Thérapie cellulaire : un produit belge bientôt sur le marché

CEO de TiGenix © PG/JOSÉ ANTONIO ROJO

La biotech louvaniste attend pour l’automne l’autorisation européenne pour le développement de son produit, le Cx601. Celui-ci sera cependant commercialisé par un groupe japonais. Le CEO de TiGenix, Eduardo Bravo, explique ce choix, ainsi que les difficultés de financement en Europe.

Le deuxième essai sera-t-il le bon ? TiGenix s’apprête à mettre sur le marché européen un deuxième traitement issu de la thérapie cellulaire, près de 10 ans après l’aventure du Chondrocelect (traitement du cartilage du genou). La biotech louvaniste était alors la toute première entreprise européenne à avoir mené à terme un projet de thérapie cellulaire, ce qui lui a valu une renommée internationale. Le produit, efficace mais très coûteux, a depuis été retiré du marché, faute d’accord de remboursement avec suffisamment de pays.

TiGenix renouvelera bientôt l’expérience avec le Cx601, un médicament de thérapie cellulaire capable de soulager les fistules périanales, une complication très invalidante – et à ce jour non guérissable – dont souffrent une partie des personnes atteintes de la maladie de Crohn. ” Cela représente un marché potentiel de 60.000 patients, ce qui n’est pas négligeable “, précise Eduardo Bravo, CEO de TiGenix dans un entretien à Trends-Tendances. Le Cx601 a été reconnu comme médicament orphelin dès 2009. Il a ensuite passé toutes les phases de validation et arrive aujourd’hui à la dernière étape : l’autorisation de mise sur le marché par l’Agence européenne du médicament. ” Nous allons répondre aux dernières questions de l’agence au mois d’août et nous attendons une réponse positive pour le mois d’octobre, poursuit Eduardo Bravo. Si tout se passe bien, le produit sera sur le marché au début de l’année prochaine. ”

Ce produit, TiGenix ne le commercialisera pas elle-même. Elle a conclu un accord de licence avec Takeda Pharmaceutical, groupe japonais leader mondial de la gastro-entérologie. ” L’autorisation européenne, c’est très bien. Au niveau administratif, on peut vendre. Mais il faut avoir la structure adéquate, explique le CEO. L’Europe, c’est 27 pays avec lesquels il faut négocier les prix, où il faut créer des filiales, c’est vraiment très compliqué. Commercialiser un premier produit coûte très cher pour une boîte de la taille de la nôtre. Et en Europe, il est presque impossible de trouver des investisseurs qui, dès avant de connaître les résultats de la phase III, sont prêts à mettre de l’argent pour préparer la commercialisation. Nous avons donc opté pour un accord de licence avec une grande entreprise. C’est une sorte de validation du produit, cela apporte de la tranquillité au marché. ” TiGenix a empoché 25 millions à la signature et pourrait recevoir jusqu’à 355 millions, selon les milestones réglementaires et de ventes. Takeda a par ailleurs investi 10 millions pour prendre une participation de 4 % dans la firme louvaniste.

Revers de la médaille : si le Cx601 rencontre le succès escompté et qu’il faut gonfler la production, ce sera pour Takeda. Les retombées en termes d’activités et d’emplois ne seront dès lors sans doute pas localisées à Louvain. ” La croissance de TiGenix, je la vois plutôt aux Etats-Unis “, confirme Eduardo Bravo. L’entreprise a en effet conservé les droits de son produit pour la commercialisation aux Etats-Unis, prévue pour dans deux ans au moins. Elle espère posséder alors la taille suffisante pour assumer seule le défi.

Réparer les dommages d’un infarctus

La biotech louvaniste a par ailleurs deux autres projets de traitement dans sa besace. Le Cx611 combat le sepsis, une infection généralisée du corps, tandis que l’AlloCSC-01 répare les dommages d’un infarctus, afin de réduire les risques de récidive. Ces deux projets sont en phase II et l’on n’attend pas de mise sur le marché avant 2023 pour le premier et plus tard encore pour le second. Quel est donc le point commun entre ces différents traitements ? ” Nos cellules agissent comme un médicament vivant, explique Eduardo Bravo. Elles n’essaient pas de régénérer les tissus, comme le font d’autres boîtes. Nos cellules ne croissent pas, elles ne se reproduisent pas, elles disparaissent après avoir accompli l’action pour laquelle elles étaient programmées. ” Elles ciblent les tissus où l’inflammation est localisée, y ramènent l’équilibre et disparaissent au bout de quelques jours. ” Notre produit cardiaque vise à améliorer la cicatrisation et réparer les dommages causés par un infarctus, ajoute notre interlocuteur. Quand le coeur subit un dommage, il essaie de compenser en s’élargissant, ce qui finit par augmenter les risques. Nos cellules permettent de réduire ces risques. ”

En attendant que ces nouveaux produits mûrissent, TiGenix va aussi plancher sur des indications supplémentaires pour le Cx601 : autres fistules découlant de la maladie de Crohn, fistules ayant d’autres origines que la maladie de Crohn, etc. ” Si la première indication fonctionne, a priori cela devrait être le cas pour les autres, estime Eduardo Bravo. C’est donc peu risqué et cela nécessite moins d’études car nous restons dans des indications très proches. Nous voulons aussi développer le Cx601 pour d’autres maladies gastro-intestinales. Pour deux raisons. D’une part, si un jour nous disposons d’une force de vente aux Etats-Unis, nous voulons quelque chose qui puisse facilement être incorporé dans nos équipes ; d’autre part, parce que Takeda est très intéressé par ce domaine thérapeutique. ” Précision importante : TiGenix conserve les droits sur les nouvelles indications mais cela n’interdit évidemment pas d’ouvrir des négociations avec le groupe japonais avec lequel le courant passe déjà très bien.

Ces différents projets permettent à la société louvaniste de regarder l’avenir avec sérénité. ” Quand ces produits seront prêts, notre société aura grandi et j’espère que nous aurons alors les moyens de les développer nous-mêmes et de devenir une grande société véritablement européenne, confie Eduardo Bravo. Nous sommes convaincus qu’il y a énormément de valeurs au sein de TiGenix. Songez que la valeur de notre société est inférieure à ce qu’elle était avant le deal avec Takeda, à ce qu’elle était avant l’IPO à New York. Cela n’a pas de sens. Nous devons donc communiquer pour bien faire comprendre tout le potentiel de l’entreprise. ”

Un marché européen trop fragmenté

Pour l’heure, pour assumer son développement, TiGenix a dû recourir à un partenaire japonais et aux investisseurs du Nasdaq, où l’entreprise est cotée depuis plusieurs mois. ” C’est vital pour une entreprise comme la nôtre, assure notre interlocuteur. Toutes les biotechs le font, regardez Celyad ou encore Galapagos, qui a levé 300 millions d’euros. C’est indispensable pour mettre la boîte, je ne dirais pas dans la Champions League, mais dans la Division 2. Il n’y a malheureusement pas les fonds nécessaires en UE. ”

Eduardo Bravo empoigne ici sa casquette de président de l’EBE (European biopharmaceutical entreprises), le lobby des biotechs européennes. Les éléments de départ pour un bel écosystème sont, dit-il, réunis : une recherche scientifique de qualité, soutenue par des financements publics, un bon encadrement pour passer du stade de la recherche à celui de la création d’une société. ” Mais après, dès qu’une biotech veut faire de la croissance, elle doit partir aux Etats-Unis regrette-t-il. Le Car-T (cellules porteuses d’un récepteur chimique ciblé, Ndlr) a été inventé en Europe. Toutes les boîtes de Car-T sont aux Etats-Unis, où elles sont valorisées à plusieurs milliards de dollars. Comment avons-nous pu rater cela ? Les retombées économiques à long terme ne se concrétisent pas ici, en Europe. L’économie américaine bénéficie du financement de la recherche chez nous. ”

Il voit notamment un marché des capitaux toujours fragmentés, avec des fonds nationaux, voire régionaux parfois. ” Je lève plus d’argent en une journée sur la Cinquième avenue qu’en une semaine entière de road-show à travers l’Europe, résume Eduardo Bravo. Pourquoi ne pas créer un fonds européen, avec pour objectif de faire de l’argent en investissant dans les biotechs ? Il faut arrêter de donner de l’argent aux entreprises, il faut investir. Si la boîte va bien, le fonds va être plus gros pour investir dans les suivantes. ”

CHRISTOPHE DE CAEVEL

“C’est l’économie américaine qui bénéficie des retombées du financement de la recherche en Europe.” Eduardo Bravo, CEO de TiGenix

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