Vaincre le burn-out

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La surcharge de travail et la pression des délais : tel est le lot de tous les managers. Qui ne s’est jamais senti submergé ou à la limite de ses capacités ? Toutefois, lorsque le travail sans relâche vous plonge dans un état d’épuisement que l’on appelle burn-out, la situation est à prendre au sérieux, car elle affecte à la fois vos performances et votre bien-être, au travail comme ailleurs, mais aussi ceux de votre équipe et de votre entreprise.

Les données relatives à la fréquence des cas de burn-out ne sont pas précises, dans la mesure où il ne s’agit pas encore d’un terme clinique distinct du stress. Selon certains chercheurs, seuls 7 % des travailleurs ont réellement subi les affres du burn-out. D’autres, en revanche, évoquent un chiffre nettement supérieur, soit 50 % parmi les internes en médecine, et même 85 % chez les professionnels du monde de la finance. En 2013, ComPsych a sondé plus de 5.100 travailleurs nord-américains. Il en est ressorti que 62 % d’entre eux étaient en proie à un stress important, mais aussi à une perte de sang-froid et à une fatigue extrême. En outre, les chercheurs ont établi un lien entre le burn-out et de nombreux dysfonctionnements physiques et psychologiques, dont les maladies coronariennes, l’hypertension, les troubles du sommeil, la dépression et l’anxiété, ainsi qu’une consommation accrue d’alcool et de drogues. De plus, il a été prouvé que le burn-out favorisait le sentiment d’inanité et d’aliénation, nuisait à la qualité des relations sociales et constituait un frein aux perspectives de carrière sur le long terme.

Prenons l’exemple de Barbara, dont nous tairons le nom de famille. Elle est PDG d’une société de relations publiques qui compte de nombreux clients dans l’industrie technologique. Lorsque la bulle internet a éclaté en 2001, son principal défi a consisté à garder sa société sur les rails, ce qui a généré chez elle un stress supplémentaire alors qu’elle était déjà soumise à une charge de travail intense. Ce fut le début d’une lutte acharnée qui a eu raison de sa santé, lui a fait perdre pied et l’a poussée à douter de ses capacités. Je connais un autre cadre, appelons-le Ari, qui a senti l’étau se resserrer sur lui alors qu’il occupait le poste de consultant dans un cabinet spécialisé. La dynamique interne du cabinet et les relations avec les clients étaient particulièrement toxiques et contrevenaient totalement à ses propres valeurs, à tel point qu’elles ont fini par saper sa confiance en lui et qu’il ne parvenait ni à poursuivre dans cette voie, ni à sortir de cette spirale infernale.

Au cours de mes 15 années d’expérience en tant que coach, chercheur et enseignant, j’ai pu aider des milliers de clients, d’étudiants et de participants à des programmes de développement à l’intention des cadres en proie aux mêmes difficultés que Barbara. La marche à suivre consiste avant tout à identifier les symptômes, à en examiner les causes et à mettre au point des stratégies préventives pour traiter le type de burn-out dont vous êtes victime.

Trois composantes

Grâce aux recherches innovantes menées par la psychologue Christina Maslach et plusieurs de ses collaborateurs, nous savons désormais que le burn-out est un syndrome à trois composantes, engendré par une situation de stress chronique au travail. Passons en revue chacune de ces composantes : l’épuisement, le cynisme et l’inefficacité.

L’épuisement est le symptôme caractéristique du burn-out. Il implique une fatigue physique, intellectuelle et émotionnelle profonde qui met à mal la capacité à travailler efficacement et à éprouver des sentiments positifs à l’égard de son activité professionnelle. Cet état d’épuisement peut être provoqué par une culture d’entreprise qui exige une disponibilité permanente et impose des délais serrés, ou simplement par une charge de travail trop lourde, de surcroît lorsque vous ne contrôlez pas votre travail, que vous le détestez ou que vous ne disposez pas des compétences nécessaires pour le réaliser correctement. En situation d’épuisement, vous ne parvenez pas à vous concentrer ni à adopter une vue d’ensemble. Même les tâches routinières, qui d’habitude vous plaisent, vous semblent laborieuses. Vous subissez votre existence au bureau comme en dehors.

Le cynisme, également appelé dépersonnalisation, se manifeste par un manque d’implication au travail. Il consiste essentiellement à ériger une barrière psychologique entre vous et votre travail. Vous ne vous investissez plus dans les tâches et les projets qui vous sont confiés, et ne vous montrez plus responsable vis-à-vis de vos collègues, clients et autres collaborateurs. Vous êtes en proie à un certain détachement, dominé par un sentiment négatif, voire par une absence de sensibilité. Le cynisme peut s’expliquer par une surcharge de travail, mais peut également naître à la faveur de conflits majeurs, d’un sentiment d’inégalité ou d’un manque de participation dans la prise de décisions. Ainsi, après avoir fait fi de plusieurs instructions consistant à mettre en oeuvre des solutions stériles au regard des problèmes rencontrés par les clients, Ari a pris conscience que la lutte perpétuelle qui l’opposait à ses supérieurs affectait son propre comportement. ” J’étais particulièrement agressif dans la manière de m’exprimer et je mentais bien plus souvent que je n’étais respectueux et honnête “, admet-il. Le recours systématique au cynisme est le signe que vous n’êtes plus en phase avec votre travail, que vous n’y prenez plus de plaisir et que vous n’en êtes plus fier.

L’inefficacité renvoie quant à elle à un sentiment d’incompétence, d’absence de résultats et de manque de productivité. Les personnes présentant ce symptôme du burn-out voient leurs compétences s’amenuiser et craignent de ne pas être capables de réussir dans certaines situations ou d’accomplir certaines tâches. L’inefficacité va souvent de pair avec l’épuisement et le cynisme, dans la mesure où une personne ne peut livrer le meilleur d’elle-même si elle manque d’énergie et ne manifeste plus aucun intérêt à l’égard de son travail. Ainsi, bien que Barbara soit spécialisée dans le domaine des relations publiques, le stress généré par l’éclatement de la bulle internet et l’épuisement qui s’en est suivi ont provoqué en elle une remise en question de sa capacité à subvenir aux besoins de ses clients et à maintenir sa société à flot. Toutefois, le burn-out peut également se manifester par le biais de l’inefficacité si les ressources et les outils nécessaires pour mener à bien votre activité vous font défaut : le temps suffisant, des informations adéquates, un cahier des charges précis, une autonomie raisonnable et de bons rapports avec les personnes jouant un rôle déterminant dans votre réussite. L’absence de retours et d’une véritable reconnaissance, qui vous pousse à vous interroger sur la qualité de votre travail et vous donne le sentiment que ce dernier n’est pas à la hauteur, peut également alimenter ce phénomène. Tel a été le cas pour Ari, qui était convaincu d’occuper un poste inférieur, uniquement parce que son entreprise ne prenait pas la peine d’encourager les bons résultats.

Si ces trois composantes sont étroitement liées et, la plupart du temps, conduisent les unes aux autres, il existe différents types de burn-out. Michael Leiter mène actuellement des recherches sur ce sujet. Il a constaté, par exemple, que certaines personnes étaient épuisées sans toutefois adopter un comportement cynique ou commencer à douter de leurs performances. D’autres personnes commencent d’abord par être cyniques ou par développer un sentiment d’inefficacité. Enfin, il existe des personnes qui sont victimes de deux syndromes en particulier, tandis que le troisième ne se manifeste que légèrement. Si la plupart des stratégies de prévention et de traitement évoquées ici sont valables pour les trois symptômes, mieux vaut diagnostiquer le type de burn-out dont vous êtes victime afin de déterminer le symptôme qui mérite le plus d’attention.

Traitement et prévention

Les facteurs conjoncturels sont ceux qui jouent le rôle le plus déterminant dans l’émergence du burn-out. Ainsi, il est souvent indispensable d’initier un changement au regard du travail, de l’équipe ou de l’organisation pour s’attaquer aux problèmes sous-jacents. Toutefois, il est possible de prendre des mesures sur le plan personnel une fois que l’on a identifié les symptômes du burn-out, ainsi que leur origine. Voici quelques stratégies qui ont fait leurs preuves auprès de mes clients.

Prendre soin de vous doit devenir votre priorité.

Il est essentiel de refaire le plein d’énergie physique et émotionnelle, et de rebooster votre capacité de concentration en favorisant un sommeil réparateur ainsi que de bonnes habitudes alimentaires, en faisant de l’exercice, et en privilégiant les relations sociales et les pratiques propices à la sérénité et au bien-être, telles que la méditation, la tenue d’un journal et les balades en pleine nature. S’il vous est difficile d’intégrer ces activités à votre emploi du temps chargé, prenez une semaine pour évaluer précisément la façon dont vous utilisez votre temps. (Pour ce faire, utilisez une feuille de papier, un tableur ou l’une des nombreuses applications qui existent de nos jours.) Identifiez plusieurs tranches horaires et pour chacune d’entre elles, indiquez ce que vous faites, avec qui vous êtes et dans quel état d’esprit vous vous trouvez (par exemple, utilisez une échelle de 1 à 10, où 1 correspond à un état de colère ou d’épuisement et 10 à un état de joie et de motivation), tout en notant la valeur de l’activité en question. Grâce à cette méthode, vous serez en mesure de limiter les tâches, les situations et les relations sociales qui ne sont pas essentielles et vous mettent de mauvaise humeur, d’accorder davantage d’importance aux activités qui stimulent votre énergie et de ménager un temps de repos positif en dehors du travail.

Envisagez une autre perspective.

Si le repos, la détente et le plein d’énergie soulagent l’épuisement, constituent un rempart au cynisme et augmentent l’efficacité, ils ne traitent pas pour autant le burn-out à la racine. Une fois de retour au bureau, il vous faudra probablement faire face à la même charge de travail insurmontable, aux mêmes conflits insolubles et aux mêmes ressources lacunaires. Par conséquent, l’heure est venue d’examiner votre façon de penser ainsi que vos suppositions. Au regard de votre situation actuelle, quels sont les aspects qui sont véritablement figés ? Lesquels pouvez-vous modifier ? En changeant de perspective, vous pourrez compenser l’impact négatif des éléments les moins flexibles. Si l’épuisement est un problème central, demandez-vous quelles tâches vous pouvez déléguer afin de vous ménager du temps et de l’énergie à consacrer à d’autres travaux essentiels. Est-il possible de réorganiser votre travail afin de mieux le contrôler ou de vous concentrer sur les tâches les plus épanouissantes ? Si vous êtes rongé par le cynisme, pouvez-vous vous affranchir des éléments qui vous frustrent au sein de votre entreprise, tout en vous impliquant à nouveau dans votre fonction et votre société ? Pouvez-vous privilégier des relations positives et utiles pour mettre fin à celles qui vous minent ? Et si vous vous sentez inefficace, de quel type de soutien ou de développement avez-vous besoin ? Si votre travail n’est pas reconnu à sa juste valeur, peut-être pourriez-vous trouver un moyen de vanter vos mérites ?

Ari s’est adonné à la même remise en question. Si, auparavant, il était captivé par son travail dans la mesure où sa société avait pignon sur rue et son salaire était avantageux, il a fini par comprendre que les valeurs et l’éthique surpassaient tout le reste. Il a donc décidé de quitter son travail et de lancer sa propre entreprise. ” Après avoir repoussé l’échéance plusieurs fois et martelé à ma direction que nos conseils ne convenaient pas à nos clients, mon patron m’a soumis à une pression encore plus forte en ne m’attribuant que des clients difficiles. A un moment, j’ai dit à ma femme : ” J’aimerais me faire renverser par un bus. Je ne veux pas mourir, mais j’aimerais être suffisamment blessé pour pouvoir arrêter de travailler un petit temps. ” Elle m’a répondu : ” Cette fois, la coupe est pleine ! Tu changes de boulot ! ” Pendant les mois qui ont suivi, il a accepté plusieurs missions de consultance sous statut d’indépendant, avant de franchir le pas.

Limiter l’exposition aux facteurs de stress liés au travail.

Il est également primordial d’identifier les activités extrêmement importantes et les relations qui sont sources de stress néfaste. Pour ce faire, il faut redéfinir les attentes des collègues, des clients et même des membres de la famille au regard du type et de la quantité de responsabilités que l’on souhaite assumer, ainsi que les règles de collaboration. Certains pourraient tenter de saper votre élan. Toutefois, les personnes les plus sceptiques doivent comprendre que les changements que vous mettez en oeuvre ont pour vocation d’augmenter votre productivité à long terme et de préserver votre santé.

Ainsi, Barbara connaît bien les aspects du secteur des relations publiques qui risquent de provoquer un burn-out. Désormais, elle y accorde une grande attention. ” La pression est constante, tant du côté des clients que des moyens de communication, explique-t-elle. Très souvent, ce que les clients appellent une crise n’en est en réalité pas une. Mon métier consiste notamment à les aider à mettre les choses en perspective, mais le professionnalisme qui s’impose à moi ne doit pas me pousser à être à la solde des clients. Il n’est pas normal de devoir traiter des e-mails à 23 heures tous les soirs. ”

Chercher des liens.

Le meilleur remède contre le burn-out, notamment s’il est motivé par le cynisme et l’inefficacité, consiste à chercher des interactions interpersonnelles enrichissantes ainsi qu’un développement personnel et professionnel continu. Faites appel à des coaches et des mentors qui peuvent vous aider à identifier et privilégier les relations positives et les situations propices à l’apprentissage. Le fait de conseiller les autres constitue un autre moyen efficace de sortir d’un cercle vicieux.

Eu égard à l’influence des facteurs conjoncturels sur l’apparition du burn-out, il est probable que d’autres personnes au sein de votre entreprise en soient également victimes. Si, tous ensemble, vous vous entraidez, identifiez les problèmes et proposez des solutions, chacun de vous renforcera son sentiment de contrôle et se sentira davantage en phase avec son travail. Barbara suit le programme Vistage, conçu pour former et conseiller les PDG. ” Nous sommes un petit groupe de PDG représentant des entreprises non concurrentes. Nous pouvons donc échanger des idées, explique-t-elle. Nous passons une journée par mois ensemble. Nous invitons d’excellents conférenciers et faisons office de conseil consultatif les uns vis-à-vis des autres. ” Ari, qui est désormais un chef d’entreprise couronné de succès, s’est constitué un réseau de partenaires techniques qui partagent la même vision, collaborent et se confient mutuellement des tâches professionnelles. Selon lui, le fait d’être à la tête d’une entreprise ” centrée sur le client ” dans laquelle il croit, et de travailler avec des personnes qu’il respecte a considérablement stimulé son engagement.

Conclusion

Le burn-out semble souvent insurmontable. Néanmoins, ce sentiment de dépassement ne constitue qu’un signal, aucunement une situation irréversible. Si vous comprenez les symptômes et les causes de ce phénomène, pour ensuite mettre en oeuvre ces quatre stratégies, vous pourrez vous en sortir et mettre en place une méthode de prévention. Votre expérience, aussi brutale soit-elle, peut faire office de déclic et vous orienter vers une meilleure carrière et une vie plus agréable et plus saine.

MONIQUE VALCOUR EST PROFESSEURE, COACH ET CONSEILLÈRE EN MANAGEMENT (HARVARD BUSINESS REVIEW)

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