Une industrie déjà florissante en Asie

Dans ce lycée, les élèves doivent s'identifier en scannant leur visage pour commander leur lunch à la cantine. © Isopix

Plongée dans les bureaux de l’entreprise chinoise Megvii, première start-up milliardaire de la technologie “facialo-industrielle “.

Parcourir le siège de Megvii à Pékin, c’est un peu comme visiter le centre névralgique de Big Brother. La caméra dans le hall d’entrée reconnaît les visiteurs en un clin d’oeil. Et d’autres sont déployées sur tout le site. Les images capturées arrivent sur un mur d’écrans baptisé Skynet, à l’instar du système d’intelligence artificielle (IA) dans la saga Terminator. Un écran montre un groupe d’employés en train d’attendre l’ascenseur, leurs visages entourés d’un cadre blanc avec leurs noms inscrits à côté. Interrogé sur les accents orwelliens de l’installation, Yin Qi, le directeur général de la start-up, souligne simplement que le système contribue à ” attraper les méchants “.

Même si ce dernier avait voulu s’étendre sur les implications de cette technologie, il n’en aurait pas eu le temps. L’immeuble de Megvii grouille d’activité. Yin Qi le compare à un ” cerveau ” dédié à l’informatique visuelle. L’entreprise a accompli beaucoup de chemin depuis sa création en 2011 (son nom est l’abréviation de mega vision). Plus de 300.000 entreprises et individus à travers le monde entier utilisent sa technologie de reconnaissance faciale, baptisée Face++, ce qui en fait l’un des principaux acteurs du domaine. En décembre, Megvii a levé 100 millions de dollars, portant sa valorisation à presque 2 milliards de dollars. L’entreprise est la première start-up milliardaire de la technologie ” facialo-industrielle “.

Les prestataires du secteur fournissent des outils matériels et logiciels destinés à reconnaître des visages pour les connecter à d’autres données utiles. S’il s’agit d’un très petit marché – les estimations les plus optimistes l’évaluent à quelques milliards de dollars -, cette technologie s’insinue toujours davantage dans le paysage commercial. La raison principale est que la reconnaissance faciale gagne rapidement en précision. On peut comparer sa trajectoire à celle de la reconnaissance vocale, qui a réellement décollé lorsque sa précision s’est améliorée de quelques points de pourcentage à presque 100 %. ” La plupart des gens sous-estiment le fossé qui peut séparer un taux de précision de 95 % d’un taux de 99 %, mais atteindre 99 % change véritablement la donne “, fait observer Andrew Ng, chercheur émérite en IA, à propos de la reconnaissance vocale.

Qui plus est, le smartphone favorisera la reconnaissance faciale de la même façon que les assistants personnels tels que l’Echo d’Amazon ont contribué à la reconnaissance vocale, en rendant la technologie acceptable auprès des consommateurs. Des millions de Chinois utilisent déjà leur smartphone pour autoriser des paiements. Mi-septembre, Apple a dévoilé la nouvelle mouture de son iPhone, qui embarque Face ID, une technologie capable d’identifier avec fiabilité, même dans le noir, le visage du propriétaire pour déverrouiller l’appareil. Cette annonce est intervenue quelques semaines après que Samsung a présenté son nouveau Galaxy Note disposant d’une technologie similaire, mais moins sophistiquée.

Deux catégories

La reconnaissance faciale peut être divisée en deux catégories : la capacité sous-jacente et les applications qui l’utilisent. La technologie Face++ de Megvii appartient à la seconde, à l’instar des services similaires offerts par SenseTime, une autre start-up chinoise, par NTechLab, une entreprise russe, ainsi que par Amazon, IBM et Microsoft. Toutes fournissent un service de reconnaissance faciale sous la forme d’un service de cloud computing. Les clients de Megvii peuvent télécharger une série de photos et de noms afin de les utiliser pour entraîner des algorithmes qui pourront reconnaître ces individus. Les entreprises peuvent également intégrer la reconnaissance faciale dans leur offre de services, notamment pour contrôler l’accès aux comptes en ligne.

Les services de Megvii et de SenseTime sont largement axés sur des données fiables. Les deux entreprises ont accès à la banque d’images du gouvernement chinois composée de 700 millions de citoyens qui reçoivent tous une photo d’identité officielle dès l’âge de 16 ans. Les agences gouvernementales chinoises constituent elles aussi des clients importants : les centaines de millions de caméras du pays sont toujours plus nombreuses à pouvoir reconnaître des visages. A Shenzhen, la reconnaissance faciale est utilisée pour identifier les citoyens qui traversent la rue où ce n’est pas autorisé. Leurs noms et leurs visages apparaissent automatiquement sur un écran. La ville de Pékin a commencé à utiliser cette technologie pour attraper les voleurs de papier toilette dans les toilettes publiques (le système empêche également de retirer plus de 60 cm de papier en 9 minutes).

Les applications commerciales, souvent alimentées par l’un des services de cloud computing, s’étendent encore plus rapidement. Le 1er septembre, Ant Financial, une filiale d’Alibaba, déployait son dispositif Smile to Pay pour la première fois dans un magasin physique : à Hang-zhou, dans les restaurants KPRO de KFC, la version plus saine de la chaîne de fast-food, les clients peuvent désormais payer leur commande en regardant un écran. Xiaomai, une chaîne de magasins de proximité, a déclaré vouloir utiliser la reconnaissance faciale pour étudier le comportement de ses clients. Et plusieurs banques chinoises permettent aux utilisateurs de s’identifier aux distributeurs à l’aide de leur visage.

Démarrage timide en Occident

L’Occident est vraiment à la traîne. Plusieurs secteurs s’appuient depuis longtemps sur des systèmes sommaires de reconnaissance faciale, comme les casinos pour identifier les joueurs interdits. Mais ce sont surtout les grandes entreprises en ligne qui recourent (avec prudence) à cette technologie. Facebook est l’entreprise qui est allée le plus loin en proposant à ses membres de taguer des amis sur leurs photos afin que des algorithmes puissent les reconnaître sur d’autres photos. Google utilise la reconnaissance faciale pour regrouper les images téléchargées par les utilisateurs sur son service de stockage photographique. Amazon a doté son nouvel assistant personnel, Echo Look, d’une caméra qui pourrait être utilisée pour reconnaître un visage.

D’autres entreprises encore tâtent le terrain. JetBlue, ainsi que d’autres compagnies aériennes américaines, ont entrepris de premières démarches pour pouvoir comparer les visages des passagers aux photos sur les passeports, l’objectif étant d’éliminer les cartes d’embarquement. Plusieurs banques occidentales, dont la banque Lloyds, ambitionnent d’imiter les banques chinoises et de permettre aux clients d’accéder à leurs comptes grâce à leur visage. Uber, le service de réservation de voitures avec chauffeur, dispose quant à lui en Inde d’un système qui impose aux conducteurs de prendre un selfie avant de prendre leur service. Ce dispositif doit permettre d’empêcher les chauffeurs non enregistrés de remplacer les chauffeurs qui le sont. Nvidia, le fabricant de puces, a l’intention d’installer la reconnaissance faciale à son siège en Nouvelle Californie.

Identifier les clients fidèles

Un beau potentiel existe également pour améliorer les ventes. Les caméras vidéo pourraient, par exemple, reconnaître les clients fidèles et les VIP qui méritent un traitement spécial. Ou encore déceler l’insatisfaction sur le visage des clients et envoyer du personnel pour intervenir. Walmart, le plus grand distributeur mondial, serait en train de travailler à l’élaboration d’un système de reconnaissance faciale pour améliorer son service clientèle.

De manière sans doute assez peu surprenante, ces services, au fur et à mesure qu’ils prennent de l’ampleur, suscitent déjà une levée de boucliers. Une start-up israélienne, D-ID, qui prône la ” désidentification “, a développé un logiciel capable de légèrement modifier les photos de façon à les rendre méconnaissables pour les algorithmes. Tout un chacun peut ainsi partager ses photos sans crainte qu’elles soient utilisées pour les identifier. D’autres proposent des défenses simples pour contrecarrer ces systèmes de surveillance sophistiqués, comme porter des lunettes avec des motifs hallucinogènes sur la monture ou simplement un masque ou du maquillage.

Mais il est peu probable que ces ” attaques contradictoires “, comme on dit dans le jargon, puissent enrayer l’avancée de la reconnaissance faciale. Selon Yin Qi, cette technologie entrera dans les moeurs. Et cela explique ses ambitions beaucoup plus élevées. Il souhaite perfectionner le cerveau de vision informatisée de Megvii pour permettre la réalisation de tâches encore plus complexes, comme interpréter le comportement humain ou reconnaître des objets.

Son ambition sur le long terme est de faire de Megvii une entreprise de ” fabrication d’algorithmes ” capable d’offrir toutes sortes d’éléments pour la construction de services de vision informatisée. Des éléments que d’autres entreprises pourraient combiner et associer à l’envi pour créer une offre de services toujours plus sophistiquée. Nul ne peut prédire si Megvii parviendra à atteindre son objectif, mais une chose est sûre : les technologies qu’elle exploite n’auront de cesse de se propager.

The Economist

On peut comparer la trajectoire de la reconnaissance faciale à celle de la reconnaissance vocale, qui a réellement décollé lorsque sa précision s’est améliorée de quelques points de pourcentage à presque 100 %.

Plusieurs banques occidentales, dont la banque Lloyds, ambitionnent d’imiter les banques chinoises et de permettre aux clients d’accéder à leurs comptes grâce à leur visage.

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