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Comptes bancaires à l’étranger: “Régularisation, blanchiment et… chantage”

On se souvient que, dans les années 2012-2013, une grande vague de régularisations avait été effectuée par des épargnants, pour la plupart des retraités, possédant des comptes bancaires non déclarés au Luxembourg et en Suisse.

Dans le cadre de ce que l’on appelait la Déclaration libératoire unique (DLU) 2, ces personnes ont régularisé, pratiquement toutes, les revenus non-prescrits, c’est-à-dire ceux des sept dernières années, puisque le délai maximum de prescription en matière fiscale est de sept ans. Les revenus des années antérieures n’ont jamais été taxés, c’est là le jeu logique de la prescription. Ils n’auraient d’ailleurs légalement pas pu être régularisés, puisqu’aucune disposition légale ne prévoyait la possibilité de le faire, et que le fait pour des fonctionnaires, d’accepter en paiement des sommes qui ne sont pas dues, relève d’un délit, appelé concussion.

Ces personnes, soit environ 80.000, font aujourd’hui face à une menace du ministre des Finances qui a annoncé qu’il se réservait le droit de les poursuivre pour blanchiment pour les capitaux ayant produit les revenus régularisés. Il est exact que ces capitaux n’ont jamais été régularisés, pour les raisons exposées ci-dessus, mais également que le fisc n’a plus aucun pouvoir de réclamer l’impôt sur ces montants puisqu’il s’agit de sommes précisément prescrites. Le ministre essaye de faire peur aux épargnants en leur proposant actuellement de recourir à la DLU 4, qui, elle, permet de régulariser des capitaux, mais à un prix très lourd : 38 % du montant de ceux-ci. Le ministre ne peut les menacer d’un contrôle fiscal, puisque l’administration n’a toujours pas le droit de réclamer des impôts prescrits. Mais le ministre a besoin d’argent : il a manifestement surévalué sur le plan budgétaire le rendement à attendre de la DLU 4, évalué à l’époque à 240 millions par an, alors qu’il semble qu’il sera bien en peine d’en récupérer même 1/5e de ce montant. Il recourt donc à la peur pour tenter d’éviter qu’apparaisse le trou budgétaire qu’il a créé.

On peut s’interroger sur l’opportunité de charger l’administration fiscale de déposer 80.000 plaintes qui, en toute hypothèse, ne lui rapporteront jamais rien.

La question est toutefois de savoir si ces personnes sont réellement coupables de blanchiment. Dans un arrêt de 2015, la Cour de cassation a exigé, pour que le blanchiment de fraude fiscale existe, que des actes de gestion ou autres soient accomplis à propos d’une somme bien individualisée représentant l’avantage patrimonial obtenu par le contribuable. Or, cet avantage n’est évidemment pas le capital, ni même le revenu du capital, mais seulement l’impôt sur le revenu de celui-ci. En gros, si vous disposez d’1 million d’euros à l’étranger, qui a rapporté du 4 %, le revenu annuel est de 40.000 euros, et, pour les années non prescrites, où le précompte était perçu au taux de 15 %, l’avantage patrimonial est de 6.000 euros par an. On doute qu’il existe un seul contribuable qui ait isolé sur un compte séparé, le montant d’impôt qu’il a ainsi fraudé. Or, il est relativement rare, et il devrait être démontré, que les capitaux eux-mêmes soient le produit de la fraude fiscale. Au pire, ils pourraient ne pas avoir été déclarés, mais ce n’est toujours pas le capital qui représente l’avantage patrimonial, mais seulement l’impôt sur celui-ci, lequel n’a manifestement jamais été individualisé non plus.

On doit dès lors se demander si le ministre est bien en droit de menacer d’une plainte des personnes qui, pour la plupart, ne commettent sans doute pas le moindre délit. Bien plus, on voit mal de quel motif légitime le ministre disposerait pour se plaindre au pénal, alors qu’il ne dispose toujours d’aucune créance d’impôt à l’égard des personnes en question. Comme il a été exposé ci-dessus, ces personnes ne sont en effet à ce jour redevables d’aucun impôt, puisque celui des sept dernières années avant la régularisation a fait l’objet de celle-ci, et ne peut donc plus être réclamé, et que pour les années antérieures, il y a par définition prescription, c’est-à-dire extinction de la dette fiscale.

On peut aussi s’interroger sur l’opportunité de charger l’administration fiscale, qui se dit souvent débordée, de déposer 80.000 plaintes qui, en toute hypothèse, ne lui rapporteront jamais rien. En effet, à supposer même que l’une ou l’autre des 80.000 personnes soit reconnue coupable de blanchiment, cela ne permettra pas de la faire condamner au paiement d’un impôt quelconque, puisque les impôts en question sont prescrits. Et il est enfin douteux qu’il se justifie d’encombrer les parquets de dizaines de milliers de dossiers qui sont, dans leur immense majorité, voués à l’échec. Est-il également judicieux de les utiliser dans le cadre d’une opération budgétaire qui ressemble bien à un chantage ? Puisque l’Etat, en l’espèce, réclame des fonds qu’il sait ne plus être dus et utilise la menace à cet effet.

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