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Maggie, un mal nécessaire !

Cela ne vous a certainement pas échappé : le qualificatif le plus utilisé dans la presse à propos de Margaret Thatcher, tant au lendemain de son décès qu’à l’occasion de ses funérailles, fut incontestablement “controversée”. En français comme en anglais. Jusque dans la bouche de l’évêque de Londres.

A juste titre, puisqu’après le poids des mots, vint le choc des images : des manifestants tournant le dos au cortège funèbre, voire le conspuant. Dans les banlieues déshéritées de villes industrielles en déclin, on a organisé des réjouissances populaires ! De leur côté, certaines chancelleries étrangères ont pris leurs distances, l’exemple le plus frappant étant celui des Etats-Unis : Washington n’a pas envoyé un seul dignitaire en fonction, seulement quelques anciens. Maggie méritait-elle un pareil opprobre ?

La première Prime minister de sexe féminin du Royaume-Uni n’avait pas que des qualités. Devenue un peu trop dictatoriale à la tête de son gouvernement, elle a aussi, à la fin de son mandat, versé dans un certain déni de la réalité, au point de se faire virer par son propre parti ! Symbole de la détermination et de l’absence d’état d’âme qui lui valurent son surnom de Dame de fer : la grève des mineurs, brisée en 1985, après plus d’un an, et la fermeture des mines de charbon. Elle qualifiait alors les syndicats d'”ennemis de l’intérieur”. Honni soit qui mal agit : aujourd’hui encore, ce douloureux épisode entretient une véritable haine à l’égard de Margaret Thatcher dans certaines régions défavorisées du pays.

Avec le recul, qu’en penser ? Les mines de charbon sont presque toutes fermées en Europe et la désindustrialisation marquée du Royaume-Uni s’est dupliquée dans le sud de l’Europe. Il faut surtout se souvenir de l’état de délabrement de la Grande-Bretagne en 1979, quand Maggie arrive au 10, Downing Street. Le pays est alors sclérosé, son économie sinistrée. Le climat social entretenu par certains syndicats ? Ce sont les ACEC de Charleroi des années 1970 : mieux vaut mener une entre-prise à la faillite qu’accepter le changement demandé par les affameurs du peuple…

Un malentendu doit être levé : pas plus que le président américain Ronald Reagan, son complice dans le grand retour du libéralisme des années 1980, Margaret Thatcher n’était un “valet du grand capital”. Elle en fit la démonstration lors du krach historique d’octobre 1987. La privatisation du groupe pétrolier BP venait alors de débuter et les banques, qui avaient déjà acheté les actions à prix ferme avant de les revendre au public, en vertu du système qui prévaut outre-Manche, crièrent au secours :

il faut tout annuler, nous allons perdre des milliards ! Vous affirmez avoir pris des commissions pour couvrir les risques, n’est-ce pas ? leur répondit en substance le Premier ministre. Eh bien maintenant, vous savez en quoi consistent ces risques !

Margaret Thatcher a-t-elle été trop loin dans les privatisations, broyant la notion de service public ? Son action a-t-elle accru les inégalités sociales ? Sans doute. On sait que l’histoire est un balancier, qui de trop à gauche corrige trop à droite, et inversement. Quelqu’un lui demanda, lors d’une réception privée, quelle était son plus grand sujet de fierté. Elle aurait répondu : Tony Blair et le nouveau parti travailliste. En clair : avoir fait comprendre, même à la gauche, qu’avant de discuter des dépenses de l’Etat Providence, il faut aider les entreprises et les particuliers à créer de la richesse. Jugement serein d’un fils de mineur devenu entrepreneur : “Margaret Thatcher fut un mal nécessaire”. C’est plus subtil que “controversée”, isn’t it ?

GUY LEGRAND, DIRECTEUR ADJOINT

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