances futures.” D’autre part, il n’existe pas ou presque de comptabilité régionale claire. Ceci signifie que des chiffres de PIB ou d’emploi régionaux existent, mais ils sont souvent issus de clés de répartition appliquées sur les chiffres fédéraux. Difficile dans ces conditions de faire des projections fiables. Enfin et surtout, tout plan B devrait être évalué de manière dynamique. Or la majorité des commentaires ou analyses ayant trouvé un écho médiatique correspondent à une vision statique du fonctionnement d’une économie.

Qu’est-ce que cela signifie ? Dans une optique statique, on utilise une des phrases les plus connues de la macroéconomie : “Toutes autres choses étant égales par ailleurs.” En d’autres termes, on considère par exemple que les conditions structurelles de l’économie wallonne et de l’économie bruxelloises ne changeront pas, même en cas de plan B, et on évalue simplement la croissance future de la nouvelle entité, en se fondant sur les chiffres des dernières années. Dans le cas qui nous occupe, l’hypothèse du “toutes autres choses étant égales par ailleurs” est bien trop lourde, car les chiffres des dernières années ont été réalisés dans une Belgique unie, c’est-à-dire dans un tout autre environnement que le plan B que l’on cherche précisément à évaluer. Comment en effet considérer que les navetteurs d’aujourd’hui seraient les mêmes dans un scénario d’éclatement du pays ? Comment considérer que les entreprises ayant leur siège à Bruxelles ne se délocaliseraient pas dans la nouvelle entité qui leur serait la plus avantageuse ? Mais surtout, comment considérer que l’Europe nous pardonnerait de faire éclater le pays où sont basées ses institutions ?

Les chocs futurs plus importants que le trend passé

Raisonner de manière statique est d’autant plus naïf que les effets des changements structurels auxquels seraient soumises les nouvelles entités dépassent de loin l’information donnée par le plus ou moins grand dynamisme de celles-ci au cours des dernières années. Pour cette raison, il est indispensable d’inclure ces changements dans les modèles évaluant la viabilité de l’un ou l’autre nouvel espace : profondes modifications des flux de navetteurs, délocalisations et changements de structure juridique de nombreuses entreprises, délocalisation des institutions européennes et d’autres organisations internationales, etc.

En conclusion, en cas de plan B, il faut considérer que les nouvelles entités devront composer avec un contexte politique, juridique et économique complètement différent. Dans ce nouveau contexte, un espace Wallonie-Bruxelles serait-il toujours économiquement viable ? Et qu’en serait-il de la Flandre ? Seul un travail en profondeur pourrait nous en donner la réponse. Mais celle-ci dépend assurément de chocs que ni le Belge moyen ni les partis politiques belges ne contrôlent. N’est-ce pas une leçon d’humilité à répéter à tous les apprentis (nationalistes) sorciers ?

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